Un vendredi soir. Dans cette célèbre boite de nuit parisienne, entre à peu près qui veut, même s’il a 13 ans. L’âge n’est pas un critère. La richesse, oui. Les videurs connaissent les dernières tendances des enfants au compte en banque bien garni. Cet hiver, c’est grosse doudoune, énorme fourrure sur le pourtour de la capuche et bottes fourrées qui ressemblent plus à des pantoufles pour se promener chez soi, quand on a froid. Ces vêtements ont un prix. Bien 700 euros l’ensemble, voire plus.
Le mouvement de cheveux fait toute la différence. Quand on est une fille, on passe la main dedans, on agite, et on accompagne le tout avec une bouche en cul-de-poule. Pour les mecs, c’est plus simple. On fait comme Justin Bieber. Le baby-lover-chanteur est connu dans le monde entier pour son mouvement de tête violent qui lui permet d’écarter sa frange de devant ses yeux. Il a des millions de fans.
Je ne vais pas souvent en boîte, mais quand j’y vais c’est pour rêver un peu, rencontrer des gens qui ont de la « thune », avoir l’impression d’être riche moi aussi. Vu de l’extérieur, cette jeunesse a l’air d’une élite, alors, j’ai envie de voir un peu à quoi ça ressemble, l’élite, de danser avec elle. De faire comme elle. Snober les autres, comme elle, même si je n’en ai pas vraiment les moyens.
Dans ces lieux nocturnes, si on n’a pas le style, on n’entre pas. On peut ressembler à un dieu grec, ça n’y changera rien. Il faut avoir un minimum de style. Moi je n’ai pas de quoi faire des emplettes place Vendôme. Si le physionomiste de la boîte regardait les étiquettes de mes vêtements je n’y entrerais probablement. H&M est mon fournisseur officiel. Si j’étais célèbre, ce serait mon sponsor ou je serais son égérie. J’ai dû contribuer à la fortune de ce magasin.
Les autres filles, c’est Chanel, ou d’autres marques parisiennes qui coûtent une fortune, comme Zadig et Voltaire ou The Kooples. Les garçons, eux, portent du Ralph Lauren, des mocassins en cuir et des jeans Levi’s. Détail troublant, garçons et filles portent les mêmes doudounes. Si on a trop le style de quelqu’un qui habite dans une cité, on n’entre pas. Les mecs qui débarquent en survêtements-baskets ne peuvent même espérer s’approcher de l’entrée. Si on a sur le dos des vêtements qu’on peut trouver chez les Chinois à Saint-Denis, on n’entre pas non plus. A croire que les videurs sont tous passés par une école de mode.
En revanche, on peut venir direct de sa cité, être noir(e) ou arabe, et qu’on est habillé comme un des membres de la jeunesse doré, on entrera pour peu, mais c’est beaucoup, qu’on soit habillé comme la jeunesse friquée. En boîte les critères ethniques, on s’en fiche. Ce qui compte c’est le style, l’arrogance et l’argent. La jeunesse dorée est impertinente, n’a besoin de personne, est reine et le fait savoir. Si t’as pas d’argent, tu dégages !
Moi, quand j’arrive, je me dis : « Je vais me faire recaler, je vais me faire recaler, je porte un jean H&M. » Je ressens une horrible pression, pire que si je passais le bac. Des papillons dans le ventre et tout. Mais tout est dans le paraître. Au fond, porter du H&M c’est peut-être pas la grande classe, mais faut savoir comment assortir ses vêtements, ne pas paraître trop vulgaire. Il faut être classe, et avoir une jolie tête. Si c’est le cas, c’est ok. La jeunesse dorée, elle, ne fait pas la queue car elle a réservé, fait la bise au vigile et commande cinq bouteilles. Moi aussi je commande de quoi boire. Un jus de goyave.
Après que le videur nous a sondés pendant quelques minutes, et une fois qu’il m’a demandé si j’étais majeure (oui, il me manquait les bottes), j’entre. Et là : des adolescents, qui n’ont pas tous 18 ans. J’ai failli m’arracher les cheveux quand j’ai entendu la femme à la caisse dire à trois bambins : « Vous prenez une bouteille? C’est 200 euros. » Des gens nourrissent leurs enfants avec 200 euros pour deux semaines. Le monde est décidément très mal fait.
Au sous-sol, des jeunes se déhanchent sur des banquettes sur fond d’électro-pop, un verre de champagne à la main et les fameuses bottes fourrées aux pieds. On voit aussi des serveurs, porter au-dessus de leur tête d’énormes seaux illuminés, comportant d’énormes bouteilles d’alcool. Tant qu’on achète, l’âge, on s’en fout.
Des filles dansent en doudounes. Je me demande si la doudoune est ventilée à l’intérieur. C’est petit, et il y a du monde. Il s’agit d’une boîte très prisée. Ces enfants dansant sont nés avec une cuillère d’argent dans la bouche. Certains ont besoin de shit pour s’amuser, se détendre. Des tables sont réservées, un groupe arrive, vers 2h30 du matin, avec un petit air snob. Il n’est composé que de couples, ils s’assoient, attendent leurs bouteilles, trois en tout : 600 euros claqués en une soirée.
C’est comme ça dans quasiment toutes les boîtes de nuits parisiennes. J’ai vu des filles avec des talons de 15 cm et des jupes de 3 centimètres, portées sans collants. Alors qu’il faisait – 3 dehors (mais c’est dedans que ça se passe, bien sûr). Les garçons ne les regardent même pas. On en arrive à une sorte de banalisation du sexe, de l’alcool et de la drogue. On se file des joints comme si c’était des sucettes, on se roule des pelles comme si c’était une façon de dire bonjour, et on boit. Pour oublier. Mais pour oublier quoi ? Les parents « absents », peut-être.
J’ai parlé à quelques-uns d’entre eux : « Moi, mon père est quelque part entre le Brésil et le Mexique, je sais pas où, et ma mère elle est en Italie, du coup, ma vie est loin d’être aussi cool que la tienne », me dit un jeune homme. Pas faux, j’habite avec mes parents, en famille, je ne dépense pas 600 € en une soirée, mais je le vis bien. « Mes parents n’habitent pas à Paris, moi si, je suis en collocation et je fais mes études en école de commerce, parce que mes parents ne veulent pas que je sois joueur de foot », me dit un autre. Il a dû renoncer à ses rêves, pour étudier, avoir la certitude qu’il aura un travail plus tard, qu’il ne sera pas renié par sa riche famille.
Ma vision change. Ils sont moins heureux qu’ils n’en ont l’air. Tout n’est qu’apparence, et la plupart du temps, quand ils rentrent « à la maison », personne ne les attend. Ils s’entourent d’amis, courent les mondanités, aiment être vus en bonne compagnie, mais le cœur n’y est pas. On leur demande d’être bons à l’école ou d’être capables de reprendre l’affaire familiale. Une énorme pression pour des épaules encore frêles. Alors ils mettent des doudounes.
Doria Attia