Après avoir évoqué son travail aux côtés du maire de Clichy sous Bois, Ali Zahi nous parle, dans la suite de son interview, de la ville qu’il tente de sortir de l’enclavement économique et géographique.

La deuxième partie de l’entretien commence par ce constat. En tant que Bondynois je me considère comme un privilégié quand j’arpente les rues de Clichy sous Bois. C’est une ville assez mal construite avec des grands ensembles éparpillés, des terrains vagues pas très avenants, beaucoup de bâtiments délabrés et c’est surtout une cité totalement enclavée, loin, très loin de… tout. Comptez une heure de transport pour un Paris-Chartes, Clichy Sous Bois- la capitale ça peut prendre facilement 1h30. Pas de gare dans ce bassin d’habitation avoisinant les 60 000 habitants, juste des bus tout pourris (en plus je déteste prendre le bus). Ali Zahi peut le confirmer « on est à 10 Km à vol d’oiseau de l’Élysée il parait même qu’on peut voir la Tour Eiffel par temps clair, il reste que pour aller à Paris c’est la mission. On se bat pour que le tram-train passe ici, pour l’instant on attend ».

On sait tous que rien n’a changé depuis les émeutes de 2005 si ce n’est que la ville est en passe d’obtenir un commissariat. L’Etat a aussi débloqué des sous sous pour les associations mais il s’agit de fonds gelés débloqués suite à l’embrasement des banlieues. Il y a également un projet de renouvellement urbain initié bien avant les émeutes mais celui-ci ne verra le jour qu’aux alentours de 2015.

« Tu peux rajouter sur tes notes, me glisse Ali, que la moitié de la population a moins de 25 ans, qu’on a le plus gros taux de natalité de tout le département mais que les services publics ne suivent pas. La CAF est à Rosny, à deux heures en transport. Pas d’agence ANPE non plus, malgré un taux de chômage avoisinant les 20% ». Quand à la mise en cause de la richesse esthétique de Clichy, Ali me rétorque que « toutes les cités qu’on peut observer en arrivant ici sont des copropriétés tenues pour certaines par des marchands de sommeil. L’esthétisme ils s’en foutent. »

En bref Clichy sous Bois réunit tout ce qui fait le malaise des banlieues, d’autant plus que la ville est fauchée comme les blés. Ali sort des graphiques et confirme que « le revenu fiscal par habitant du 93 est pratiquement le plus bas du pays. La ville de Clichy sous Bois est la lanterne rouge du département, 416 euros par an et par habitant. En comparaison Bondy, qui n’est déjà par très riche dispose de 581 euros et Tremblay grâce à l’aéroport de Roissy dispose de 2140 euros par administré et par an ». Il renchérit en comparant Clichy a une cité voisine: « Aulnay sous Bois dispose d’autant d’écoles que notre ville, là où Aulnay peut mettre 10 euros dans le budget scolaire nous on peut n’en mettre qu’un. Les inégalités existent jusqu’ à l’intérieur du département. » En gros quand Clichy sous Bois veut embaucher un animateur de centre, toute la mairie se met à la soupe bondynoise (eau chaude, ketchup) et au sandwich déche (mayonnaise dans du pain).

Pour finir je demande à Ali quels peuvent être les moyens de sortir Clichy sous Bois du fossé. Il lance sans hésitation: « Prendre le problème à bras le corps et dire : ok pendant5 ou 6 ans on se donne les moyens d’agir, mais vraiment ! L’équivalent d’un plan Marshall. C’est pas seulement Clichy, 6 millions de personnes vivent en banlieue, 10% de la population du pays, et l’Etat ne leurs réserve que 0,35% de son budget. »

Après l’interview, de retour à Bondy, je suis allé tailler le bout de gras avec un ami qui a longtemps habité à Clichy sous Bois. Je lui ai demandé de me raconter son quotidien de Clichois, la réponse fut brève : « Disons que là-bas tu as deux choix pour t’occuper si t’as pas le permis : le foot ou brûler des voitures ».

Idir Hocini

Idir Hocini

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