En France, on a la journée commémorative de l’abolition de l’esclavage. Outre-Atlantique, un mois entier est consacré au souvenir de la traite négrière. Alors, une fois n’est pas coutume, on a voulu copier les Américains. Et pour cette première édition du Black History Month métropolitain, on a fait appel à Kathleen Cleaver. Ou la figure féminine du mouvement historique des Black Panthers. Rien que ça.
La rencontre a bien failli être annulée quelques jours avant. L’ambassade américaine ayant gentiment refusé de recevoir la figure emblématique des panthères noires, le ministère de l’Outre-Mer a finalement accepté de dépanner. « Et tant pis si demain je me fais tirer les bretelles par Claude Guéant » plaisante Claudy Siar, délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’Outre-mer.
Ce mercredi soir, l’imposante salle Félix Éboué du Ministère de l’Intérieur et de l’Outre-Mer est pleine à craquer. Premiers arrivés, premiers assis. Les retardataires restent debout. Ça vaut le coup. En attendant la Black Panther, on diffuse le documentaire éponyme d’Agnès Varda, sorti en 1968. Et étrangement actuel. Dans une certaine mesure. Comme cette question de look et d’apparence, soulevée par la jeune Kathleen Cleaver dans le documentaire, arborant la coupe afro. Elle, la claire de peau aux yeux verts.
Black is beautiful as ever. À l’époque secrétaire de la communication au Black Panther Party, elle affirme, face caméra : « Depuis tant et tant d’années, on nous a raconté que seuls les Blancs étaient beaux. Seuls les cheveux raides, les peaux claires, les yeux bleus étaient beaux (…) Les hommes Noirs faisaient savoir qu’ils trouvaient belles les femmes blanches, et qu’ils ne voulaient pas d’affreuses noires avec des cheveux courts… Ça a changé. Les Noirs sont conscients maintenant que leur propre apparence est belle. Ils en sont fiers. » C’est de ce discours là que naîtra le slogan « Black is honest and beautiful ». Véritable cri de ralliement du Black Panther Party dès la fin des années 1960.
Militante dans l’âme. 44 ans plus tard, la hargne de celle qui fut la première femme à intégrer le comité central du mouvement est toujours vivace. Toujours à l’affût des injustices sociales de son pays. « Hier, les services secrets s’acharnaient à éliminer les figures éminentes du Black Panther Party, allant parfois même jusqu’à l’assassinat. Aujourd’hui, le Black Panther Party n’existe plus. Pourtant, des personnes continuent d’être pourchassées et emprisonnées pour leur engagement passé » témoigne celle qui, en plus d’être professeur de droit à l’université de Yale, travaille aussi en tant qu’avocate. Une manière de continuer dans l’activisme. Elle s’est notamment consacrée à la défense de Elmer «Geronimo» Pratt, un ancien Black Panther emprisonné 27 ans durant pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Entre autres soutiens aussi, Kathleen Cleaver s’investit dans la campagne pour sauver Mumia Abu-Jamal. Des couloirs de la mort d’abord. De la prison à perpétuité ensuite.
Parallèle avec la France. Pour autant, Kathleen Cleaver tient à gommer l’image sulfureuse et fantasmée des Black Panthers qu’ont certains jeunes, en France notamment. « Ils ont tendance à imaginer l’histoire de ce mouvement comme s’il s’agissait d’un film », regrette son ancienne porte-parole. Sans pousser l’analogie à fond, elle trouve qu’« il existe des parallèles entre la situation des quartiers en France et celle des quartiers aux Etats-Unis. En terme de discrimination par exemple, vis-à-vis des Français d’origine africaine. On ne les considère pas comme citoyens à part entière. Ils souffrent du racisme, c’est un fait. » Pour Kathleen Cleaver, cela s’explique historiquement, « par la manière dont les pouvoirs coloniaux ont traité les gens, sans aucun égard et respect. Bien sûr, ce parallèle entre les deux pays s’arrête si l’on considère le contexte dans lequel le mouvement des Black Panthers a émergé : nous étions en pleine révolte, les lois sur les droits civiques adoptées n’avaient qu’une existence théorique. »
À la simple évocation de Frantz Fanon, dont le mouvement Black Power s’était d’ailleurs inspiré à l’époque, la militante historique du Black Panther Party, termine, le regard ailleurs : « si un modèle doit vous servir en France, autant que ce soit un modèle français. Autant que ce soit Frantz Fanon ! »
Hanane Kaddour
Black Panthers – Agnès Varda – 1968
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