Luxleaks, Swissleaks, Panama Papers. Ces noms de code de fuites de documents révélées par plusieurs centaines de journalistes à travers le monde ont montré l’étendue de l’optimisation fiscale, de l’évasion fiscale ces dernières années. Eh bien voici le petit dernier, Paradise Papers, illustrant combien des multinationales et des particuliers hautement fortunés ont dissimulé une partie de leurs revenus sur des paradis fiscaux comme l’île de Man par exemple. Parmi les personnes citées dans cette enquête figurent des proches du président américain Donald Trump, des amis du Premier ministre canadien Justin Trudeau, la reine Elisabeth II du Royaume-Uni, le pilote britannique Lewis Hamilton, récent quadruple champion du monde de Formule 1, le milliardaire français Bernard Arnault le ou encore le mangaka japonais Akira Toriyama, auteur du manga Dragon Ball. Sans compter des sociétés comme Nike, Uber, Whirlpool, Facebook ou Apple.

Guerre des classes

Le milliardaire américain Warren Buffet déclarait au milieu des années 2000 : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de la gagner ». Ce n’est pas moi, jeune journaliste banlieusard afro-descendant à l’influence très limitée qui affirme que la lutte des classes perdure, mais bien le deuxième homme le plus riche du monde en 2017 selon Forbes.

Et cette guerre a un prix. Celui de l’évasion fiscale. Dans le cas de la France, le sénateur communiste Éric Bocquet, auteur de plusieurs rapports parlementaires à ce sujet, indique que la fraude fiscale coûte « 60 à 80 milliards d’euros » par an. Un chiffre défendu par Jean-Christophe Picard, président de l’association Anticor. Ce qui signifie que le déficit public de l’Hexagone, qui est de 75,9 milliards d’euros en 2016 selon l’Insee, pourrait être résorbé – il y a même un excédent budgétaire -. Pourquoi donc ce rabot sur les aides personnalisées au logement (APL), et cette réduction drastique des contrats aidés, et ces coupes dans le budget des collectivités territoriales ?

Business as usual

Du coup, quand les gouvernements assurent vouloir réduire le déficit public, ils feraient bien de s’en prendre à ce pan de l’économie qui fout le bordel et qui a pour conséquence finale, un alourdissement de la dette publique. Après tout, depuis la crise de 2008-2009, les dirigeants politiques n’appellent-ils pas à « moraliser le capitalisme » ? Ce serait logique de commencer à mettre fin à ces stratégies de contournement de la fiscalité. Mais comme ce serait s’en prendre à des ménages riches, à des entreprises, ou à des institutions financières qui font du chantage à l’emploi, du chantage à l’investissement en réponse, les pouvoirs publics se mettent à genoux devant ceux qui ont tout intérêt à ce que la dette publique reste importante car… ils la détiennent. Comme me l’expliquait un de mes anciens profs d’économie à la fac : « La dette, c’est de la redistribution à l’envers » !

Malgré l’ampleur de l’enquête Paradise Papers, celle-ci fera pschitt, hélas ! La logique du business as usual prime avant tout. L’impuissance gouvernementale face aux caprices des puissants n’est pas un hasard. Qui élit véritablement les gouvernants ? Ce sont les électeurs les plus riches ! Ce n’est pas verser dans la théorie du complot que d’affirmer cet état de fait. Plusieurs enquêtes l’ont montré, notamment pour l’élection présidentielle et les élections législatives de 2017 : les revenus les plus modestes se sont davantage abstenus que les revenus les plus élevés, illustrant ce que le politologue français Daniel Gaxie appelle le « cens caché ». Alors pourquoi les gouvernants chercheraient à mettre des bâtons dans les roues à ceux qui les élisent ? Il y a une certaine logique, quelque part.

Finalement, ces politiques qui clament vouloir lutter contre les paradis fiscaux ne font qu’appliquer une morale tirée d’un sketch des Inconnus : « Il ne faut jamais prendre les gens pour des cons, mais il ne faut pas oublier qu’ils le sont ! »

Jonathan BAUDOIN

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