Devant la mairie de Clichy-sous-Bois, les femmes sont belles, les hommes ont mis leur costume trois pièces. Les mariés attendent sagement leur tour pour sceller leur destin. A cinquante mètres de là, devant le collège Doisneau, le recueillement est de mise. Les visages sont fermés, les mots ne sortent pas, le ciel est bas. Guy Bedos, avec une voix raillée, formule quelques phrases pour rendre hommage à la mémoire des deux gamins. Des jeunes de la ville, mais aussi d’ailleurs, de Montfermeil, de Bobigny, de Pierrefitte composent les petites grappes disséminées sur le terrain en pente devant la stèle. Quand on leur demande pourquoi ils sont venus ce matin, ils vous regardent droit dans les yeux l’air de dire : « Bouge de là, je n’ai pas envie de parler ! » Petit à petit, les mâchoires se desserrent, les mots reprennent le dessus. Commémoration ou mariage, l’émotion est la même, elle sèche les gorges et noue les tripes.

Du haut de la colline, à l’écart de la foule, des jeunes observent la scène en silence, les mains dans les poches, la tête dans les capuches, la lassitude dans les propos : jeunes_1.mp3
 

Les gens se croisent, se saluent les uns les autres. Les officiels répondent aux sollicitations des journalistes. Les petits groupes débattent d’une manière informelle. Qu’est-ce qui a changé depuis novembre 2005 ? : « Les jeunes se sont inscrits en nombre sur les listes électorales, la prise de conscience politique de ces gamins est indéniable, mais la société française reste sourde à tout ça ! « . Même si on consent du bout des lèvres que les choses bougent lentement, la réalité quotidienne renvoie un goût amer : « Sarkozy va vendre le TGV à Marrakech, et nous on attend un train depuis des années. Paris-Lyon, c’est possible en deux heures, Paris-Clichy-sous-Bois, c’est le bout du monde ! « .

Des gamins de 10-12 ans sont assis autour de Brahim, natif de Maubeuge, Clichois depuis l’âge de trois ans. Stand-up autour d’un banc public : banc.mp3
 

Plus loin, deux mères de famille se parlent avec cette langue si particulière : le français teinté de mots arabes illustré par la gestuelle napolitaine. Après un petit salam alikoum d’usage, les deux femmes exposent leur avis sur la situation : dame.mp3
 

La deuxième partie de la matinée s’est déroulée dans l’enceinte de l’espace 93, une ancienne ferme réaménagée en centre culturel. Conférence de presse organisée par les avocats des familles de Zyed et Bouna. Il a été question de retard à l’allumage de la procédure et des lenteurs de la justice. Maître Mignard a lancé un appel à l’humanisme du président Sarkozy pour faire accélérer les choses. Dans la salle, les conversations se sont poursuivies en petit comité. « Je me suis fait palper par la police à l’âge de 13 ans, nous sommes sous pression en permanence, on est considéré comme des coupables potentiels, comment veux-tu aimer la police dans ces conditions ?  »

Les dernières personnes s’apprêtent à quitter les lieux. Brahim et ses copains traînent devant l’entrée de l’espace 93. On sent dans leur comportement une envie de prolonger la matinée. Dans la voiture, je me suis souvenu d’une rencontre entre Nicolas Sarkozy et des jeunes de Meaux, lors de la campagne des présidentielles, où le candidat promettait à l’assistance que les banlieues seraient une priorité nationale en cas de victoire le 06 mai. Depuis, il est surtout question d’identité nationale.

Nordine Nabili

Nordine Nabili

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