« Noir et fier de l’être », « feuj de Paname » : ce sont les inscriptions fièrement arborées sur leurs t-shirts par certains jeunes, et moins jeunes, dans les rues de Paris. Si certains affichent leurs origines ou leur couleur, d’autres les tairaient plutôt. C’est le cas Eva, mariée, 32 ans, deux enfants, juive tunisienne : « La première question que les gens vous posent, c’est « t’es de quelle origine », avant de te demander comment tu t’appelles. » Eva regrette cette dérive ethnique. Elle prône la discrétion en toute circonstance, elle veut se faire « accepter en tant que personne ». Elle fui les clichés, du type : « T’es juive, alors t’es radine, tu manges en juif, t’es riche. »

Cette discrétion, chez elle, a beaucoup à voir avec la Shoah. Ses grands-parents maternels ont connu la guerre et des membres de sa famille sont morts en déportation. « Mes parents m’ont raconté l’histoire de notre peuple, et quand je leur ai demandé pourquoi on avait subi cette extermination, ils m’ont répondu : parce qu’on est juifs. J’ai donc suivi ce conseil : surtout, ne dis pas que tu es juive à l’école. J’avais peur de le dire et qu’on ne m’aime pas juste en raison de ma judéité. Je ne voulais pas qu’on me dise que c’était de notre faute tout ce qui était arrivé et qu’on l’avait bien cherché. » Eva a un « profil » laïc.

Habitante du 19e arrondissement de Paris, où cohabitent les religions de la manière la plus visible, elle y croiser des musulmanes voilées, des juives orthodoxes coiffées d’une perruque. Mais aussi des personnes athées. Eva ne se sent pas en sécurité. « La religion, c’est perso et ça ne met à l’abri de rien. Je ne suis pas très pratiquante, je ne fais pas shabbat malgré la pression de mon entourage. (Le shabbat : repos de la semaine à partir du vendredi soir jusqu’au samedi soir, prières à la synagogue, interdiction d’utiliser l’électricité, ndlr). Par contre, je mets ma mezzouza sur ma porte (signe de protection de la maison, présence de dieu chez soi, ndlr). »

Son fils de huit ans ne doit pas non plus dire à tout le monde qu’il est juif. « J’ai peur qu’il n’ait pas de copains et qu’il ne soit pas heureux. Qu’on lui mette tout de suite une étiquette de blindé ou de radin. » Des faits divers effrayants comme l’affaire Ilan Halimi, ne font que renforcer Eva dans sa conviction. Elle y trouve une preuve de plus que les préjugés que certains peuvent avoir sur les juifs sont réellement dangereux.

« La mentalité de l’agresseur d’Ilan Halimi a fait ressurgir l’histoire et surtout le fait que nous, les juifs, on n’est pas aimé. On a tellement parlé de nous qu’à l’heure d’aujourd’hui, les gens en ont marre et qu’il y en a qui nous haïssent. J’aimerais que les gens sachent qu’il y a de tout chez les juifs. Des pauvres, des riches. Moi, j’ai commencé à travailler à l’âge de 15 ans, car mes parents n’avaient pas les moyens de me payer la carte orange ou des serviettes hygiéniques. La force qui nous aide à survivre vient de tout ce qu’on a vécu. On se bat pour ne plus jamais revivre cette situation. »

Eva estime que le projet très controversé de Nicolas Sarkozy consistant à lier un élève de CM2 au souvenir d’un enfant déporté pendant la Seconde Guerre mondiale aurait été utile, afin que l’on n’oublie jamais cette partie de l’histoire des juifs. Mais elle admet que c’était peut-être un peu lourd à porter pour des enfants de 11 ans. « Dans les écoles juives, je sais que les parents sont obligés de financer un voyage à Auschwitz. Ils vont visiter les fours crématoires, les camps. L’idée de Sarkozy était bonne dans le sens où on montrait que c’était vrai. »

Eva est nostalgique de la génération de sa grand-mère qui vivait à Strasbourg-Saint-Denis, dans le 10ème à Paris. Cette femme avait des voisins musulmans, avec lesquels elle partageait toutes les fêtes religieuses, l’Aïd, Yom Kippour. Les relations humaines semblaient alors plus simples. « Ma grand-mère laissait toujours sa porte ouverte la journée. Elle voulait que les voisins sachent que sa maison leur était ouverte. » De cette éducation, Eva en a gardé l’essentiel : « Mon mari et moi, nous avons des amis de toutes confessions ou origines, des gens qui nous ressemblent par leur ouverture d’esprit et leur modération dans la religion. »

Elle rêve d’un monde qui surmonterait les barrières raciales et religieuses érigées au fil du temps entre les différentes communautés. Certes, les Français parviennent à vivre les uns à coté des autres sans s’entretuer, mais tout cela est fragile. Un fait divers impliquant des juifs et des musulmans, ou une guerre au Proche-Orient, suffisent à raviver la méfiance et les préjugés. Ce sont bien là les raison qui incitent Eva à être juive, mais pas trop non plus.

Nadia Méhouri

Nadia Méhouri

Articles liés

  • Langue(s) et origine(s) : « l’arabe et moi »

    Pourquoi en France un certain nombre de parents n'ont pas ou peu transmis leur langue maternelle à leurs enfants ? Pour tenter de répondre à cette question, nos blogueuses et nos blogueurs explorent leur histoire familiale. Ramdan nous parle, ici, de son rapport à l’arabe.

    Par Ramdan Bezine
    Le 02/06/2023
  • Ahmed : de prisonnier au Soudan à bénévole auprès des plus démunis à Paris

    Les sept vies d’Ahmed. On peut résumer ainsi le parcours semé d’embuches de ce réfugié soudanais en France depuis plusieurs années. Aujourd’hui, il emploie une grande partie de son temps libre à aider les autres. Portrait d’un bénévole militant.

    Par Christiane Oyewo
    Le 01/06/2023
  • Jeux Olympiques, Grand Paris : sur les chantiers, « les profits avant les vies »

    Précarité du travail, négligence de la formation, recours massif à une main d’œuvre sous-traitante ou intérimaire… Sur les chantiers du Grand Paris et des Jeux Olympiques, l’organisation du travail met en danger les ouvriers. À l’approche des JO, les cadences s’accélèrent et avec elles les risques encourus par les travailleurs. Matthieu Lépine, auteur de L’hécatombe invisible, revient pour le Bondy Blog sur les conditions de travail sur ces chantiers.

    Par Névil Gagnepain
    Le 25/05/2023