Qui connaît Salah Hamouri ? Peu de monde visiblement. Depuis sept ans, la famille d’un jeune détenu franco-palestinien se bat pour faire connaître son histoire et estime que la France n’a rien fait pour lui. Tout bascule le 13 mars 2005. Salah Hamouri est arrêté lors d’un contrôle d’identité à un checkpoint sur la route de Ramallah, à 15 km au nord de Jérusalem, sur la foi d’une dénonciation anonyme. Il est accusé par les forces de sécurité israéliennes d’avoir participé à un complot visant à assassiner le rabbin Ovadia Yossef, chef spirituel du parti Shass (ultra-orthodoxe séfarade), membre de la coalition gouvernementale. Les caméras de vidéosurveillance placées devant la maison du leader religieux confirment qu’il est passé en voiture avec un ami un soir devant ce domicile utra-sécurisé. Salah Hamouri est aussi soupçonné d’appartenir au FPLP ( le front populaire de libération de la Palestine). Une appartenance qu‘il nie toujous et démentie par l’organisation, illégale en Israël.

Son passé de militant a joué en sa défaveur. Le Franco-palestinien est né en 1985 à Jérusalem d’un père palestinien et d’une mère française. Habitant à Jérusalem-Est avant son arrestation, il étudie la sociologie à l’université de Béthléem.

Le jeune homme, comme nombre de jeunes Palestiniens, milite. Jean-Claude Lefort, ancien député, coordinateur du comité de soutien de Salah Hamouri confirme que l’étudiant « est pour la libération de son pays, de manière politique mais non de manière agressive. Il est engagé dans un mouvement de jeunes étudiants mais n’a aucun engagement dans un parti politique. »

Plus jeune déjà cet engagement lui a causé des ennuis avec la justice. Au lycée, Salah Hamouri est arrêté trois mois pour avoir collé des affiches militantes. En 2004, il a été arrêté une seconde fois, à 18 ans, sans savoir pourquoi. Il est emprisonné pendant cinq mois. Cette fois-ci cette troisième  arrestation lui vaut trois ans de détention administrative, sans supervision de la justice civile et sans jugement. Jean-Claude Lefort estime que cette lenteur est imputable à la difficulté pour la justice de recueillir des preuves accablantes.  ¨Pendant ces trois ans, plus de vingt audiences se sont tenues et à chaque fois une personne devait témoigner pour affirmer que Salah Hamouri est membre du FPLP. Personne ne s’est jamais présenté. Pourtant ils sont tous prisonniers, ce n’était pas difficile de les trouver ».

En avril 2008 lors de son procès, Salah Hamouri, sur les conseils de son avocate, plaide coupable. La procédure se termine par un compromis : le tribunal militaire de la ville d’Ofer prononce une peine de sept ans de prison au lieu des quatorze encourus. Jean-Claude Lefort a eu accès à l’acte d’accusation qu’il a fait traduire de l’hébreu. Il y est question d’un complot « loin de la réalisation » avec « des éléments essentiels manquants ».

Aucun élément de preuves

Cet aveu de culpabilité va être à la source de la valse-hésitation de la diplomatie française.

Dans un premier temps, la diplomatie française se retranche derrière cet aveu de culpabilité, expliquant qu’il lui complique la tâche. Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères,  interpellé au Sénat par la sénatrice Dominique Voynet,le 17 décembre 2009 l’exprime clairement: « Quel que soit le caractère de la justice que vous jugiez cette justice sévère c’est une chose plaider coupable en est une autre. Même si nous le croyons pas nous avons à exercer une pression constante. » Avant de préciser que ce cas retient toute l’attention du Quai d’Orsay: » Nous ne faisons pas de différences, tous les Français emprisonnés méritent la même attention. »

Aujourd’hui, Romain Nadal, porte-parole adjoint du ministère des Affaires Etrangères confirme que le dossier est l’une des « priorités » du Quai d’Orsay. Depuis les premiers jours de son incarcération  » les autorités françaises n’ont pas cessé d’intervenir pour un geste en faveur de Salah Hamouri » insiste-t-il.  S’il ne souhaite se prononcer sur le fond de l’affaire et sur la culpabilité du jeune homme, il précise que Nicolas Sarkozy a écrit au premier ministre israélien Benyamin Néthanyaou pour obtenir un geste de clémence.

Le manque de preuves matérielles du dossier Hamouri a été reconnu par l’actuel ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé.  Dans une lettre adressée à Marie-France Beaufils, sénatrice-maire de Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), datée du 31 mars 2011, il écrit: «  Je déplore que les autorités israéliennes n’aient pas pris de décision de remise de peine, d’autant que les aveux faits à l’audience n’ont été corroborés par aucun élément de preuve ». Il a aussi déclaré que le choix de Salah Hamouri de ne pas solliciter de demande de grâce était  » une attitude respectable ».

Pour Jean-Claude Lefort, en contact régulier avec Denise Hamouri, la mère du détenu, la France ne s’est distinguée par « aucune initiative marquante, pas comparable à celles engagées pour Gilad Shalit. »

Et pour cause, pour l’Ambassade d’Israël en France, la culpabilité de Salah Hamouri ne fait aucun doute. En 2008 la porte-parole Nina Ben-Ami déclarait en 2008  dans un droit de réponse suite à un article publié sur le site Rue 89: « Il a été jugé dans un processus juste et transparent.  Lors de ce processus les preuves présentées par le procureur militaire démontraient son implication dans les crimes dont il est accusé.  Il n’a jamais changé de version. » Mettre sur un même plan l’affaire Hamouri et l’enlèvement de Gilad Shalit est, d’après elle, inappropriée: Toute comparaison entre les cas de Salah Hamouri et celui de Guilad Shalit est une erreur. A Guilad Shalit on ne reproche rien excepté le fait d’être Israélien. M. Hamouri a été arrêté pour des crimes graves. « 

Y’aurait-il deux poids, deux mesures? Romain Nadal rappelle qu’Alain Juppé a rencontré en juin dernier la famille Hamouri. La première rencontre avec Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères n’est intervenue qu’en février 2008 et a duré trois minutes selon les parents du détenu. Salah Hamouri a bel et bien bénéficié de la protection consulaire. Le Consul de France en Israël lui a rendu visite en prison et a assisté à son procès. Le Franco-palestinien a-t-il bénéficié de moins d’attention que Gilad Shalit?   « Il n’y a pas de paralèle à faire entre les deux situations déclare Romain Nadal. Je ne souhaite pas polémiquer mais je comprends l’angoisse de la famille. Nous avons bon espoir que nos interventions aboutissent. » Alors que Salah Hamouri doit retrouver la liberté le 28 novembre prochain, le porte-parole explique que la France plaide en faveur d’une libération anticipée.

Il n’empêche que pour les militants sensibles à la cause palestinienne, les deux jeunes hommes n’ont pas bénéficié du même traitement. Les situations ne sont pas formellement identiques. Gilad Shalit a été détenu par le Hamas dans la Bande de Gaza. Sa famille n’a pas reçu de preuves de vie jusqu’en 2009 puis n’a eu aucune nouvelles de lui jusqu’à la fin de sa captivité. Salah Hamouri est quant à lui détenu en Israël. Sa famille peut lui rendre visite en prison et les services du consulat français s’assurent qu’il est bien traité. D’après Jean-Claude Lefort qui lui a rendu visite, le franco-palestinien lit beaucoup pour occuper ses journées.

Une faible médiatisation

S’il se réjouit de la libération du soldat, Jean-Claude Lefort reste circonspect face à la position française de ne pas s’immiscer dans les procédures judiciaires d’un Etat de droit. Et de rappeler que Nicolas Sarkozy l’a fait au Mexique lorsqu’il s’est battu pour que Florence Cassez soit transférée en France. Il déplore que le président de la République « a refusé une dizaine de fois de recevoir la famille de Salah Hammouri qui se sent abandonnée par la France. »

Elle réclame en vain d’être reçue par le Président en personne comme l’a été la famille Shalit. Pour elle, ce sera un conseiller du chef de l’Etat. Signe du peu de publicité qui est faite autour de Salah Hamouri, Gérard Longuet, ministre de la Défense, a reconnu ne pas avoir eu vent de son histoire. Interpellé par un auditeur sur France Inter mardi 18 octobre sur le cas Hamouri il a admis : « Je vais être très franc, je découvre cette situation et je vais naturellement la regarder de très près”. Cet aveu est emblématique du silence qui entoure le jeune franco-palestinien.

Le franco-israélien Guilad Shalit a été libéré par le Hamas après cinq ans de captivité. Nicolas Sarkozy s’est félicité de cette libération exprimant dans une lettre à l’ex-otage son « immense soulagement », son » bonheur » et son« émotion ». Il ajoute: « La France ne vous a jamais oublié. Car la France n’oublie pas les siens. » C’est ce soutien inconditionnel apporté aux Français détenus à l’étranger, près de 2000 selon  le Quai d’Orsay, qu’aurait espéré la famille de Salah Hamouri.  Le 14 octobre dernier, le Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas l’a évoqué. En visite à Paris, il a demandé au président de la République d’oeuvrer en faveur de Salah Hamouri comme il a pu le faire pour Gilad Shalit.  Dès la libération de ce dernier, Nicolas Sarkozy a formulé le voeu de voir Salah Hamouri retrouver la liberté:   “J’espère qu’il fera partie de la libération de la seconde vague. (ndlr: prévue le 18 décembre prochain). Nous l’avons demandé avec insistance” aux Israéliens car “comme tout citoyen français”, Salah Hamouri “a le droit à la protection et à l’attention du gouvernement de la République française”. Une attention insuffisante d’après le comité de soutien. Pour Jean-Claude Lefort le noeud du problème est net : « Nicolas Sarkozy s’aligne sur  les positions d’Israël et des Etats-Unis. »

Le soutien à Salah Hamouri a été surtout porté par des associations palestiniennes. Le grand public n’a pas eu connaissance de l’affaire de l’étudiant en sociologie.

Jean-Claude Lefort impute le peu de médiatisation du cas Hamouri et l’absence d’implication d’artistes comme ce fut le cas pour Ingrid Betancourt par exemple à « la difficulté à s’engager sur la question du Proche-Orient. Dès qu’on critique Israël, on est taxé d’antisémite. » Il rappelle toutefois que « François Cluzet a eu l’audace de parler » . L’acteur, invité en novembre 2009 sur France 2, a évoqué Salah Hamouri. Aussitôt, une association, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) a  demandé l’intervention du CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) en dénonçant « un plaidoyer en faveur de la libération » d’un « terroriste franco-palestinien. »

Jean-Claude Lefort craint que la libération prévue n’intervienne pas. Les prisonniers palestiniens ont entamé une grève de la faim. La Knesset a voté une loi, baptisée loi Shalit qui permet aux autorités pénitentiaires de durcir les conditions de détention de tous les prisonniers palestiniens, aujourd’hui environ 6.000. Jusqu’à lors les peines étaient comptées en année administrative. Elles vont être transformées en années civiles. Une année civile compte vingt jours supplémentaires par année. Selon cette loi, Salah  Hamouri devrait faire 140 jours de plus. L’intuition du président du comité de soutien s’est révélée juste. Salah Hamouri n’est libérable que le 12 mars 2012 vient d’indiquer la porte-parole de l’administration pénitentiaire israélienne.

L’entourage de Salah Hamouri a peur que sans intervention française, les autorités israéliennes expulsent le jeune homme, sitôt sa peine purgée, vers la France. Pourtant, après 7 ans passés dans une prison israélienne, surnommée « cimetière à numéro » par les Palestiniens, Salah Hamouri n’a qu’un souhait : vivre libre à Jérusalem-Est.

Faïza Zerouala

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