Le texte de Mehdi et Badrou est un concentré d’interrogations et de réponses implicites…
Je sais, c’est difficile de faire preuve de lucidité en ce moment, l’écho des balles du 13 novembre et le vacarme des urnes du 06 décembre transforment votre cerveau en bouillie. Néanmoins, il y a deux voies possibles à présent : le départ. Vous prenez vos cliques et vos claques pour aller respirer l’air ailleurs. Vous vous barrez, vous sauvez votre peau, vous plantez votre destin ailleurs. Le monde est vaste, les opportunités grandes. Il vous faut un peu de courage, de la détermination et une capacité forte à gérer les incertitudes. Vous avez délivré de beaux messages et des preuves incontestables de votre intelligence créative en si peu de temps.
Je n’ai aucun doute sur votre capacité à refaire votre vie ailleurs. Parce que vous avez bien compris ce qui se joue en ce moment dans le pays. La création d’un conflit imaginaire, symbolique, une mise en scène macabre, un tableau anxiogène, un diagnostic mensonger pour identifier le coupable, la figure ennemie, le totem de nos problèmes sociaux. Le reste, vous le savez, n’est que palabres, pièges, provocations, manipulation, vanité et prétentions. La France ne sort pas grandie de cette élection. Mais tout le monde s’en fout puisqu’il vaut mieux opérer un renversement de la situation pour l’inscrire dans le registre de l’émotion, de l’affectif, que de mettre le doigt sur les processus, les renoncements et le cynisme politique en cours. C’est rassurant pour les électeurs de retrouver de la fierté à travers un bulletin de vote, même si celui-ci concentre un potentiel séparatiste. Vous avez conscience de tout ça du haut de vos 23 ans.
À votre âge, nous chantions « la jeunesse emmerde le front national » dans nos manifs. Aujourd’hui, votre génération Y/Z/Charlie/Bataclan et que sais-je encore, s’abstient (64 %) ou vote FN (34 %). Elle cherche l’ordre, la sécurité, le discours de vérité, les certitudes. Des trucs de vieux, de conservateurs, des références pour esprits fragiles et fébriles. Cette génération pour qui la vie n’est pas rose : 1 jeune sur 5 vit sous le seuil de pauvreté ; en 10 ans, le nombre de pauvres de moins de 30 ans a augmenté de plus de 50 % ; sans parler des difficultés pour se loger, étudier et d’accès à l’emploi. La France occupe le peloton de tête du plus fort taux de chômage des jeunes en Europe. Bref, le tableau n’est pas reluisant et le bilan politique de ces 30 dernières années est triste à pleurer. Les rêves sont devenus des ruines. La génération des baby-boomers est en cessation de paiement, de réflexion. Elle se vautre dans la gestion des acquis avec des postures normées, désynchronisées avec la réalité. La jeunesse est le plus important dégât collatéral de ce dépôt de bilan. Elle est prête à confier son destin au premier marchand de sable.
Il vous reste donc la deuxième voie : rester. Parce que la France vous appartient, a besoin de vous, besoin de votre amour, de vos idées, de vos engagements, de votre joie de vivre. Parce que la jeunesse est le capital indispensable d’une grande démocratie solidaire et fraternelle. Parce que le monde nous regarde et attend notre réponse et notre riposte. Vous devez tout chambouler, mettre le bazar dans les salons confortables, bousculer les principes, harceler les résistances, demander des comptes aux responsables politiques, investir les lieux de décisions, en créer des nouveaux. Il faudra aussi répondre à ceux qui, sourire en coin, voudront vous enfermer dans un statut d’idéaliste. Parce qu’ils sont incapables d’entendre autre chose que les certitudes xénophobes pour expliquer la complexité. Enfin, il faut rester parce que tout est à construire ici et que l’avenir vous appartient.
Nordine Nabili

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