Le communisme français a perdu un de ses bastions historiques. A Saint-Denis, c’est le socialiste Mathieu Hanotin qui a remporté le second tour des élections municipales à la tête de sa liste « Notre Saint-Denis ». Avec 59% des suffrages, l’ancien député de la circonscription a remporté une large victoire face au maire sortant, Laurent Russier (« Vivons Saint-Denis en grand »). Le tout dans un contexte d’abstention massive (67,5%).

A la mairie, il flottait un vent de changement ce dimanche soir. Dans la grande salle au premier étage, le bureau central organisait son dépouillement et les deux candidats étaient là, passant de table en table, visiblement anxieux. Finalement, la tendance pressentie se confirme. Et Laurent Russier prend la parole, une feuille à la main, pour proclamer les résultats.

Après avoir reconnu la victoire de Mathieu Hanotin, il a expliqué que le grand vainqueur du soir était « l’abstention » : « Moins de 8% des Dionysiens ont voté pour lui (8 604 voix). Je regrette la division de notre majorité. Je suis néanmoins fier d’avoir porté ce projet et d’être resté fidèle à mes idées et mes valeurs. A titre personnel, je resterai aux côtés des Dionysiens, vigilant. Je mènerai avec eux les combats liés aux services publics et à l’écologie populaire. »

Devant la mairie, des sifflets

Sur le parvis de la mairie, le drapeau français flotte au passage de l’équipe sortante communiste qui a décidé de quitter la salle des fêtes par la grande porte. Quelques groupes de Dionysiens les accueillent sous les huées à l’image de Kenza Bendra, une habitante furieuse : « On est venu pour soutenir Hanotin. Vous ne vous rendez pas compte, je suis devant la mairie depuis 18 heures ! J’étais en stress, quand on a eu la confirmation que Hanotin était élu, j’ai appelé mon fils de 10 ans direct pour lui annoncer la nouvelle et il a pleuré ». La jeune femme en veut énormément à l’équipe sortante. Elle explique avoir vécu deux mois dans une voiture avec ses enfants en bas âge et n’avoir pas été prise en charge par la municipalité.

Sur le parvis se trouvaient également quelques agents de la police municipale. Parmi eux, un fonctionnaire de 40 ans qui a souhaité garder l’anonymat confie avoir soutenu Mathieu Hanotin pour le renouveau qu’il représente et les promesses d’augmentation des effectifs. « Dans la police, certains soutenait Russier, d’autres Hanotin, c’est partagé mais moi je soutiens Hanotin parce qu’il a promis de mieux nous équiper et de créer notamment une brigade canine ».

Slimane Rabahallah, ancien adjoint à la sécurité de Russier, a également soutenu la liste de Mathieu Hanotin. « Avec mon groupe (le Parti socialiste de gauche, ndlr), on a appelé à voter Hanotin parce que Russier n’a pas respecté ses engagements sur la propreté, la sécurité, l’éducation ou l’aménagement. » Mathilde Caroly, adjointe au logement, est quant à elle restée fidèle à Russier. Elle fait la moue, ce dimanche. « Je suis triste parce que je pense aux Dionysiens qui vont être seuls, affirme-t-elle. C’est quand même un peu dur de partir comme ça, le projet du nouveau maire n’est pas tenable. »

On a la gauche la plus bête du monde

Du côté de la majorité rouge-verte sortante, les visages sont fermés et tristes. L’équipe s’en va le long de la rue de la République, sous escorte policière. Les soutiens du maire sortant tentent de réconforter les esprits par quelques messages d’espoir : « Six ans, ça passe vite », « on ne lâchera rien ».

L’équipe se retrouve au QG du candidat communiste, non loin de là. Laurent Russier monte sur l’estrade et y proclame un discours de remerciements brefs. Quelques larmes d’émotion l’interrompent brièvement. Des applaudissements s’enchaînent. Mohamed, 68 ans, militant communiste depuis quarante ans, n’a pas de mots assez forts contre le vainqueur du soir : « Les socialistes, ils vont nous monter les impôts… Vous allez voir, Hanotin il va dégager tout le monde, les vendeurs à la sauvette etc. »

Pas l’ambiance des grands soirs, dimanche au QG du candidat Russier

Dans l’assistance, on murmure que c’est du gâchis, on rappelle l’épisode de la fusion manquée dans l’entre-deux tours avec la liste insoumise. « On a la gauche la plus bête du monde », lâche un étudiant présent, pour paraphraser Guy Mollet. « Comment vous pouvez avoir une ville comme Perpignan avec un maire RN élu et à Saint-Denis, aucune union à gauche ?, s’interroge-t-il. Les communistes, c’est la Libération, c’est les résistants… Aujourd’hui, c’est une vraie page qui se tourne ».

David Proult est là, lui aussi déçu. Adjoint à l’aménagement et à l’urbanisme, Proult était pressenti pour prendre la présidence de Plaine Commune en cas de victoire de Russier. « Lors des précédentes élections, en 2014, on est passé de peu de voix (181, ndlr). Cette image de bastion qui s’effondre, on n’a pas su la corriger ». L’homme reste toutefois persuadé que la ligne était la bonne : « Pour nous, il y a un sentiment d’injustice parce que nos choix, c’était une vraie prise de risque, on a eu raison de faire ses paris sur la ville, avec le tramway, le grand Paris, les JO, et un candidat arrive et s’empare de ça… Notre projet pour Saint-Denis, c’était de ne pas être un ghetto de pauvres ».

Dans le JSD, l’ancien maire Didier Paillard (2004-2016) était plus direct dans l’auto-critique : « Je ne suis pas triste, plutôt furieux. Furieux après moi-même. C’est la défaite de notre capacité à construire avec les gens. Il y a six ans, c’était sans doute un avertissement sans frais. Nous n’avons pas réussi à faire le pas de côté et à nous renouveler suffisamment vite. Et ce n’est pas qu’une question de personnel politique mais aussi de façon de faire. On a loupé des marches. Nous nous sommes peut-être endormis sur nos lauriers et j’ai peut-être trop tardé à transmettre le bâton. »

Les communistes de Saint-Denis auront six ans pour répondre à ces questions, se réinventer et retrouver l’union qui leur a cruellement fait défaut en 2014.

Hassan LOUGHLIMI

Crédit photo : Yslande BOSSE / JSD

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