Rue Erlanger, des tracts déchirés ornaient quelques poteaux. On pouvait y lire des propos racistes et violents. Dans le 16e arrondissement de Paris, la présence des mineurs exilés dans une école désaffectée, depuis le 4 avril, a suscité l’agressivité d’une partie des riverains. Au total, plus de 400 jeunes se trouvent en situation de recours juridique et attendent que le juge des enfants statue sur leur minorité.

Alors que les associations réclament leur mise à l’abri, plusieurs groupes d’extrême droite se mobilisent. Mardi 16 mai, le groupuscule Les Natifs ont manifesté devant l’école avec une banderole : « Clandestins expulsions, Utopia dissolution. » Cette milice a été formée par d’anciens membres de Génération identitaire, mouvement dissous par le gouvernement en Conseil des ministres en mars 2021. Sur Instagram, plus de 5 000 personnes sont abonnées au compte des Natifs, créé en novembre 2021.

Ce soir-là, vers 19h30, une vingtaine de personnes sont aperçues, certaines avec des fumigènes à la main. Très vite, les bénévoles demandent aux jeunes de rentrer dans le bâtiment. Fondatrice et présidente de l’association solidaire les Midis du Mie, une des associations qui gère l’occupation de l’école, Agathe Nadimi appelle la police. « Les forces de l’ordre ont été très réactives, mais le groupe est parti rapidement. Certains policiers en civil ont circulé dans le quartier pour essayer de les retrouver », relate-t-elle.  

Mineurs et bénévoles, face à la violence de l’extrême-droite

Directement visée par les slogans, l’association Utopia 56, représentée par Yann Manzi, a porté plainte contre ce collectif. Une enquête est ouverte pour incitation à la haine. Si les Natifs se sont alors pointés devant l’école pour la première fois, jeunes et bénévoles essuient de nombreuses incivilités depuis leur installation.

« Immédiatement, on a commencé à recevoir des invectives de la part des riverains. L’un d’eux m’a dit que j’étais responsable de la mort de milliers de personnes dans la Méditerranée, car je créais un appel d’air. C’est hyper violent », confie Agathe. Autre signe d’hostilité dès le deuxième jour : la banderole placée à l’entrée de l’école trouvée déchirée. « Tout de suite, des autocollants du parti d’extrême droite Reconquête (fondé par Eric Zemmour) ont été collés dans les rues du quartier. On a bien compris que ce territoire était le leur », complète-t-elle.

Jusqu’à ce qu’ils viennent manifester devant les grilles de l’école, mardi 9 mai. Lors d’un reportage de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles, publié le 11 mai, on peut observer Philippe Vardon, le conseiller municipal de Nice (Reconquête) et Stanislas Rigault, président de Génération Zemmour et membre du Bureau exécutif.

« L’école devient un terrain de jeu politique »

Dans une vidéo qui circule sur les réseaux sociaux, Philippe Vardon s’en prend à Agathe Namidi dont le calme est olympien. « « Vous êtes le dernier relais des mafias et des milices de passeurs », assenait-il. Ce jour-là, Emma, bénévole à Tara, centre qui accompagne les jeunes exilés, assiste également au rassemblement « Reconquête ».

Elle se souvient d’une dame qui l’invective : « Après, il ne faudra pas venir se plaindre d’être violée. Ils ont des besoins sexuels ». Encore choquée par ces propos, Emma regrette une déshumanisation des jeunes par ces groupes d’extrême droite. Cette action a eu lieu quelques jours après que le vice-président Les Républicains d’Ile-de-France, Othman Nasrou, a demandé la dissolution d’Utopia 56 sur la chaîne Cnews.

« C’est une haine globalement alimentée par certains médias », regrette Nikolaï Posner, chargé de communication d’Utopia 56. Mi-avril, les Némésis, groupuscule d’extrême-droite mené par Alice Cordier, était venu devant les grilles de l’école. « Ce n’est pas une pression tenable. L’école devient un terrain de jeu politique, alors que ce n’est pas l’idée », s’agace Agathe qui estime les provocations « incessantes ». 

« Deux ou trois voisins viennent quasi tous les jours, ils ne veulent pas lâcher l’affaire », déplore-t-elle. Pour rappel, il n’y a eu aucun débordement depuis l’arrivée des jeunes, selon les associations sur place. Dans un tel contexte, difficile de ne pas dresser un parallèle avec la situation à Saint-Brevin. Victime de violences d’extrême droite, le maire Yannick Morez a décidé de démissionner, dénonçant le manque de soutien de l’État.

Le silence de l’État dénoncé

Pour Nikolaï Posner, on observe « une montée crescendo de la violence » couplée à un « durcissement de la politique migratoire ». Avant l’occupation de l’école, les campements des jeunes exilés à la rue étaient systématiquement démantelés et ces derniers subissaient un harcèlement policier. L’occupation de cette école sert à « visibiliser » la situation des jeunes exilés afin qu’ils soient pris en charge, rappelle l’association. Mais les bénévoles n’avaient pas anticipé une hostilité aussi forte.

« Pour les jeunes, c’est plus l’association qui est visée. Ils ne se sentent pas directement attaqués », indique Fanny, co-présidente de Tara. Pourtant, des riverains vont même jusqu’à distribuer des tracts aux jeunes à la sortie du métro Exelmans. Sur certains, on peut lire « Molitor en colère » avec une adresse mail à laquelle s’adresser. Pour l’instant, le stade des violences physiques n’a pas été atteint, mais une politique de surveillance est mise en place. Des veilleurs de nuit sont présents sept jours sur sept. « Nous sommes actuellement en cours de réorganisation », admet Fanny. Le commissariat du 16e a aussi organisé des rondes régulières.

« On n’a pas de réactions des pouvoirs publics »

De son côté, la mairie du 16e arrondissement affiche sur son site  : « Stop à l’occupation illégale de l’école Erlanger ! ». Astrid Renoult, directrice de cabinet du maire Francis Szpiner condamne ces groupuscules d’extrême droite qui « cherchent l’incident » et ne sont pas « représentatifs des riverains du 16e arrondissement ».  Dans le même temps, elle affirme que « l’occupation de l’école reste illégale » et demande sa fin immédiate.

« Nous aussi, on ne demande qu’à partir pour être relogés », ironise Nikolaï Posner. Au total, une vingtaine de mails ont été envoyés à la préfecture, sans réponse. Au-delà des intimidations menées par les groupuscules d’extrême droite, c’est le silence de l’État qui inquiète les bénévoles. « On n’a pas de réactions des pouvoirs publics », poursuit Fanny.

Tout ce qu’on veut, c’est qu’ils soient mis à l’abri

La préfecture n’a pas répondu à nos questions. « Ce qu’on demande, c’est la présomption de minorité. Ce n’est rien d’extraordinaire, tout ce qu’on veut, c’est qu’ils soient mis à l’abri en attendant que le juge statue », souligne Nikolaï Posner. Au départ, l’action à l’école n’était pas destinée à durer, mais elle s’étale maintenant sur plusieurs semaines.

La mairie de Paris a installé un point d’eau et des toilettes mobiles. Par ailleurs, elle fournit un repas tous les soirs. Cependant, les conditions de survie dans l’école restent précaires. Le bâtiment ne compte ni électricité ni eau courante. « Un voisin avait accepté que des jeunes se douchent chez lui, un autre nous faisait chauffer de l’eau », rapporte Emma. Preuve qu’un réseau de solidarité s’est tissé autour de l’école, malgré les intimidations de l’extrême droite.

Audrey Parmentier

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