A chaque époque, son marché aux esclaves. En période de « grosse galère », les démunis se vendent devant les grande « chaîne commerciale ». Les banlieues sont démerdes. Plutôt que de rester les bras croisés, elles vont jusqu’à se vendre à des employeurs peu scrupuleux.   

Platefo2 Devant les grilles de la « Plateforme du Bâtiment », débit de matériaux de construction, une dizaine d’hommes encapuchonnés attendent, par petits groupes, un client qui aurait besoin d’un coup de main. Ils font le trottoir. Je rejoins deux d’entre eux. Ils ne parlent pas français. Très vite, ils sont tous les dix autour de moi. « Combien pour la journée ? » Les plus ambitieux espèrent 80 euros. Les prix tombent. « Cela dépend du travail, chef. Qu’est-ce que vous voulez? Carrelage, maçonnerie? » Je reste élusif et continue à poser des questions. « Bien sûr qu’on s’est déjà fait entubé par des patrons qui ont foutu le camp sans payer après une semaine de taf! » Certains me lorgnent déjà d’un œil méfiant. Ceux qui redoutent la brigade des clandestins s’en vont. Tant pis. J’annonce mes intentions journalistiques, mon intérêt pour leur occupation et propose à celui qui parle le mieux le français de boire un café. Naïf. Il ne reste devant moi plus que les deux Roumains non francophones qui n’ont rien compris. En partant, un Marocain me lance tout de même: « Tu vois, ici, c’est comme à la pêche. Aujourd’hui, il n’y a rien. Les flics? Ils savent tout. On n’a jamais eu de problèmes. Ils laissent faire ». Un passant s’indigne simplement: « des privés qui embauchent des clandestins, passe encore, mais vous savez, la plupart sont des entreprises! »

En remontant la N3 sur trois kilomètres, on parvient à Batkor, autre magasin de construction. Cette fois, je rejoins les « ouvriers de l’ombre », en silence, et dépose ma besace à côté de la leur. « Tu fais quoi toi? » Je réponds: « peinture et maçonnerie ». On attend. J’apprends le métier. « Tu sais, si tu vas pas vers le client, tu vas jamais travailler. Faut parler. » Ceux qui ne vont pas vers le client sont les non francophones. Ils ont tous un ami qui démarche pour eux, un ami qui a un téléphone portable pour convenir d’un rendez-vous. Après deux heures de démarches infructueuses, mes collègues de circonstance vont manger. « Si on attrape rien le matin, d’habitude, ça marche l’après-midi. »

Au Conforama de Bondy, même attroupement d’hommes devant l’entrée. « Monsieur, besoin d’une camionnette? » Ils proposent le service de leur bus pour ramener les meubles à domicile. L’agent de sécurité du centre commercial a deux missions: tamponner les tickets pour vérifier les achats des clients et empêcher les « transporteurs » de venir se réchauffer à l’intérieur du magasin. Ces derniers demandent 20 euros pour emmener un matelas (et mon vélo) à Blanqui, à dix minutes de route. On peut marchander. S’il faut le monter au second étage, c’est 5 euros supplémentaires. « Le week-end, on peut gagner jusqu’à 200 euros en un seul jour! Des problèmes avec la police? Mais on rend service, nous. Et puis on n’est pas des clandestins. Eux n’ont pas de permis de conduire, encore moins de camionnette. Et pis attends, tu sais qui fait la sécu dans les boîtes, au black? C’est les flics! »

 

Par Blaise Hofmann

Blaise Hofmann

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