Allongé sur son canapé, Arte en fond d’écran de télévision, Arnold a encore du mal à réaliser son immobilisation ou comment sa vie a basculé en quelques minutes dimanche 6 mars Porte de Saint-Cloud (Paris 16ème) suite à une altercation avec des chauffeurs de taxi. Les tensions entre taxis et VTC (Voiture de Tourisme avec Chauffeur), il les connaît évidemment mais ce dimanche, il en est devenu un des protagonistes. Pourtant Arnold, 42 ans, n’est ni l’un ni l’autre.
Ancien livreur, il gagne sa vie depuis 2014 comme chauffeur de grande remise, la nouvelle appellation pour chauffeur de maître. Au volant d’une limousine ou d’une grande berline noire aux vitres teintées, il conduit des « VIP » aux quatre coins les plus chics de la capitale. Huit ans de vie à Londres et ses origines ghanéennes font qu’Arnold est parfaitement bilingue, une qualité recherchée dans cette profession.
Ce jour là, il travaille pour la Fashion week véhiculant fashionistas fortunées et mannequins dans sa Mercedes noire. Ils déposent trois clientes devant le restaurant Le Cardinal puis se gare, convenant avec le voiturier de l’établissement qu’il n’empiète pas sur la sortie de l’espace réservé aux taxis. « Un premier taxi vient me dire que je gêne. Je répond non et me replonge dans mon bouquin. Il revient et tapote sur la vitre avec son stylo puis s’acharne sur ma portière m’expliquant : « Tu ne comprends pas le français ? Tu dégages ! ». Du coup je sors, on s’empoigne et je me débats. Il part puis revient avec un pied de table. Un deuxième chauffeur arrive et s’en mêle avec des propos du type « vous les VTC, vous mangez notre pain alors vous dégagez ! » Puis des menaces du type « on va tous vous casser la gueule ! ». Sauf que je ne suis pas du genre à me laisser faire et au cours de l’altercation, en me débattant, je lui file une beigne dans les dents. Là d’autres taxis arrivent pour défendre leur collègue, puis plusieurs chauffeurs dont des VTC interviennent pour nous séparer ».
Arnold est calme quand il conte son histoire mais une colère froide teinte ses propos. « Je remonte dans ma voiture pour me garer plus loin. Plus tard je me fais interpeller par une policière qui me signifie qu’une plainte a été déposée contre moi pour agression. Je lui signale que c’est moi l’agressé en premier lieu puis elle observe que je suis blessé. Elle me conseille de porter plainte à mon tour et me fait remarquer qu’il y a des caméras de surveillance, que la rixe a donc été filmée et que je n’ai pas intérêt à mentir. Après ma journée de travail, je vais à l’Hôtel Dieu. On me diagnostique un talon d’Achille sectionné et je ressors avec un certificat d’ITT et un arrêt maladie valide jusqu’au 16 mars. Sauf que je vais probablement en avoir pour trois mois d’arrêt car ma blessure va sans doute nécessiter une opération ! ». Jeune papa, cette situation le préoccupe puisqu’il est le seul membre de son foyer à travailler, sa compagne montant son entreprise ne touche encore aucun salaire.
Victime collatérale de la « guerre » entre taxis et VTC ? Arnold en est persuadé mais il refuse de prendre partie pour l’une ou l’autre des corporations. « Le premier responsable de cette situation tendue est l’État. D’abord pour ne pas avoir remédié à la pénurie de taxis à Paris. Puis pour avoir laissé perdurer ce système d’achat de plaques à des prix exorbitants. Ensuite il a autorisé l’arrivée des VTC en délivrant des cartes à tour de bras sans s’assurer que les titulaires aient une formation adéquate. Du coup, n’importe qui a pu devenir chauffeur du jour au lendemain alors que ce métier ne s’improvise pas. D’ailleurs je suis contre le système UberPop permettant à des particuliers d’arrondir leur fin de mois en cassant le marché. »
Arnold n’épargne pas les taxis non plus. « Avant l’arrivée d’Uber, ils faisaient régner leur loi. Combien de fois, j’en ai vu refuser une course car la distance ne les satisfaisait pas ou que la ville de Seine-Saint-denis où j’habite ne leur revenait pas. L’arrivée des VTC a permis une remise en question salutaire sur la qualité du service ou simplement sur l’accueil des clients. Désormais ils ont intérêt à être sympas et serviables car la concurrence est là ! ».
Les babillements du bébé d’Arnold rythme son récit. « J’aime mon métier car on rencontre tout type de personnes et il m’a permis de me lier d’amitié avec certaines d’un autre milieu que le mien, des gens « de la haute » que je n’aurais jamais eu l’occasion de croiser autrement. Mais je pense que je vais devoir faire une croix dessus. Déjà ça devient trop dangereux : la preuve ! Ensuite, une amie de la directrice de la communication de la fédération de la mode a assisté à une partie de l’altercation. Or mon employeur m’a fait savoir que cette directrice ne voulait plus que je travaille pour la Fashion week. Peut-être est-ce le moment pour moi d’arrêter et de reprendre le chemin de ma formation initiale : le secteur commercial ?». Arnold s’interroge sur son avenir professionnel mais il est certain d’une chose. Les tensions entre taxis et VTC sont loin de s’apaiser. Et il ne veut plus prendre le risque de se retrouver une nouvelle fois à la rubrique faits divers à cause du courroux de certains taxis prêts à en découdre avec le premier chauffeur de VTC ou de grande remise venu.
Sandrine Dionys

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