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L’incarcération seule n’est pas la solution pour éviter la récidive des auteurs de violence. Voilà ce qui a été acté en 2019 à l’issue du Grenelle contre les violences faites aux femmes avec la création des centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales (CPCA). Une idée qui ne date pas d’hier, le Canada a mis en place les premiers dispositifs de ce type dès 1982. Mais les acteurs de terrain et les chercheurs qui ont étudié la mise en place de stages de responsabilisation en France constatent plusieurs limites et proposent des pistes d’amélioration.

Un réel besoin de prise en charge

En France, chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire ou ex-partenaire. Au niveau national, d’après le collectif Nous Toutes, 122 femmes ont été victimes de féminicide sur l’année en cours. Il s’agit donc d’une question primordiale, littéralement d’une question de vie ou de mort.

Et malgré le mouvement Me Too, la situation ne va pas en s’arrangeant. Selon un rapport parlementaire, « en 2022, les violences intrafamiliales ont connu une forte hausse par rapport à l’année précédente, passant de 5 726 à 7 031. Soit une hausse de 22,8 % par rapport à 2021 ». 

L’urgence est donc, à la fois, d’accompagner les victimes, mais aussi de limiter les actes violents et leur récidive. Dans cette optique, la prison, un environnement de renforcement de la masculinité violente, n’apparaît pas comme une solution efficace et un besoin d’accompagnement complémentaire s’avère nécessaire.

D’un centre à l’autre, une grande disparité du dispositif

Le Grenelle de 2019 a donc débouché sur la création de centres de prise en charge. En réalité, les CPCA ne sont pas des centres, mais plutôt des instances de coordination d’autres associations, de ce fait la composition de ces CPCA est extrêmement variable. Les professionnels qui animent les stages ont des profils très différents d’un centre à l’autre. On observe également une disparité territoriale où certains départements sont mieux dotés que d’autres.

Ils n’ont pas cherché à cartographier ce qui existait, ou à identifier les profils des professionnels qui auraient la charge d’animer ces stages

« Aucun organisme d’État n’a mis en œuvre d’étude préalable à la mise en place de ces dispositifs », déplore Cristina Oddone, chercheuse associée au Centre Max Weber et à l’ENSEIS d’Annecy. « Ils n’ont pas cherché à cartographier ce qui existait, ou à identifier les profils des professionnels qui auraient la charge d’animer ces stages. En conséquence, on observe que les équipes sont composées de plusieurs types d’acteurs, chacun apporte sa formation dans la prise en charge. De fait, la composition dépend énormément des personnes en présence », constate la chercheuse.

Cristina Oddone rapporte par ailleurs que certaines associations ont une vision systémique du problème quand d’autres mettent en avant la responsabilité individuelle, au risque parfois de renforcer des stéréotypes préexistants.

Renforcer les stéréotypes de classe, de race…

Par ailleurs, ces stages sont prescrits par la justice pénale, elle aussi empreinte de certains biais. « Les statistiques montrent que les victimes et les auteurs sont issus de toutes les classes sociales, pourtant, on retrouve dans ces stages des profils bien précis », indique l’universitaire. Parmi ces profils, elle et la doctorante, Margaux Boué, listent   : « l’homme d’origine étrangère, l’homme précaire et l’homme rural ». Des catégories de population qui font l’objet de traitements inégalitaires face aux institutions au sens large, et qui sont ainsi plus susceptibles d’être d’abord poursuivies par la police, ensuite inquiétés par la justice, et enfin condamnés.

…et de genre

Cristina Oddone et Margaux Boué ont également pu observer l’évacuation de la question du genre dans nombre de ces stages. Ainsi, des observations rendent compte de discours pour le moins surprenant. Dans les observations de l’étude, il est dit qu’une intervenante mettait un point d’honneur à expliquer que les violences intrafamiliales ne sont pas l’apanage des hommes, lors d’un stage de responsabilisation. « Les femmes sont plutôt violentes psychologiquement », déclarait-elle en dépit des nombreux travaux et statistiques invalidant cette assertion.

La chercheuse analyse ces déclarations de la manière suivante. « Le fait d’évacuer ces questions ne permet pas la déconstruction du rapport aux femmes, mais de renvoyer à une hiérarchisation et à une naturalisation genrées des formes de violence, comme exprimé par les hommes qui typiquement déclarent “oui, j’ai été violent physiquement, mais elle a été violente psychologiquement”. » 

Des acteurs qui tentent de pallier les défauts du dispositif

Malgré ces problématiques, certains acteurs tentent de proposer le dispositif le plus efficace possible. Anne-Charlotte Jelty, de la Maison des femmes à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, et fondatrice de l’association Médée, relate son expérience.

Pour qu’une femme porte plainte contre son conjoint, c’est qu’il y a généralement déjà un système de violence installé

« Lors de ces stages, en non-mixité, les hommes auteurs de violences sont invités à échanger sur leurs actes et à prendre conscience de leur gravité. » Dans un premier temps, les participants doivent reconnaître, au moins partiellement, leur culpabilité. Pour certains, il s’agit de leur première condamnation. « Cela signifie qu’ils ont été condamnés une première fois, mais pas qu’il s’agissait de leur première violence, précise Anne-Charlotte Jelty. Pour qu’une femme porte plainte contre son conjoint, c’est qu’il y a généralement déjà un système de violence installé. »

Stratégie de neutralisation et dynamiques sociales

Les participants doivent ensuite prendre la mesure de la gravité de leurs actes, ce qui ne relève pas de l’évidence. D’après une étude conduite par la sociologue, Marine Delaunay, la reconnaissance de cette culpabilité est grandement relativisée par les auteurs, dans un phénomène de « neutralisation » de leur responsabilité. Cela passe par différentes stratégies : « déni de préjudice, déni de victime, déni de responsabilité, accusation des accusateurs et invocation de loyautés supérieures ».

Ces stratégies peuvent se nourrir de faits réels, comme les biais policiers et judiciaires, dont ils ont bien conscience. Anne-Charlotte Jelty, bien loin de nier leur existence, préconise une approche honnête. « Je valide l’hypothèse de départ : un médecin blanc qui frappe sa femme ne connaîtra pas les mêmes conséquences et, bien sûr, nous sommes dans une société raciste. Mais je leur rappelle que pour autant, ils ont commis l’acte en question. »

Il faut comprendre ce qu’il se joue et les dynamiques sociétales à l’œuvre

Une approche qui met au centre la connaissance des rapports de domination dans la société, comme le souligne Anne-Charlotte Jelty. « Il est important que des associations féministes formées à ce type de problématiques, avec une solide culture de l’antiracisme et du marxisme, soient mobilisées pour ces stages. Il faut comprendre ce qu’il se joue et les dynamiques sociétales à l’œuvre. »

Ambre Couvin et Thidiane Louisfert

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