A la cité Bassens, au cœur des quartiers Nord de Marseille, Samia Ghali est passée par là avec la presse, se vantant d’y avoir grandi. Puis les caméras sont parties. Promenade de santé.

Le soleil se reflète sur es tôles métalliques qui jonchent le sol de la cité de Bassens et qui font face à des amas d’ordures, brûlés. Laissés à l’abandon, ils font cependant échos à un bâtiment, carbonisé, dont le souffre a rendu charbon les murs et qui fait face à la petite salle de prière. Le seul contraste réside là : les cloisons du lieu saint sont aussi blanches que sont noires celles du bâtiment avoisinant. Et si les murs ont des oreilles, les habitants y ont la bouche cousue.

Dans les quartiers nord, c’est là que se situe Bassens, cité phocéenne réputée comme étant l’une, si ce n’est la plus dangereuse de Marseille, le silence est roi et les guetteurs ses plus fidèles sujets. Il est encore tôt et pourtant, eux sont là. Les guetteurs, premiers pions du jeu d’échec dont Notre-Dame de La Garde est sainte. Jeunes. Très jeunes. L’un d’eux, l’énergie débordante et mal contenue, tire sur une clope.Se donne de l’assurance.  Se marre. N’est pourtant pas très crédible en comparaison à un autre minot, aux yeux d’une clarté irréelle mais dont le regard est définitivement vide. Il roule, et ce n’est pas une clope.

La fracture sociale est profonde, aussi profonde que l’échec est scolaire, et la pauvreté maîtresse. En effet, on estime à 30% le taux de Marseillais vivant sous le seuil de pauvreté et 25% le taux de jeunes en échec scolaire. Si l’arrêt du bus 38 se nomme « Cité Bassens », j’apprends que il y en deux, de cités. Cité Bassens 1 est la plus ancienne des deux. Pénétrer en son sein ne relève pas du miracle, c’est accessible. Facile de déambuler entre les tours, relativement petite. Cinq, six étages, tout au plus, aux murs abricots. L’herbe, même la plus mauvaise, n’y pousse plus et grandir sainement entre ces murailles relève du miracle.

C’est Maya* qui me l’affirme. Je rencontre cette jeune comorienne au rond-point où me dépose le bus, ne sachant vers où aller, les panneaux d’indications ayant sauté depuis longtemps. Elle s’étonne de me voir là, me demande ce que je cherche, lui explique ma démarche. Elle me répond d’abord que je suis folle : « tu es une fille, seule, c’est dangereux » et me demande si j’ai une caméra. Ici, les journalistes ne sont absolument pas les bienvenus et c’est d’ailleurs pour cela que Samia Ghali, la sénatrice qui a grandi entre les murs de Bassens, arrivée dimanche en tête du premier tour de la primaire socialiste à Marseille, n’attire pas que le respect. « Et oui, ma foi, la fille débarque dans la cité avec ses caméras du style « ici, c’est chez moi ». Elle fait la belle mais regarde eux (elle me désigne les gamins en bas des blocs) ils sont toujours là et en bougeront pas. Eux, ils ne s’en sortiront pas. Elle, c’est une exception. »

Maya n’habite pas ici. Elle vient rendre visite à son oncle qui habite là depuis 18 ans. Mais elle a aussi grandi dans les quartiers nord. De l’autre coté, à la Castellane. Est-ce que c’est aussi chaud qu’on ne le dit ?  « Pour une fille, c’est comme partout. Il faut être discrète, ne pas se faire de réputation. Après comme tu vois, ça ne tire pas à la kalash pour rien. C’est entre eux que ça ce passe. » Elle ne m’en dira pas plus. Me conseille de faire attention, encore.

Je me dirige vers Bassens 2. La seconde cité se trouve à l’opposé de la première mais peu de choses les différencient. Les infrastructures sont les mêmes, les allées sont également vidées de leurs habitants. Là aussi, des guetteurs. D’ailleurs, c’est ce qui me frappe. Si à Paris et dans ses banlieues les terrains ouvrent dès midi, pour les plus matinaux, ici, les baby-soldats sont au garde à vous de très bon matin. Malgré les degrés affichés et le soleil qui tape, un premier jeune est assis en plein cagnard, doudoune, bonnet, impassible.

Plus j’avance et plus le nombre s’accroit. Alors je pénètre au sein du centre départemental des pompiers qui borde la cité. Deux d’entre eux se trouvent à l’entrée de la caserne et m’assurent que « c’est plutôt calme. Nous, on nous laisse tranquille, honnêtement.» Grâce à la fonction, l’uniforme ? Même son de cloche qu’avec Maya. « Ils ne touchent pas aux gens qui n’ont rien à voir avec le business. Ils évitent du moins », m’ajoute l’un deux dans un éclat de rire. Cependant, ils me montrent des impact de tirs, presque plus visible, perpétués il y a quelques années. «  Ça tire depuis toujours. Sauf qu’avant, c’était l’ancienne école, avec d’autres codes. La tête plus sur les épaules. Là, on sent les jeunes chiots fous ». Peu bavards, ils ne répondront pas à mes autres questions.

L’omerta règne sur Bassens et me laisse un goût amer. Mes questions resteront sans réponses et les minots sans espoir. Les tôles froissées jonchent toujours le sol qui reflète les rayons de la misère tout aussi pénible au soleil.

Hadjila Moualek

*Prénom modifié

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