Au petit matin, Manel et Chahinez, feutres à la main, confectionnent une banderole avec l’aide de professeurs du lycée professionnel Théodore Monod de Noisy-le-Sec. « On lance des SOS, mais personne ne nous calcule et nous entend, enrage la première des deux lycéennes. Notre avenir est choisi pour nous, on est guidés comme des robots. »

C’est la cinquième journée de mobilisation dans ce lycée Seine-Saint-Denis. Professeurs, surveillants, élèves, parents et soutiens ont décidé de bloquer l’établissement et d’empêcher la tenue des examens. En cause, la nouvelle réforme du lycée professionnel, annoncé par Emmanuel Macron, le 4 mai dernier.

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Un florilège de mesures pro-entreprises qui passe mal du côté des élèves et des enseignants. Parmi les mesures les plus contestées : stages rémunérés par l’État, insertion professionnelle dès l’obtention du bac, suppression de filières et remplacement par de nouvelles correspondant davantage aux besoins locaux, création de “bureaux des entreprises” au sein même des établissements…

Ce mercredi, les professeurs de Théodore Monod sont rejoints par des collègues venus d’autres établissements d’Île-de-France pour soutenir la lutte. Déjà en octobre dernier, ces professeurs s’étaient mobilisés contre l’annonce de la réforme qui avait, à l’époque, été mise sous le tapis avec la réforme des retraites.

Les classes populaires en ligne de mire

Les élèves de lycées professionnels viennent presque exclusivement des classes populaires. Ces établissements sont déjà victimes d’un déclassement depuis des décennies. Le manque de moyens financiers autant que de personnels d’éducations sont devenus la norme. « C’est toujours les mêmes populations qui sont visées », s’insurge la mère d’un élève. « Les bons profs partent, les salaires sont nuls, les classes sont surchargées, c’est un cercle vicieux, tout pour l’économie », assène-t-elle.

Une professeure d’histoire rappelle les origines de la création du lycée professionnel. « Le lycée pro de base était émancipateur et donnait un bagage commun aux ouvriers pour faire société avec des valeurs communes. Mais maintenant, on dit aux milieux populaires, vous ne vous élèverez plus socialement. »

Des filières du tertiaire vont être supprimées pour être remplacées par des formations adaptées aux métiers sous tensions. En Seine-Saint-Denis, on ne cherche pas des artistes comme à Paris, mais des agents d’entretien, de sécurité ou des serveurs. Les mamans présentes dénoncent le manque de perspectives, le mépris et l’orientation subit par leurs enfants.

Une main d’œuvre gratuite aux entreprises

La question qui cristallise les colères des stages et de leur gratification par l’État. L’augmentation de la durée des stages se fait au détriment des heures d’enseignements généraux. Les professeurs dénoncent un « piège tendu aux élèves pour aller plus vite travailler. » Cette rémunération vient en quelque sorte valider l’idée que les élèves sont là pour travailler, et non pour observer et apprendre. Les bloqueurs dénoncent ici « la mise au travail des enfants », qui vont être en entreprise 35 heures par semaine en étant payé 1 à 2 euros par heure. L’État offre ainsi une main d’œuvre gratuite aux entreprises.

Ils veulent faire des élèves de simples exécutants qui ne réfléchissent pas ! 

« Ils veulent faire des élèves de simples exécutants qui ne réfléchissent pas ! », s’emporte une prof. « On impose aux parents de travailler plus tard et aux enfants de travailler plus tôt », pointe une de ses collègues. Tous dénoncent la volonté du gouvernement de créer de la main d’œuvre peu qualifiée pour éviter les reconversions professionnelles, en limitant au maximum la poursuite d’étude. Selon elle, c’est « un choix de société qui va impacter la jeunesse du pays ».

Dans la lignée des réformes Blanquer

Cette nouvelle réforme intervient seulement quatre ans après les réformes de Jean-Michel Blanquer en 2019 qui avaient déjà semé la pagaille dans les lycées généraux autant que professionnel. C’est d’ailleurs la première année que la réforme Parcoursup s’applique dans une année “normale” sans perturbations liées à la crise sanitaire.

« Les collègues de général ont alerté sur cette réforme, mais on ne les a pas écoutés, s’indigne une prof de philo devant le lycée. Les programmes sont inapplicables, les notions trop grandes, on a des injonctions contradictoires. » S’ajoute aussi les critiques sur la plateforme Parcoursup, considérée comme une « machine à broyer », qui accentue les inégalités d’accès aux études supérieures.  

Le Lycée pro est le laboratoire de ce qui attend l’éducation nationale

Élèves comme enseignants déplorent ce manque d’écoute. Des réformes qui viennent d’en haut. « On nous impose des trucs sans qu’on ait notre mot à dire », déplore Chahinez. « Le Lycée pro est le laboratoire de ce qui attend l’éducation nationale, prophétise une prof d’histoire. Ils assument ce système inégalitaire, décomplexé. »

Et les élèves ne sont pas les seuls à être fortement affectés. Certains professeurs vont voir les matières qu’ils enseignent être tout simplement supprimées. « On ne se bat pas pour nos privilèges, il n’y en a plus. On fait passer les profs pour des preneurs d’otage, on les culpabilise, mais c’est le seul moyen de se faire entendre. » Et d’exprimer le sentiment d’être là juste pour « limiter la casse ».

Le combat continue

L’équipe pédagogique du lycée Théodore Monod est, elle aussi, engagée. Comme Waïl, surveillant au lycée qui a lui-même obtenu son bac pro maintenance à Théodore Monod. Pour lui, rémunérer des élèves aussi jeune représente aussi une manière de les amadouer. « À 15, 16 ans, ils ne voient pas le vice, je me mets à leur place, je me serais dit “tranquille, je vais être payé”. »

En fin de matinée, les manifestants sont appelés à participer à une Assemblée générale au sein du lycée. Au loin, des automobilistes klaxonnent pour montrer leur soutien à la mobilisation. La mobilisation promet d’être longue. Elle durera jusqu’au 30 mai en attendant la journée nationale annoncé par l’Intersyndicale le 6 juin.

Lisa Rocha

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