Arthur avait 19 ans. Il a été lynché à mort le 16 juillet 2021 à Saint-Geneviève-des-Bois, une ville proche de Corbeil-Essonnes (Essonnes). Le documentaire de StreetPress, projeté à la MJC Centre Social de Corbeil-Essonnes, revient sur son histoire. Dans la salle, certain le connaissait. Une femme quitte la projection. Fin de l’épisode, un silence lourd s’impose. « C’est grave, c’est barbare », réagit un jeune.

Tandis que l’assistance tente d’identifier les responsables – « les parents », « l’État », « les grands du quartier » – Adama Camara tranche : « On est tous responsables et on a tous un rôle à jouer. » Depuis maintenant trois ans, Adama sillone la France pour lutter contre les guerres de cités.

Ce combat, il le mène en mémoire de son frère, tué en 2011 de multiples coups de couteaux à Garges-lès-Gonesse (Val-d’Oise). Après avoir voulu venger sa mort, il a écopé d’une peine de prison. Du chemin, il en a fait depuis. Un an après sa libération, il a fondé une association Sada : solidaire agissons dès aujourd’hui portant le prénom de son petit frère.

En 2021, la première saison “Rixes” de Streetpress sort. On peut alors suivre Adama Camara aux côtés de mères, de sœurs, de victimes, elles aussi, victimes de ces guerres de quartiers.  « Il reste encore trop de questions sans réponse », constate-t-il, aujourd’hui. Dans la seconde saison « Rixes » de Streetpress, il tente à nouveau de comprendre les origines de ces violences.

« À Corbeil-Essonnes, ça fait 30 ans que ça dure »

Corbeil-Essonnes est une ville lourdement marquée par les rixes, à l’image du département de l’Essonne. Adama Camara y a commencé ces interventions en novembre dernier dans les classes de 5ᵉ. « Plus on sera sensibilisé sur le sujet, plus on sera à même de lutter. »

La ville accompagne cette dynamique. Elsa Touré, maire adjointe de la ville chargée de la jeunesse et de la lutte contre les discriminations, en témoigne. « Les rixes, ça fait partie de l’identité du 91. Pour Corbeil-Essonnes, ça fait 30 ans que ça dure. » Et puis, « en 2020, la moitié des rixes en Île-de-France se sont déroulées dans le 91 », ajoute Benjamin, éducateur spécialisé de prévention de l’association OSER.

C’est dans ce contexte que se déroule la projection de la saison 2 de “Rixes” à la MJC Centre Social de Corbeil-Essonnes. Face à une cinquantaine de personnes, dont une trentaine de jeunes âgés entre 15 ans et 25 ans, Adama Camara prend la parole et pose la question fatidique : « Pourquoi ? » Des réponses fusent : « argent », « drogue », « les go », « le manque de respect », « la réputation du quartier », « les réseaux ».

Des morts « incompréhensibles »

Un jeune du quartier de Moulin Galant répond plus en profondeur : « Tout ça, c’est juste pour la réputation, pour le pouvoir. » Puis il raconte : « J’ai demandé directement à un petit 6ᵉ qui était dans les rixes, il ne savait même pas. Avant, il y avait des raisons, qui étaient tout autant questionnables. Mais maintenant, ils ont zéro raison de faire ça. »

Zéro raison, mais des mort.e.s et des familles entières dévastées pour toujours. Adama Camara, lui, a vécu les lourdes conséquences des rixes de plein fouet. « Quand on tue une personne, on tue toute une famille en même temps, c’est même tout un quartier qui est touché. »

Cela, les habitant.e.s de Corbeil-Essonnes le savent. Le traumatisme de la mort d’Adel âgé de 19 ans du quartier de Montconseil en 2016, reste gravé dans les mémoires. Une plaque en sa mémoire est d’ailleurs présente sur la façade de l’école Paul Langevin. Pourtant, depuis cette date, les rixes n’ont pas cessé.

C’est quelque chose qui gangrène la ville. Encore cette semaine, on a eu affaire à 3 ou 4 rixes

Deux jeunes, Ryad et Sayene, affirment même que la situation s’est aggravée. « Avant les grands, ils avaient une certaine autorité, maintenant les petits ne les écoutent plus. » Puis, il faut se le dire, « les réseaux aussi ça empire ». 

Les chiffres du ministère de l’intérieur en attestent. En 2019, 288 rixes ont été répertoriées, contre 357 en 2020. « C’est quelque chose qui gangrène la ville. Encore cette semaine, on a eu affaire à 3 ou 4 rixes », indique Elsa Touré. « Ce sont les mêmes jeunes avec les mêmes problématiques. Le fait qu’ils s’entretuent est incompréhensible. »

Une ville divisée en deux : Montconseil vs les Tarterêts

Des jeunes de mêmes milieux et qui parfois se connaissent, voilà la réalité des rixes.« J’ai écrit un livre sur les rixes et j’aurais pu le nommer “À la base, on était tous des potes” », renchérit  Adama Camara. « On grandit ensemble et à la fin, on s’entretue. C’est du gâchis. »

À Corbeil-Essonnes, toute la ville en paye les frais, mais surtout les jeunes. « Actuellement, il faut se le dire, la ville est séparée en deux, il y a la gare de Moulin galant pour les jeunes de Montconseil, la gare de Corbeil pour les jeunes des Tartêrets. Les jeunes des Tartêrets sortent sur Paris, les autres de Montconseil vont vers Mennecy. Tout est réparti entre les jeunes… », analyse un habitant.

Un constat confirmé par les jeunes. « Certains jeunes ne veulent pas se mélanger, au tournoi de foot aux Tartêrets, les jeunes de Montconseil ne sont pas venus. » Dalla, une éducatrice spécialisée de prévention, abonde : « Il y a une fête foraine dans le quartier, des jeunes ne peuvent pas y accéder, ils préfèrent éviter les problèmes, mais du coup, ils ne peuvent pas faire certaines choses, ils se privent. »

Sensibiliser pour éviter les drames

Par la suite, le débat s’oriente peu à peu vers les solutions. « Moi, je pense que le sport peut être une solution », avance un jeune. « Des activités, on peut en faire, mais il nous faut des financements », pointent les éducateur.rice.s spécialisé.e.s de prévention. « Même avec des moyens, si tout le monde ne se saisit pas de la question, ça restera compliqué », estime Benjamin.

Plus on est dans le combat, plus on va pouvoir calmer les choses

« Je vois que ça évolue parce qu’il y a beaucoup d’associations qui se créent. Plus on est dans le combat, plus on va pouvoir calmer les choses », expose Adama Camara. C’est un travail de fond, les résultats ne viendront pas « en six mois ou un an, mais seulement au bout de cinq ou six ans ».

Il est déjà plus de 21 heures, le débat touche à sa fin. Ryad et Sayene, âgés de 19 ans, donnent leur sentiment. « C’est bien de parler et ça fait du bien de se sentir écouter. » Le parcours d’Adama Camara les a touchés. « Nous, les rixes, on voit ça tous les jours et d’avoir quelqu’un qui a vécu ça des deux côtés : la perte et la vengeance, ça nous touche. »

Clémence Schilder

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