Quitter la grisaille de la métropole est le rêve de beaucoup d’Ultras-marins. Sur les réseaux sociaux, on trouve beaucoup de discussions consacrées à ce sujet. Revenir pour le cadre de vie, pour se rapprocher de sa famille… Les raisons sont multiples.

La popularité que connaît le compte Instagram « Retour au Péyi » témoigne de cet engouement, il engrange plus de 46 000 abonnés. Ce compte regroupe les témoignages de celles et ceux qui ont passé le cap et sont « revenus s’installer chez eux ».

Mais ce retour est source d’appréhensions tant les territoires ultramarins ont été délaissés par les pouvoirs publics. « Revenir en Guadeloupe implique de faire face aux conditions socio-économiques que l’on connaît. C’est une barrière, par exemple : quand tu te réveilles , tu ne sais pas s’il y aura de l’eau », explique Lionel NJ. Ingénieur en conception logicielle, ce jeune homme originaire de Guadeloupe, ne se voit pas faire sa vie là-bas pour ces raisons. En tout cas pas aujourd’hui.

J’aimerais y retourner pour y vivre, mais sous certaines conditions

Revenir au pays, induit souvent d’accepter un salaire moins élevé sur un territoire où tout est plus cher. Quand on trouve un emploi dans sa branche, bien sûr. Cela représente un des freins pointés par les différentes personnes interrogées. « J’aimerais y retourner pour y vivre, ça c’est sûr et certain, mais sous certaines conditions. Il me faudrait un travail, et un espace à moi. Pour l’instant je me concentre sur ma carrière », expose Lionel N-J.

Cette différence de qualité de vie est loin d’être nouvelle. Dès 1939, Aimé Césaire publie Cahier d’un Retour au Pays Natal. Il y décrit une réalité difficile et des conditions de vie insalubres, sans commune mesure avec la vie métropolitaine. La relation entre les DROM (départements et régions d’Outre-mer) et la métropole est complexe.

Une fuite des cerveaux institutionnalisée

Les phénomènes observés aujourd’hui prennent leurs racines dans un passé parfois douloureux. C’est le cas de la perte des forces vives locales au profit de la métropole. Elle peut être datée de la création du BUMIDOM (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer). Créé en 1963, ce programme visait à faire venir en métropole des travailleurs antillais, alors même qu’il y existe un fort besoin de main d’œuvre.

L’autre objectif de cette initiative aura été de couper court aux contestations alors florissantes dans les DOM. À l’époque, ces territoires sont déjà les grands oubliés des 30 glorieuses. L’État fait ainsi venir des jeunes, des travailleurs, qui constituent la base du mouvement, comme l’explique Sylvain Pattieu, maître de conférences en histoire.

Quarante ans après la fin du BUMIDOM, nombre d’Antillais sont toujours loin de chez eux. En 2017, d’après l’INSEE, près de 40% des natifs de Guadeloupe et de Martinique (entre 15 et 64 ans) vivent hors de leur région d’origine. Le pourcentage est autour de 30% pour la Guyane et Mayotte.

Aujourd’hui, les jeunes quittent en général les Antilles au moment de faire des études. L’offre de formation en études supérieures est limitée, et même celles disponibles se font dans des infrastructures souvent vieillissantes.

Une fois leurs études finies, ils trouvent aussi plus facilement du travail en métropole. Selon l’INSEE, seule une personne en âge de travailler sur deux possède un emploi en Guadeloupe, contre six sur dix en France métropolitaine.

Des inégalités toujours criantes entre les DROM et la métropole

Le retard économique accusé par les DROM est important. Ces territoires ont développé une économie principalement agricole et tournée vers l’exportation, mais aussi le tourisme. Cette structure de production rend difficile l’autonomie du territoire, car peu d’autres secteurs sont représentés.

Ainsi, un tiers des Guadeloupéens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le niveau de vie médian est de 15 770 euros par an. En France métropolitaine, 14.9% de personnes vivent sous le seuil de pauvreté et le niveau de vie médian est de 20 820 euros.

Place Schoelcher, St Anne,Guadeloupe, 2022 / ©AmbreCouvin

L’ensemble de ces inégalités est dénoncée de plus en plus bruyamment avec le renouveau des luttes aux Antilles, un mouvement encouragé par les réseaux sociaux. Les discussions sur l’autonomie et sur le développement économique local sont nombreuses. En parallèle, les initiatives visant à promouvoir le retour d’une main d’œuvre qualifiée au pays se développent de plus en plus.

Cela se fait aussi sur les réseaux sociaux et via des associations locales. On peut citer Alé vini, présente en Guadeloupe et en Martinique, qui se proposent d’assister les candidats au retour.

« Le déracinement est vraiment difficile à vivre »

Quand on discute avec ses amis, sa famille antillaise, la plupart d’entre eux aimerait retourner au pays un jour. Le cadre de vie est magnifique, c’est là qu’on y a ses racines, sa culture. Vivre loin de tout cela est loin d’être évident. Lionel A., agent de recouvrement, en témoigne : « Le déracinement, c’est vraiment difficile à vivre. Ça fait 4 ans que je suis ici et je pense rentrer dans les mois à venir. Je supporte mal le froid, et ça m’est vraiment difficile d’être loin de mon pays et de ma culture. »

Si sa décision est actée, le Lyonnais d’adoption anticipe les barrières : « J’aurais besoin de bons contacts pour retrouver un travail intéressant au pays. La vie est chère, autrement plus chère qu’ici, mais je priorise le bien-être de ma famille ».

J’ai décidé de revenir sur un coup de tête

Et la famille, en effet, c’est important. Être loin de ceux qu’on aime est aussi une souffrance pour beaucoup. « J’ai décidé de revenir sur un coup de tête », raconte Roxanne. L’infirmière de 26 ans y pensait déjà depuis un moment.

Et puis un jour : « J’étais au travail et d’un coup j’ai demandé à mon collègue de regarder le prix des billets, je lui ai dit “je pars” ! Ma famille me manquait énormément, et je ressentais un trop plein général. Ça n’a pas été simple, car on s’habitue à ses amis, son confort, ses habitudes de vie en métropole », témoigne Roxanne. Pour autant, elle ne regrette pas son choix, « si c’était à refaire, je le referais. Encore plus tôt même ! »

Place de la Victoire, Pointe à Pitre, Guadeloupe, 2022 / ©AmbreCouvin

Ramener ses compétences à la maison

Être antillais, c’est aussi, souvent, avoir un attachement particulier à son territoire d’origine, et vouloir le voir se développer. Ainsi beaucoup de retour sont motivés par la volonté de ramener ses compétences à la maison.

Reinette C., 60 ans, était artisan de sellerie-tapisserie ameublement et auto avant de quitter la Martinique. Il veut reprendre son activité en Marinique et y ajouter la maroquinerie, pour laquelle il se forme actuellement, en parallèle de son travail.

« Je reconnais que j’ai beaucoup appris ici, je veux servir mon pays avec tout ce que j’ai pu apprendre. Ma clientèle attend mon retour avec impatience ! », se réjouit Reinette C. « J’ai toujours dit que je ne quitterais mon travail actuel que pour retourner au pays, car je suis heureux de ce que je fais », poursuit-il.

Lui aussi a conscience des difficultés induites par le retour : « En métropole, on a une facilité à obtenir des choses, à se déplacer. En Martinique, là où je vivais, le premier centre commercial était à minimum 20 km. Mais le plaisir, la joie d’être chez soi, ça n’a pas de prix ».

À l’époque, on n’avait pas tous ces problèmes d’eau, d’électricité

Outre le salaire, le niveau de vie paraît péricliter depuis plusieurs années. « J’ai quitté la Guadeloupe à 9 ans, et je n’y suis retournée que bien plus tard, pour suivre mon époux qui y avait été muté », témoigne Pauline Couvin (membre de la famille de l’auteure de l’article).

Aujourd’hui retraitée et engagée dans la vie associative locale, elle observe une dégradation des conditions de vie. « Je n’ai jamais regretté ce retour, même s’il faut dire qu’à l’époque, on n’avait pas tous ces problèmes d’eau, d’électricité, de pollution, qu’on a aujourd’hui. »

Problèmes d’eau courante, d’électricité, mais aussi routes et bâtiments publics mal entretenus affectent le quotidien des Antillais. Cela nuit aussi au développement de nouvelles activités entrepreneuriales, et ainsi à la création d’emplois pouvant motiver au retour. Et la boucle est bouclée.

Ambre Couvin

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