« Il faut que vous alliez loin dans vos études ! », « Je ne vous envoie pas à l’école pour rien ! » C’est le type de phrases que mon père nous répétait à mes sœurs et moi sur le chemin de l’école. Dans ma famille, ça a plutôt fonctionné : toujours parmi les premières de la classe, nous toutes sommes aujourd’hui dans l’enseignement supérieur.

Dans son dernier rapport, l’Observatoire des inégalités montre une meilleure propension à la réussite chez les enfants d’immigrés à classe sociale égale. Mais « les enfants d’immigrés sont plus fréquemment issus de milieux populaires et accèdent donc à des diplômes moins élevés », souligne le directeur de l’Observatoire des inégalités dans une interview au Bondy blog.

Ce dernier évoque « les attentes élevées » de parents qui, du fait de leur migration et de sacrifices importants, sont dans un projet « d’ascension sociale ». Un constat qui se vérifie dans notre quotidien et qui revient dans les discussions avec mes camarades.

Exceller pour ne pas « galérer comme eux »

La plupart de nos parents sont conscients des discriminations qui pèsent sur les trajectoires scolaires et professionnelles et nous en ont fait part dès le plus jeune âge. Souvent la nécessité d’exceller à l’école pour ne pas « galérer comme eux »  est imposée.

En troisième, on faisait que de nous parler de la filière pro

Samuel, admis à CentraleSupélec, parle d’une « culture de l’ambition » qui, selon lui, prémunie de la relégation des enfants des classes populaires vers des voies moins prestigieuses. « Je me souviens qu’en troisième, on faisait que de nous parler de la filière pro… il n’y avait que ça ! », explique, de son côté, Mereba, admise au master Quantative Economics à Paris Dauphine.

D’après les chiffres du ministère de l’Enseignement Supérieur parus en 2021, seulement 34 % des enfants d’employés et d’ouvriers accèdent à l’enseignement supérieur, contre 65 % des cadres et professions intermédiaires.

« Vous savez que vos 16 de moyenne valent des 12 sur Paris », rabachait notre professeur de philosophie au lycée. Une phrase qui a pris tout son sens une fois arrivée dans le supérieur. La perspective de ne pas valider mon premier semestre ne m’était jamais passée par la tête, et pourtant. Si ce phénomène est général, il prend une acuïté particulière pour les étudiant.es immigré.es de classes populaires.

Chellam, étudiante en troisième année de géographie, a eu une illustration frappante en prépa. Après avoir obtenu la pire note de son groupe au premier devoir de SES, son professeur lui a proposé de relire une copie de terminale où elle avait obtenu 20/20. « Il relit ma copie, puis me dit “Je ne remets absolument pas en cause votre note, ni vos capacités, mais on ne comprend rien, c’est incohérent !” », raconte-t-elle. 

Les étudiants du supérieur face à la violence symbolique

« En prépa, on était quatre Noirs, le reste des étudiants étaient des Blancs », « On n’était que deux rebeues en Sciences », « Dans ma fac de droit, je suis la seule Noire ». Les exemples s’enchaînent dans la bouche de mes camarades et disent tous une « violence symbolique » qui vient rappeler que notre place n’est pas supposée être ici.

Cette violence passe également par des discussions d’apparence anodines où les patrimoines sociaux et culturels se mesurent et situent froidement les un.es et les autres.

Je devais constamment prouver que je n’avais pas pris la place d’un autre

Et puis, il y a les remarques, les comportements dont on ne prend pas toujours conscience immédiatement. Pendant de ses années de classes préparatoires, Laura fait remarquer à sa professeure qu’elle l’interroge beaucoup plus que ses camarades. « Elle m’a répondu “Bon, euh, c’est peut-être aussi parce que vous êtes Noire…” Je devais constamment prouver que j’avais bien ma place ici et que je n’avais pas pris la place d’un autre ».  

Une situation qui se vérifie aussi chez les classes plus aisées. Héloïse,  étudiante en art d’origine ivoirienne, est issue d’un milieu favorisé, son père lui répétait constamment qu’elle devait travailler plus « en tant que personne noire ». 

Ce climat peut déterminer le choix des études. « J’ai fait le choix de m’orienter vers le droit, une filière “sûre”, car je partais du principe qu’en tant que femme noire, j’allais être deux fois plus discriminée que les autres », explique ma sœur Christine. Elle craignait que dans une filière moins cotée, elle ne parvienne à trouver de travail à l’issue de ses études.

Les hautes études en France sont réputées exigeantes, et ces violences s’ajoutent aux difficultés initiales. Et il n’est pas toujours évident de s’en ouvrir à ses proches. « Chez nous, la santé mentale, ça n’existe pas ! », expose David, étudiant en économie d’origine congolaise.

Un projet d’ascension sociale vécu à travers les enfants.

Si pour la plupart l’idée de nous réorienter nous est passé par la tête, beaucoup ont ressenti cette contrainte de poursuivre pour « rendre la pareille » et rentabiliser les sacrifices de leurs parents. Pour ma part, j’ai même l’impression que mes parents vivent leur projet d’ascension sociale à travers mes sœurs et moi.

Mon père, intérimaire, qui me supplie d’aller à l’ENS, car il s’agit d’une des plus grandes écoles de France. De son côté, ma mère, aide-soignante, ne manque jamais une occasion de rappeler à ses collègues que « ses filles sont à l’université ».

Dans mon cercle d’ami-es, nous échangeons régulièrement sur le sujet. De nos discussions est née une sorte de guide de survie aux grandes études. « S’accrocher à un groupe d’ami.es pour pouvoir te confier lorsque ça ne va pas » ; « S’imposer face à nos parents, car il s’agit de notre avenir » ; « Apprendre à relativiser les échecs, comme les mauvaises notes, puisque notre vie n’en dépend pas ».  Quelques précieux conseils.

Anaya Bilongo 

Crédit photo : RFstudio

Articles liés