Il se passe un truc en France depuis la dissolution surprise. Je n’ai pas de souvenirs d’une telle frénésie depuis l’entre-deux-tours des élections présidentielles de 2002. La France aime se risquer au jeu de colin-maillard au bord d’une falaise. On peut se féliciter que le bruit des bottes ait interrompu le sommeil des pantoufles. Même Squeezie est sortie du bois pour inviter les jeunes à voter aux législatives. Marcus Thuram, fidèle aux engagements de son père et droit au but, a pris ses responsabilités aussi. L’heure est grave donc.
Depuis deux jours, la dynamique vertueuse du Front populaire fait l’objet d’attaques et de disqualifications par de nombreuses personnalités politiques. Le focus est fait sur l’une de ses composantes : LFI. On reproche à ce parti d’entretenir le flou sur l’antisémitisme. Dans l’Obs, Robert Hirsch, historien, répond : « Il y a eu des dérives indéniables, mais dire que l’ensemble de LFI est antisémite est déraisonnable ». L’instrumentalisation du combat contre l’antisémitisme paralyse et assèche le débat démocratique, par le procès d’intention permanent.
Macron a donc fait le pari de « jeter une grenade dégoupillée » sur la place publique (Le Monde du 14/06). C’est ainsi que le président explique les ressorts de la dissolution. Ceci éclaire sa stratégie : proposer le désordre intellectuel, alimenter un imaginaire toxique pour irriguer les veines des citoyens de toutes les angoisses possibles, pour finir par se présenter comme la solution à un retour de l’ordre et de la sécurité. Raté : le coup de poker du président a donné naissance à l’union des gauches. L’effet boomerang.
Mais il ne s’agit pas de crier victoire. Cette nouvelle union est un vase en porcelaine. Pas sûr que les coups venus de l’extérieur soient nécessaires pour le casser. Il existe au sein du Front populaire suffisamment de forces contraires pour le faire éclater en plusieurs morceaux. Comme tout attelage ficelé à la dernière minute, le barda du Front populaire peut voler en éclat dès les premiers nids de poule.
D’ailleurs, Mélenchon vient de fragiliser le pot en écartant Garrido et Corbière pour contestation de son management brutal et certainement pour l’investiture de son protégé, Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales. Évidemment, tout le monde crie au scandale, même si l’ex-député s’est désisté suite à la polémique. Le mal est fait, l’image d’un Front populaire exempt de toute entourloupe actuelle ou future refait surface.
Cette fourberie prouve que la France insoumise est un produit détergent contre l’espérance, un coupeur d’élan. Sa posture entretient le statu quo des dominants en croyant le combattre. Ce parti est un casseur de grève, un manipulateur. LFI est le carburant du macronisme. Alors que le Front populaire s’appuie sur la confiance collective naissante pour contrer la catastrophe, en formulant une réponse politique pleine d’espoirs pour être à la hauteur de l’événement, Mélenchon ne le voit pas ainsi.
Jean-Luc Mélenchon ne conçoit la politique qu’autour d’un chef avec sa cour. Une victoire du Front populaire signifierait son isolement, sa mise à l’écart, sa disparition
Pourquoi ? À cause de la pathologie de l’homme providentiel old school et autoritaire dont il souffre. C’est le jus dans lequel il a mariné tout au long de sa carrière. Il ne conçoit la politique qu’autour d’un chef avec sa cour. Une victoire du Front populaire signifierait son isolement, sa mise à l’écart, sa disparition. Une victoire du RN lui donnerait encore une chance pour 2027. Et comme « les emmerdes volent en escadrille » dixit Chirac, voilà que François Hollande est aussi investi par le Front populaire, dans une circonscription de la Corrèze, histoire de se relancer, de remettre le bleu de travail et de faire le tour des plateaux.
Ce qui motive la fin de la traversée du désert de l’ancien président n’est pas la possible victoire de son camp, mais l’éventualité d’une redistribution des cartes après le 7 juillet et une opportunité inespérée pour la présidentielle de 2027. C’est un jeton de présence. En conclusion, Mélenchon et Hollande jouent déjà le coup d’après, avec l’idée d’un RN au pouvoir pour les trois prochaines années. Chacun s’imaginant être le sauveur d’une France à feu et à sang. C’est cela la définition du cynisme politique ou bien le storytelling de « la rencontre d’un homme et du peuple ».
Cette mini campagne des législatives peut accoucher d’un monstre parce qu’elle se jouera uniquement sur le terrain de l’émotion et de l’impulsif, à l’image de la dissolution de l’Assemblée nationale. Elle peut être aussi un moment furtif d’euphorie collective et d’espoirs pour contrer la catastrophe.
La start-up nation a rendu caduque le contrat social, la délibération et la recherche de consensus politique. Les corps constitués, les échelons intermédiaires, la société civile, les élus locaux, les mouvements de jeunesse, le monde universitaire, les défenseurs des droits de l’homme et même l’Assemblée nationale ont été souvent disqualifiés ou tenus à l’écart. La verticalité et la brutalité de la présidence Macron nourrit le désenchantement démocratique et favorise la violence sociale.
Ce qui se joue dans les rues du pays aujourd’hui est la tentative de retrouver des perspectives communes, le goût du débat démocratique et l’envie d’un avenir moins toxique. Pour cela, il s’agit de remettre le pays dans une dynamique positive pour éviter ce constat accablant de Bertrand Russell : « La première étape d’un mouvement fasciste est la réunion, sous un chef autoritaire, d’un certain nombre d’hommes possédant plus que la moyenne de brutalité et de stupidité. L’étape suivante consiste à fasciner les imbéciles et à museler les intelligents ».
La France peut emprunter le chemin dangereux de l’extrême droite, comme l’ont fait plusieurs pays ces dernières années, ou bien entretenir sa réputation d’un peuple réfractaire et irrévérencieux, en donnant une leçon d’émancipation politique au monde entier. Elle peut, par la même occasion, promouvoir la nouvelle génération et inviter affectueusement quelques vieux éléphants de gauche à prendre du recul parce que le moment est venu. Les rassemblements du jour sont un point de départ d’une mobilisation citoyenne joyeuse et déterminée. Ces quinze prochains jours seront décisifs. Le 30 juin, chaque citoyen sera face à sa conscience dans l’isoloir, pour décider du chemin à emprunter pour la suite.
Nordine Nabili