C’est donc la rentrée : des mioches, des politiques, des syndicats, des écrivains, des chanteurs, des radios, des télés…Les vacances s’en sont allées, le soleil, pas encore. Il nous invite à des prolongations estivales dans nos jardins réels ou imaginaires, avec, planté dans un coin, le barbecue. Pour de savoureuses grillades.

L’art du barbecue nous a été transmis par nos ancêtres, qui à quelques semaines près, ont côtoyé les dinosaures. Feu, viande, manger. Miam-miam. Nos aïeux à poils longs ont inventé la viande cuite. Pour eux, fini les touristas et les longues nuits à s’essuyer avec des feuilles de vigne. Avaient-ils d’emblée réclamé que la viande soit saignante ou à point ? Quand vous faites un barbecue pour une dizaine de personnes, il n’y a pas plus casse-pied que de surveiller la cuisson des viandes selon les désirs des uns et des autres, alors que votre seule envie est de planter vos dents dans cette chair qui sent bon la grotte enfumée.

Cet art ancestral est inscrit dans nos gênes. Voyez ce couple d’automobilistes qui circulait sur une route départementale de le Sarthe. Tombés en panne, ils ont fait appel à une dépanneuse qui tardait à venir. Ils avaient si faim qu’ils se sont servi d’un panneau de signalisation en guise de plaque à grillades. Ils ont moins apprécié leurs saucisses quand la gendarmerie a engagé une procédure pour dégradation de bien public.

Quand j’étais enfant, à Alger, on avait à la maison une sorte de jatte en argile, avec sa grille, qui faisait office de barbecue. Posée sur un réchaud à même le sol. De préférence sur le rebord – large – d’une fenêtre ouverte. Le balcon étant réservé au linge, ma mère veillait comme une sentinelle à sauvegarder la fraîcheur « lavande » des habits séchant au soleil. On appelait et on appelle encore ce barbecue de fortune, un nafekh. Il est toujours de sortie à l’Aïd el Kebir, le jour du sacrifice du mouton, ce jour où l’estomac de Brigitte Bardot s’étrangle. Sur le nafekh, on grille le cœur et surtout el melfouf. Ce dernier est composé d’une crépine fine de mouton, de foie, le tout parfumé au cumin. Délicieux si mes souvenirs ne me trahissent pas.

Si vous voyagez plus au sud, le barbecue est un mouton enfoui dans le sol et cuisant dans la braise. Le vrai « méchoui ». Vu sur France 5 : des bédouins marocains tentent de faire déguster des testicules de mouton braisé à une présentatrice d’une émission culinaire. Elle, très parisienne et plutôt canon, meurt d’envie de savoir ce que c’est « ce truc tout noir » qu’elle s’apprête à avaler. Les bédouins, très prudes mais rigolards, cherchent leurs mots pour le lui dire.

C’est cet été seulement que j’ai approché un vrai barbecue. Une belle fin d’après-midi de juillet. La famille a décidé d’inaugurer le barbecue, dodu et rond dans sa robe noire. Sur un grand et beau balcon entouré de fleurs et de plantes vertes, il est posé sur une petite table conçue spécialement pour lui. Personne ne connaît précisément comment tout cela fonctionne. Aucun n’a eu l’idée de lire le mode d’emploi. On fera donc à l’instinct. La viande a été préparée avec amour. Des cervelas, des saucisses, des côtes de porcs et pour moi – mais les autres, ces voraces, m’en piqueront – des merguez, du poulet et des côtelettes d’agneau.

Il a fallu s’y prendre à deux fois pour allumer le barbecue. Tous les moyens ont été bons pour attiser le feu : un éventail, une revue, un carton, un plateau en cuivre… Quand le charbon a pris sa couleur grisé-rouge, on a cru qu’on était tiré d’affaires. Que non. Un individu de cette belle assemblée avait eu la bonne idée de faire mariner une partie de la viande dans de l’huile et des épices. Ce qui devait arriver arriva. Le mélange huile-braises brûlantes provoqua un épais nuage de fumée. L’air se chargea d’une odeur âcre piquant les yeux et irritant la gorge. J’étais à Moscou.

Tout le monde s’est refugié dans l’appartement en prenant soin de fermer les portes vitrées, sauf le préposé au barbecue et la maîtresse de maison qui criait : « Mes fleurs, mes fleurs ! Mes loups (une variété de plante) ! Oh mon Dieu ! » Elle a protégé ses chefs-d’œuvre comme elle a pu. Heureusement, le vent s’est levé. Un – long – moment plus tard, nous voilà réunis autour de la table, pour apprécier ce repas durement gagné.

Pour accompagner les grillades, une salade de pommes de terre, tomates, oignons et olives grecques, assaisonnée d’une vinaigrette à l’huile d’olive et au vinaigre de cidre. Un enchantement. Rentré depuis à Paris, je contemple le rebord de ma petite fenêtre. J’aimerais bien me procurer une jatte d’argile, tiens !

Malik Youssef

Le coin recette : El melfouf

Chorba Boy décline toute responsabilité si vous vous plantez dans la recette

Les ingrédients : foie de mouton, crépine de mouton fine, cumin, sel et poivre.

La préparation : découper le foie en morceaux moyens. Enduire les morceaux de sel, poivre et cumin. Découpez la crépine en longues bandelettes. Envelopper les morceaux de foie de crépine. Les enfiler sur les broches. Faire griller sur le barbecue. Servir chaud accompagné de thé.

Bon appétit !

Malik Youssef

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