A Lyon, un étudiant s’est immolé par le feu pour dénoncer la précarité dans laquelle il était plongé. A Chilly-Mazarin, un jeune travailleur de 22 ans a été retrouvé mort dans sa voiture. Il lui arrivait d’y dormir, faute de logement. Il s’est intoxiqué en voulant se réchauffer. A Charleville-Mézières, un père de famille a passé une froide nuit d’automne devant l’entrée d’une enseigne de vêtements bon marché pour gagner un bon d’achat de 100e afin d’habiller sa fille de 13 mois. A Nîmes, une nonagénaire et sa fille ont été retrouvées mortes dans leur appartement, elles vivaient dans une très grande précarité. A Rilleux-la-Pape, l’agent technique d’un collège a été retrouvé pendu au sein de l’établissement. L’homme de 60 ans s’était fait expulser de son logement et avait élu domicile au collège. Un collègue l’y avait découvert.

En 2018, il y a eu une augmentation de 15% des SDF morts dans la rue. Selon une enquête de la RATP et de l’observatoire du Samu Social de Paris, 20% des sans-abris déclarent avoir des revenus tirés du travail. Chaque soir, à Paris, l’UNICEF dénombre 700 enfants qui dorment à la rue ou dans des habitats précaires. Une enquête Odoxa révèle que, malgré le froid, 71% des Français retardent le moment où ils allument le chauffage. Selon l’INSEE, 2018 s’annonce comme l’année ou les inégalités ont le plus augmenté depuis 2010 et sa grande crise financière. Le taux de pauvreté devrait augmenter de 0,2 point.

En quelques semaines, des drames ou des signaux d’une précarité grandissante que les chiffres viennent confirmer. Des drames qui devraient alerter, contraindre nos dirigeants à la parole, aux actes.

Mais rien ou quasiment. Parlons de la précarité étudiante. Après le drame de Lyon, le gouvernement a mis en place un numéro vert pour les étudiants précaires. Ah et il a rappelé que les bourses ont été augmentées à la rentrée. Mais il faut mettre cette augmentation en perspective avec la baisse de l’APL qui bénéficie principalement à ces mêmes étudiants. Une illustration inattendue de la politique du « et en même temps ». Parlons des gilets jaunes, il est insensé qu’à l’occasion de leur premier anniversaire, la question de la violence ait éclipsé celle de la précarité.

Face à ces drames, à ces signaux forts, si peu de compassion, d’empathie, encore moins d’action. Je ne peux m’empêcher de penser qu’à une autre époque, pas si lointaine, tous ces événements auraient peut-être donné lieu à quelques législations imparfaites, à un semblant de réflexion sur la pauvreté, sur l’exclusion. A une critique de la « politique émotion » aussi, forcément. Pas aujourd’hui. Il n’y a même plus d’émotion, il ne reste que de la politique. Et de la mauvaise. Peut-être parce qu’aujourd’hui, plus qu’hier, nos dirigeants savent qu’une indignation chasse l’autre à une vitesse folle. Que demain, on parlera d’autre chose. Même les cadavres s’enjambent.

De notre époque, beaucoup vous diront qu’on ne peut plus rien dire. Mais le vrai problème, ce n’est pas plutôt qu’on laisse tout faire ? Des enfants qui dorment dehors, des personnes âgées sur les trottoirs à côté desquelles on passe sans savoir si un souffle les soulève encore, des jeunes qui essaient de survivre et qui un jour n’en ont plus la force. Dans ce pays, 6e puissance économique mondiale, dans cette république égalitaire, la violence insidieuse de la pauvreté nous pénètre à chaque pas quand on prend le temps d’observer un peu le monde qui nous entoure.

Alors l’heure n’est-elle pas au moins à un Grenelle, à la désignation de la pauvreté comme « grande cause nationale » ? Le commencement c’est d’accorder de l’attention. Des médias et des politiques. De l’attention pour cette mère célibataire qui n’a pas les moyens de faire un gâteau pour l’anniversaire de sa fille. Pour ces familles qui chaque mois négocient des délais de paiement pour leurs loyers, leurs factures d’eau ou d’électricité. De l’attention pour la dignité de ces personnes qui enchaînent les petits boulots parce qu’on ne vit pas vraiment avec un SMIC. En tant que journalistes, donnons autant d’attention à la question de la précarité qu’à la question de l’identité.

Mais l’attention, nous en devenons toutes et tous pauvres. Un manque d’attention qui se lit comme du mépris quand il émane de ceux qui nous gouvernent.

Latifa OULKHOUIR

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