Bottes de sécurité aux pieds la semaine, tong le weekend, Slimane Triki* a économisé pendant près de dix ans pour s’acheter un bateau à moteur. Chef de chantiers en banlieue parisienne, ce quarantenaire prend le large toutes les fins de semaines. Rituel qu’il ne raterait pour rien au monde.

Trapu, tatouage sur le biceps et crâne rasé de près, Slimane c’est un peu Popeye, mais sans la pipe et l’air renfrogné. Ayant toujours vécu à Bondy, en Seine-Saint-Denis, cet homme calme et souriant est tombé amoureux de la mer dès leur première rencontre, alors qu’il n’était âgé que de douze ans : « Cette vaste étendu d’eau qui se perdait à l’horizon m’impressionnait. Le bruit des vagues et le calme ambiant me charmaient ». Coup de foudre sur le bord de mer, pour Slimane, appelé « Sisi », c’est décidé : il travaillera loin de la terre ferme.

Son retour à la maison en a décidé autrement. Le métier de marin en Seine-Saint-Denis n’attire pas les foules. Il est vrai que l’on ne croise que très rarement un trois-mâts dans les eaux grisâtres du canal de l’Ourcq. « Ici, sur le béton, y en a beaucoup qui rament mais ce ne sont pas des pêcheurs pour la plupart » lâche-t-il dans un rire sonore.

A 17 ans Slimane quitte le lycée pour aller travailler sur le chantier : « rester assis sur une chaise tout la journée, à gober le monologue d’un prof, c’était pas trop mon truc ». Réfléchi, dynamique et disponible, près de vingt ans après avoir quitté les bancs de l’école, Slimane y retourne pour pouvoir passer chef de chantiers. Et il y parvient.

Malgré toutes ces années passées dans la poussière et le brouhaha des chantiers parisiens, Slimane n’oublie pas son rêve de môme, du moins, l’idée principale : pouvoir naviguer comme
« Tabarly, Kersauson et Riguidel ». Après avoir mis de côté pendant plus de dix ans, cet homme patient et passionné obtient son permis bateau puis se jette à l’eau. En 2010, « Sisi » s’achète un bateau qu’il range soigneusement dans son garage parisien. L’engin motorisé tant attendu mesure 6 mètres sur 3 et coûte près de 15 000 euros.

Depuis près de quatre ans, impossible de retenir Slimane sur le bitume de la banlieue parisienne le weekend. Seul ou avec sa femme, il part en Normandie pour faire trempette le long des côtes, sur le pont de son engin. « Pour moi c’est essentiel. Je travaille près de 50 heures dans la semaine. Si je ne m’évade pas, je vais couler » assène-t-il, l’air solennel.

Lorsque l’heure de la retraite sonnera pour Slimane, la cloche de la seconde vie hurlera encore plus fort. Loin de se tourner les pouces, le quarantenaire compte acheter une péniche de commerce pour la rénover en logement flottant. « Jusqu’ici, la mer, je ne la voyais qu’une fois par an et les adieux étaient larmoyants. Maintenant que je peux en profiter, je plonge la tête la première sans aucune peur de me noyer ! »

La péniche comme maison

Si le fait d’habiter sur une péniche peut sembler saugrenue, Sisi n’est pas le seul à avoir épousé l’idée. Que ce soit par goût pour la liberté, pour avoir plus d’espace ou encore à cause du prix des maisons, plusieurs milliers de personnes vivent sur des logements flottants en France. En 2013, près de 1 500 bateaux-habitations étaient disséminés sur les voies fluviales françaises, selon le ministère de l’Ecologie et du Développement durable.

Mais cette originalité est onéreuse. Le prix d’une péniche habitable varie de 50 000 à 1 500 000 euros. Tout dépend de l’état, de l’emplacement mais aussi, et bien évidemment, de la surface du bateau. A ce prix vient s’ajouter celui du permis bateau, environ 700 euros, puisque chaque équipage doit posséder un capitaine. Enfin, tout comme pour une maison, il faut assurer sa péniche (incendie, avarie, risque de descendre en dessous du niveau de l’eau…), à hauteur, en moyenne, de 1 000 euros l’année.

Pouvoir naviguer sur les fleuves et les côtes françaises représente un énorme investissement de temps, mais aussi d’argent. « Mais quand on aime, on ne compte pas » conclut Slimane. Séduit par le charme des bateaux, ce dernier ne rêve plus que d’une chose, surtout lorsqu’il est sur le béton : mettre les voiles.

Tom Lanneau

* Nom de famille modifié

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