Le PS avait Jaurès et désormais, LR aura Roti Semi Serif. On parle ici de typographie bien sûr, car oui il faudrait être fou pour espérer échapper aux lois implacables de la charte graphique aujourd’hui, en pub comme en politique. C’est comme ça. Une typographie choisie avec soin pour une identité graphique la plus juste possible, c’est le marché de base. Le PS a poussé l’ambition plus loin il y a 10 ans avec ce nom propre bien plus évocateur bien sûr mais, l’idée reste la même. Il faut une charte graphique on vous dit, ça rentre dans les techniques de com’ électorales.

Des couleurs (pas le même bleu et le même rouge que sur le drapeau sur les affiches de campagne, le code électoral vous dira sûrement non), un logo, des slogans, sur tous les documents de campagnes il faudra décliner la charte graphique. Pour le programme, pour les tracts et… bien sûr pour la profession de foi. Ces termes, ces logiques, ces réflexes, c’est presque comme un uniforme au service d’une communication jugée la plus efficace et la plus adaptée possible à la cible du citoyen complexe même s’il est (mal)heureusement impossible à convertir en retour sur investissement automatique – en témoigne la pile de journaux municipaux déposés dans les boîtes aux lettres et qui s’entassent de plus en plus dans le local poubelle chez moi.

On chasse les votes et on y met les moyens, ça se comprend. Seulement voilà. Pour cette campagne locale 2020 comme pour la précédente finalement, en toute humilité jeune et citoyenne, je trouve assez triste et assez dur d’avoir constaté dans tant de villes, quasiment quelle que soit sa taille et sa couleur politique, les mêmes coups bas, dignes des grands enjeux de présidentielles alors que les enjeux municipaux sont tout de même bien différents.

Des allers retours dans les convictions, pas toujours pour les bonnes raisons

Les mêmes alliances qui se paient au prix fort, les mêmes shooting photo sur les marchés qui conduisent à coups de promesses formulées à demi-mots à acheter l’inachetable (des votes, toujours), les mêmes revirements de dernières minutes quand il  faut déposer des listes, rebattre les cartes entre deux tours, promettre tel ou tel mandat, tel ou tel renvoi d’ascenseur à la prochaine occasion…  Des locaux qui brûlent mystérieusement dans la nuit, des allers retours dans les convictions, parfois pour les bonnes raisons, bien souvent par opportunisme ou par sens aigu du timing. Sur le fond comme sur la forme, ça fait un peu mal au coeur.

Dans les quelques plus grandes villes, on pourrait encore comprendre car le pouvoir en jeu est plus important, mais dans celles où on se connait facilement, celles où on connait tous quelqu’un qui connaît quelqu’un, dans celles mêmes et surtout où la figure du maire se confond avec celle d’une autre profession… C’est triste à constater car on dirait un script pré-écrit dont on serait un peu condamné à récupérer à chaque article consacré dans les médias, une nouvelle copie.

Bien sûr, la période sanitaire a un peu bouleversé l’organisation des élections. Record d’abstention, calendrier et modalités de campagnes bousculées, mais cette année encore on en a vu des coups bas et des ambiances surréalistes. Dans les quelques 5000 communes où il y a un second tour, Saint-Denis en est un triste exemple pour en citer un qui a des enjeux et des répercussions idéologiques au plan national. Bien sûr, on voit des listes citoyennes fleurir, de plus en plus nombreuses parfois malgré un terrain particulièrement peu propice à leur épanouissement mais pourtant elles parviennent à s’organiser, se maintenir et parfois prendre toute la place qu’elles méritent d’occuper. Selon les sites, on en dénombre autour de 300, un peu partout sur le territoire.

Les réveils à 5 heures du matin pour tracter et coller

Mais même elles, avec la nouvelle force et le nouveau souffle qu’elles amènent à la vie politique locale finissent encore beaucoup trop souvent par avoir à se plier aux règles de celles et ceux qui font partie des murs dans les campagnes locales. J’avoue avoir rejoint les rangs de celles et ceux qui composent ce taux d’abstention record. Pour toutes les élections. Mais surtout les municipales car on m’avait vendu ces élections comme une sorte d’infrapolitique et j’ai voulu acheter sans regarder.

L’idée d’être dans l’ombre, de n’être personne et d’aller coller des affiches par dessus d’autres affiches, je me disais que ça faisait partie du jeu et c’était aussi l’air de dire que les convictions doivent pouvoir s’éprouver, même s’il faut se lever à 5 heures du matin pour tracter, coller des affiches, pour les réunions de campagnes avec des cafés froids. Toute la panoplie des récits politques romancés.  Et puis la commune dans laquelle j’ai eu l’âge de voter pour la première fois, quelque part dans les Hauts-de-Seine,  a vu ses résultats invalidés par le Conseil d’Etat pour irrégularités. La campagne avait été plutôt triste. Le maire a l’époque s’était dit « surpris » et l’un dans l’autre, ça m’avait déjà donné envie de contacter le service après vente.

L’idée a continué de faire son chemin depuis. Très loin de moi en revanche celle de vouloir disrupter les chartes graphiques et les stratégies de campagnes, car j’ai conscience que les militants qui se lèvent à 5h du matin sont bien plus nombreux qu’on le croit et leurs convictions bien plus solides qu’une simple partie de campagne, mais tous ces coups bas, tous ces calculs, toutes ces manoeuvres, à d’être intellectualisées et de devenir des classiques sur lesquels on s’appuie sans même avoir à se forcer pour créer des séries comme Baron Noir, ça ne leur rend tout simplement pas justice.

Ces parties de campagnes-là, ces ambiances délétères, comme si c’était le nouveau calcul de base, elles ont fini par me rendre parano de la conviction. J’avais choisi d’y consacrer plusieurs années d’études et aujourd’hui je me dis surtout que je ne vois pas comment je pourrais échapper à ces nouvelles règles de calculs et comment ne pas m’y perdre. C’est une façon très triviale au regard des enjeux de dire : « s’il vous plait, faites-moi voter de nouveau, faites-nous voter de nouveau » car je détesterai que ces campagnes locales beaucoup trop chartée alors qu’il y aurait bien plus à imaginer qu’au niveau national, ne deviennent le vol politique charter qu’on prend quand le reste est impossible.

Anne-Cécile DEMULSANT

Crédit photo : IR / Bondy Blog

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