.Pour le pire, la télé-réalité et les influenceurs ont occupé l’actualité dernièrement. Publicités mensongères, agressions sexuelles, arnaques financières, le documentaire de France 2 ou les enquêtes de Mediapart révèlent les arnaques dont se rendent coupables certaines agences et influenceurs. Un sujet d’intérêt général qui a mis du temps à être pris au sérieux. Le Bondy blog avait enquêté sur les travers de ce milieu, dès 2021.

Mais au-delà de ces affaires, l’univers de la télé-réalité reste l’angle mort des grandes rédactions. Un sujet méprisé autant que l’objet est dénigré. La militante féministe, Valérie Rey-Robert a publié un livre Télé-réalité : la fabrique du sexisme (Éditions Les Insolentes, 2022). Pour le Bondy blog, elle revient sur ses travaux. Interview.

Vous avez beaucoup travaillé et regardé la télé-réalité. Quel regard portez-vous sur les documentaires et enquêtes diffusés dernièrement ?

Si on parle du documentaire de France 2, le problème est qu’ils n’ont pas choisi d’angle précis. Ils n’ont traité que très légèrement les arnaques. Le début du reportage est consacré à Milla Jasmine. Au lieu de la présenter comme une idiote, il aurait été plus malin de nous expliquer ses techniques de communication. Pour avoir réussi à vendre autant de produits aux jeunes, elle ne doit pas être si bête que ça. Je suis donc assez déçue par ce documentaire.

Est-ce que cela témoigne d’un traitement médiatique différencié et empreint de mépris de classe ?

Je pense qu’il y a du mépris de classe et une forme de racisme inconscient. On ne va pas se leurrer, le public de ces arnaques est de deux sortes : les jeunes des quartiers populaires et les mères précaires et isolées. Une partie de ce public est aussi racisée.

Au fond, les cibles qui sont touchées, on s’en fout un peu alors que ces arnaques se chiffrent à plusieurs millions d’euros

C’est un peu comme les arnaques Winamax qui visent explicitement les jeunes racisés des quartiers populaires. Cela a mis du temps avant que les médias ne s’en emparent. Au fond, les cibles qui sont touchées, on s’en fout un peu alors que ces arnaques se chiffrent à plusieurs millions d’euros, c’est énorme !   

Dans votre livre, vous mettez en avant le fait que la télé-réalité est suivie par 140 000 personnes, si on exclut le visionnage en replay. Pourtant, elle n’est pas considérée comme un objet journalistique à part entière…

Je fais toujours le parallèle avec TPMP. À gauche, on a un défaut immense, c’est de considérer que le camp d’en face est débile, qu’il n’a aucun projet politique. Force est de constater que, tant pour TPMP que pour la télé-réalité, ce sont des programmes qui véhiculent des idées hyper-réactionnaires.

TPMP a contribué à banaliser Éric Zemmour, par exemple. Cyril Hanouna est vu comme un imbécile, alors que son émission est prescriptrice d’idées d’extrême-droite.

La télé-réalité banalise, elle, des idées réactionnaires qui ne sont pas prises au sérieux. Je défends l’idée inverse : ce sont des objets culturels qui s’analysent.

L’objet principal de votre livre est le sexisme, le racisme de classe voire le racisme tout court auxquels sont confrontées les influenceuses de télé-réalité. Elles apparaissent comme les grandes perdantes, exceptées pour les rares élues qui parviennent à capitaliser sur ce système…

Dans la télé-réalité, il y a sans doute plus de gens racisés que dans la télévision en général. Les plus grandes stars sont des jeunes femmes maghrébines. Pour autant, il y a énormément de racisme, de classisme et de sexisme. C’est entretenu par les candidats eux-mêmes, mais aussi par les productions qui vont jouer de ces stéréotypes racistes.

Typiquement, dans les programmes de TF1 Quatre mariages pour une lune de miel, il y aura une proportion plus importante de femmes noires que dans d’autres émissions. On peut trouver ça positif mais leur mariage va systématiquement être dénigré par les autres candidates.

Idem dans les Reines du shopping, les femmes noires sont régulièrement présentées comme plus agressives et méchantes envers les autres candidates.

La rédaction du Bondy blog se faisait la réflexion : Milla Jasmine – de son vrai nom Marie-Charlotte Germain – a dû changer son nom pour percer dans le monde de la télé-réalité. Comment expliquer cela alors que l’inverse se produit dans la société française ?

Dans notre société, à aucun moment se dire musulman ne va être perçu comme positif, contrairement au monde de la télé-réalité et de l’influence. Au moment du ramadan en particulier, vous allez tous les voir se trouver un intérêt extraordinaire pour l’islam.

Dans ce milieu, il y a vraiment de l’arab-fishing et de l’islamfishing

Dans ce milieu, il y a vraiment de l’arab-fishing et de l’islamfishing  (le fait de surfer sur une identité arabe ou musulmane pour attirer des followers d’une certaine communauté, NDLR). Le couple Blata en est l’exemple. Elle sort son voile et invoque le Coran et lui a la barbe taillée au cordeau dès qu’ils ont une énième arnaque à faire.

D’ailleurs, il y a eu une collaboration incroyable entre Dylan Thierry (un influenceur converti à l’Islam, NDLR) et Tariq Ramadan, le premier jour du ramadan, l’an dernier. Tariq Ramadan, peu connu du public de Dylan Thierry, il parvient à se racheter une réputation. Et inversement : Dylan Thierry, qui a des affaires d’escroquerie de tous les côtés, se rachète une réputation en posant à côté de Tariq Ramadan.

L’arab-fishing mobilise l’imaginaire de la « beurette » ?

Milla Jasmine, c’est les Mille et Une Nuits. Elle a pris ce prénom quand elle était à Miami pour capter un public et jouer sur l’érotisme associé aux femmes arabes.

Dans les émissions de téléréalité, comment sont représentées ces filles issues des quartiers populaires ?

En 2019, le CSA a pointé que dans la télé-réalité, les filles étaient montrées comme beaucoup plus bêtes et incultes que les garçons. Alors, les femmes jouent là-dessus.

C’est évidemment un piège pour elle parce qu’après, elles ne peuvent plus sortir de l’image de la cruche à gros seins 

Elles se sont rendu compte avec Nabila qu’il y avait un créneau sur lequel capitaliser pour faire des séquences et être présentes à l’écran. Elles vont essayer d’utiliser la marge de manœuvre qu’elles ont et pour certaines, ça leur réussit ! Mais c’est évidemment un piège parce qu’après, elles ne peuvent plus sortir de l’image de la cruche à gros seins.

On est dans une période post vague #MeToo. Les messages réactionnaires véhiculés par la télé-réalité représentent-ils une forme de backlash (retour en arrière) ?

C’est compliqué. Je suis prise entre deux feux. D’un côté, je voudrais que les gens arrêtent de dénigrer la téléréalité. De l’autre côté, il est évident que l’image véhiculée par ces émissions est plus sexiste que dans d’autres milieux.

On peut faire de la télé-réalité qui ne soit pas sexiste, raciste, homophobe mais qui soit inclusive.

En termes de sexisme, on est vraiment dans les années 50. Il y a un narratif qui veut que le plus beau rôle d’une femme soit d’être mère. Quand on dit ça, le premier réflexe des gens est de dire qu’il faut arrêter la télé-réalité alors que non.

On peut faire de la télé-réalité qui ne soit pas sexiste, raciste, homophobe mais qui soit inclusive. Le problème, ce n’est pas la télé-réalité, c’est ceux qui la font. Il faut donner les armes aux plus jeunes pour comprendre ce qu’il se joue derrière leurs écrans.

Propos recueillis par Héléna Berkaoui

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