1 636 200 euros. Voilà le montant collecté, en cinq jours, sur la cagnotte mise en place pour soutenir la famille du policier qui a tué Nahel. Un policier qui aurait juste « fait son travail », selon la description de celle-ci. Libération nous apprend, lundi 10 juillet, que l’agent mis en examen pour homicide volontaire continue à être payé malgré son placement en détention provisoire.
Que doit-on en conclure, nous, ceux qu’on appelle les « Arabes » ? À croire que les innombrables saillies racistes qui polluent le débat public ces dernières années ne suffisent pas. Pour les personnes issues de l’immigration maghrébine, et plus largement de l’immigration postcoloniale, l’atmosphère devient irrespirable. Les deux semaines qui ont suivi la mort de Nahel l’illustrent parfaitement.
Toutes les voix, à l’extrême-droite, ont convergé pour voir dans « l’immigration massive » la cause de tous les maux de la société française. « Qui sème le vent de l’immigration récolte la tempête de la guerre civile », a tweeté l’un des membres les plus emblématiques de la fachosphère, Damien Rieu.
À leurs yeux et, par contagion, aux yeux de la droite et de la majorité, les quartiers populaires ne se sont pas révoltés contre les violences policières, les discriminations raciales ou encore l’exclusion sociale. Non, ce serait leur prêter trop d’intelligence. La faschosphère n’y voit que l’expression d’une haine anti-France attribuée aux enfants de l’immigration postcoloniale, autrement dit à nous, « les Arabes et les Noirs ».
Car oui, « jeunes des banlieues », « jeunes des quartiers », « jeunes issus de l’immigration », sont des euphémismes pour ne pas dire « les Arabes et les Noirs ». Il en va de même quand Éric Ciotti, le président des Républicains, s’en prend aux « barbares qui veulent faire tomber la République. » Barbare, un mot qui nous vient du latin barbarus (étranger).
Comment se construit-on dans ce contexte où l’on se fait constamment cracher dessus ?
Encore une fois, que doit-on penser de tout cela ? Comment trouver sa place dans une France où l’extrême-droite fait plus de 41 % au second tour de l’élection présidentielle ? Comment trouver sa place dans une société où le racisme, la xénophobie et l’islamophobie ne cessent de gagner du terrain ? Comment trouver sa place dans une France où une part grandissante de la société hait tout ce que l’on représente ?
Ceux qui ont exprimé leur colère dans les rues sont, pour la plupart, des adolescents. Ils ont grandi dans les années 2010, bercés par les polémiques incessantes sur l’immigration ou sur l’islam. Certaines figures doivent leur existence médiatique à cette haine de l’Autre, un véritable fonds de commerce. « Ah c’est Zemmour, je l’aime pas, c’est un raciste », a commenté mon petit frère de 8 ans lorsqu’il m’a vu regarder l’une de ses interviews. À cet âge-là, déjà, il sait.
Comment se construit-on dans ce contexte où l’on se fait constamment cracher dessus ? Comment ces gosses peuvent-ils se projeter dans un pays où ils se sentent, dès l’enfance, rejetés ? Dans un pays où un Mohamed doit envoyer 4 fois plus de CV qu’un Michel pour trouver du travail. Dans un pays où l’on a 20 fois plus de chances de se faire contrôler lorsque l’on est un jeune homme noir ou arabe.
Il faut tirer des leçons de toute cette histoire. Certains sauteront sur l’occasion pour stigmatiser et marginaliser davantage les enfants de l’immigration, habitants des prétendus « territoires perdus de la République ». Au risque de semer les graines qui produiront de nouvelles vagues de révoltes. Plutôt que de voir en eux des « nuisibles » à exterminer, il serait temps d’agir en mettant tout en œuvre pour qu’ils puissent, pour que l’on puisse, prendre pleinement notre place en France.
Ayoub Simour
Photo de Marie-Mène Mekaoui