Avant d’aller plus loin dans la lecture de ce billet, autant que vous le sachiez : je suis supporter de l’Olympique de Marseille. Oui, vous me direz qu’un parisien ne peut commettre un tel sacrilège. Primo, ce n’est que du football.  Secundo, je n’ai pas vraiment eu le choix puisque j’ai reçu l’OM en héritage (forcé). Un soir de grand froid, mon père vint à moi pour me prévenir du grand mal qui me guettait en cas de dissidence : « Il n’y a qu’un club en France, c’est Marseille.  Si tu en trouves un autre, tire-toi, tu n’es plus mon fils. Je te laisserai quand même deux jours pour te retourner et trouver une chambre dans un foyer Sonacotra ». J’avais sept ans et dehors, il neigeait.

Mon père ne fut entièrement rassuré qu’après la victoire de Marseille en Ligue des Champions en mai 1993. J’enlevai mon t-shirt – sur lequel figurait une tortue- et me jetai sur la moquette. Il me mit une petite tape sur l’épaule, puis une grosse sur la gueule : « Pourquoi tu te fous à poil sale con ? Tu t’appelles Basile Boli ? Ramène-moi les sardines dans le frigo, avec la potion [ndlr : nom affectueux donné à la harissa] ».

Ceci étant dit, je peux donc revenir à l’actualité footballistique. Je prends, je dois dire, énormément de plaisir à voir Montpellier contrarier les desseins de grandeur du Paris Saint-Germain. Pour plusieurs raisons, qui, croyez-le bien, n’ont absolument rien à voir avec une quelconque rivalité entre Marseille et Paris, à laquelle je n’ai jamais adhéré.

Fichtre, on peut aimer l’OM sans détester le PSG. Et puis, objectivement, depuis quelques années, la guéguerre entre les deux clubs n’existe plus. Les joueurs des deux camps se font des accolades sympas dans les vestiaires, s’échangent leurs maillots et ne mettent plus de rasoirs « Bic deux lames » sous leurs crampons pour entailler un tibia,  une omoplate ou une jugulaire.

En fait, les Montpelliérains doivent être champions. D’abord parce qu’ils le méritent. Parce qu’ils ont produit du jeu, qu’ils ont osé quand les autres équipes du championnat – hormis Lille et dans une moindre mesure Valenciennes- ont évolué toute la saison comme la RDA. Parce qu’ils ont donné du plaisir à leurs supporters et aux puristes sevrés, avec des joueurs dont la plupart est issue du centre de formation. Un exploit.

Parce que leur président, Loulou Nicollin – ce cinglé – a aussi promis, entre autres cochonneries, de se faire une crête en cas de victoire finale.  Je veux voir ça de mon vivant. Il y a quelque chose de différent dans ce club, qu’on ne retrouve plus forcément ailleurs.  Un truc sympa, familial, qui mérite d’être récompensé parce qu’une telle épopée n’arrivera peut-être plus pour un petit.

Il doit être champion parce que le PSG a le temps de le devenir. Il est riche, très (trop) riche et à court terme, la Ligue 1 ne lui résistera plus. J’en suis d’ailleurs jaloux, au point d’avoir mal à mon petit cœur de supporter.  Pendant que les Qatariens investissent, la direction de l’OM annonce l’austérité et se prend pour Angela Merkel.

Montpellier doit être champion parce que Paris ne s’est tout simplement pas comporté en champion.  Rien d’impressionnant dans le contenu. Mais je pense surtout à ce brave Antoine Kombouaré, l’ancien coach, éjecté juste avant la trêve hivernale. Le bonhomme était quand même 1er au classement, avant de recevoir son recommandé avec accusé de réception.  Avant la vache à lait venue en jet privé du Golfe persique, il avait trimé pour reconstruire,  retroussé ses manches après des années d’intense nullité. Il avait ce côté légitime et authentique. Sympathique même, mais pas assez classe pour les patrons, avec sa dégaine d’ancien flic reconverti dans la sécurité des supermarchés.

Là, plus rien, si ce n’est le visage angélique de Leonardo, directeur sportif à l’insupportable langue de bois, petit-bras mais le torse tellement bombé qu’il en oublie, parfois, qu’il n’est qu’un employé.  Bien sûr, on ne va pas lui reprocher de préférer Carlo Ancelotti sur le banc.  Il y a un CV derrière, un palmarès, un charisme. Mais il est 2e, ce qui n’était pas forcément l’option de départ pour les Qatariens. Surtout qu’ils courent au classement derrière des mecs sortis de nulle part, à l’opposé de leur monde bien comme il faut.  Encore plus jouissif pour moi. Si vous saviez.

Le PSG ne peut être champion, vous dis-je. Surtout que mes voisins, il y a quelques semaines, n’ont eu cesse de me chambrer quand tout le monde pensait que Paris filait paisiblement vers le titre. Ils évacuèrent ainsi toute leur frustration, après une éternité marquée par les famines et les humiliations.  Peut-être que je le mérite. Je le confesse, j’ai été un supporter arrogant avec mes « ta gueule, sauvez votre peau en Ligue 1 si tu souhaites communiquer avec moi » ou « je ne parle pas football avec les non-européens, amenez-moi donc un supporter mondialisé! » J’ai donc pris sur moi, puisque la roue, tranchante, a tourné.  Je paye. Montpellier est mon seul espoir d’enrayer cette spirale footballistiquement compliquée pour moi.

Tout ceci explique ainsi ma réaction dimanche dans un café de la capitale, quand Karim Ait-Fana marqua le but de la victoire pour Montpellier à la 94e minute. « Vengeeeaaaannncce » criais-je, tel Moundir à Koh-Lanta, en me frappant le torse, puis en entamant une danse similaire à celle de Jean-Claude Van Damme dans le film culte Kickboxer. J’étais en territoire ennemi, mais qu’importe. Ça devait sorti. Je souffrais. Je m’inquiétais même.

Car je ne vous l’ai pas dit dès le départ, mais j’ai parié sur le sacre de Montpellier.  Pas les paris d’amis de la maternelle ou ceux, fair-play, pour la gloire qui se terminent par une poignée de main solennelle. De l’argent et pas mal de bouffe. Beaucoup de bouffe.  Trop de bouffe, avec des mecs sans aucune vergogne, qui ne me laisseront aucun délai pour allonger et qui me liquideront en cas d’imprévu. Selon certaines sources concordantes, certains jeunent en non-stop en attendant le festin. Forcément, ça rend taquin.

Des glaces Häagen-Dasz qui coûtent un ménisque et une vessie, des grecs de luxe avec un œuf et un cordon bleu à l’intérieur et des buffets asiatiques à volonté, soit un autre ménisque. Très simplement, et sincèrement, si Montpellier perd dimanche soir, je suis foutu.  Donc s’il vous plaît, les Héraultais, gagnez. Pour mon équilibre urinaire et mes ménisques de supporters.  Pour m’éviter de finir en chaise roulante. Pour me remplir le bide aux frais des autres. Et surtout, parce que vous le méritez.

Ramsès Kefi

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