[#PRÉSIDENTIELLE2017] Depuis l’annonce des résultats du premier tour, c’est un combat acharné qui s’est engagé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Deux petites semaines ne permettent pas de régler ni même d’aborder les divergences profondes entre le libéralisme de l’un et le nationalisme de l’autre, alors la bataille se déroule plutôt sur le terrain de la communication à coups de selfies et de commémorations opportunistes. Au milieu de ce vacarme, on oublie une chose fondamentale : l’école de la République joue sa survie tant les ambitions de Marine Le Pen lui seraient néfastes.

« Nous n’avons pas su vous parler. Longtemps, nous avons commis l’erreur de croire que vous étiez complices de la destruction de l’école », lance Marine Le Pen aux enseignants lors d’un colloque en 2011. Sans doute fait-elle référence aux rapports tendus que maintenait son père avec le monde de l’éducation. Jean-Marie Le Pen a toujours considéré que l’école de la République était un champ de ruines à cause de « la racaille enseignante » qui n’arrivait plus à maintenir l’autorité en classe. L’année dernière, il a regretté que des Africains et des Européens soient mélangés dans les mêmes classes car ils n’ont pas le même « âge mental et biologique ».

Avec l’espoir de tourner cette page sombre, Florian Philippot a crée le « Collectif Racine » en 2013. Il s’agit d’un groupe d’enseignants dit « patriotes », « amoureux de l’école et déplorant son déclin » et surtout, pour la grande majorité, acquis aux idées du Front national. En s’appuyant sur les thèses de quelques chantres de l’apocalypse identitaire comme Brighelli, Zemmour ou Finkielkraut, ce collectif a livré cent propositions pour l’école qui forgent la politique éducative du parti de l’extrême droite.

L’autorité au service de l’exclusion sociale

« Rétablir l’autorité et le respect du maître » est la proposition qui revient le plus souvent dans les propos de Marine Le Pen concernant l’éducation. A l’entendre martelé à chaque meeting, on pourrait s’attendre à ce que ce slogan creux soit appuyé par des mesures concrètes. Il n’en est rien. Dans Pour que Vive la France (2012), Marine Le Pen nous explique naïvement que cela passe par des geste simples : « se lever quand le professeur entre en classe » et « bannir le tutoiement par l’élève de l’enseignant ».

Il faut n’avoir jamais enseigné dans sa vie pour confondre à ce point l’autorité avec l’apparence d’autorité. Sans doute un peu conscient qu’il ne suffit pas d’imposer le vouvoiement pour « rétablir l’autorité du maître », le Front national propose aussi d’augmenter le catalogue des sanctions avec « l’éloignement » des élèves perturbateurs dans des établissements spécifiques. Cette démarche existe déjà pour les élèves qui présentent de graves troubles du comportement, la généraliser relève purement et simplement de l’exclusion sociale arbitraire.

Le Front national ne veut pas de la démocratisation scolaire

Cette exclusion sociale, la « candidate du peuple » semble l’assumer en réclamant la fin du collège unique. Ce mouvement de démocratisation scolaire a commencé dans les années 1950 dans le but d’augmenter le niveau d’éducation des enfants d’ouvriers et de paysans. Bien sûr, cette démocratisation du savoir est loin d’être aboutie et on peut regretter les inégalités scolaires et le manque de mixité sociale dans les établissements. Mais à la question de savoir si le collège unique a permis l’accès à l’éducation de personnes issues de milieux défavorisées, la réponse est indéniablement oui. L’étude dirigée par Marc Gurgand et Eric Maurin a prouvé cette évidence en France. Et partout, en Europe, les études sont unanimes : la démocratisation scolaire implique qu’un plus grand nombre de personnes issues de milieux défavorisés aient un niveau d’éducation plus élevé.

En 1963, au mieux 55 % d’une classe d’âge entrait en classe de 6ème, d’après l’enquête nationale sur la démocratisation de l’enseignement d’Alain Girard. En zones rurales, ce chiffre descendait en dessous de 40%. Et pourtant, c’est cette école-là qui inspire de la nostalgie à la candidate du peuple. Une école  qui embrasse le déterminisme social au lieu de le combattre et où les enfants de familles pauvres cessent d’apprendre pour la majorité d’entre eux dès l’âge de 11 ans pour s’exercer à un métier.

Le Front national a le mérite d’être tout à fait  cohérent dans son mépris envers la démocratisation scolaire puis qu’il s’avère qu’au nom de l’égalité républicaine, le parti est pour la suppression de toute discrimination positive, et donc celle de l’éducation prioritaire. Alain Avello, qui est à l’origine du programme éducatif du Front national, pressenti par ailleurs pour devenir ministre de l’Éducation en cas d’élection de Marine Le Pen, déclare que c’est « une dépense sans compter d’argent sans amélioration visible ».

Supprimer la pédagogie pour récolter de l’ignorance

« Vous trouvez que l’éducation coûte cher ? Essayez l’ignorance ! » avons-nous envie de lui répondre pour citer Abraham Lincoln. Néanmoins, à l’entendre dire dans son programme qu’il faut « supprimer les cours de pédagogie dans les écoles de formation des enseignants », on se demande si Marine Le Pen n’est pas réellement attirée par l’ignorance. Supprimer la pédagogie, c’est réduire l’école à un temple de la bête obéissance et du rabâchage des leçons. Et « renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national », ce n’est pas enseigner l’Histoire mais raconter une histoire fantasmée.

Que promouvoir l’esprit critique à l’école fasse hurler Marine Le Pen n’a rien d’étonnant. Quand l’instituteur Celestin Freinet est rentré mutilé de la Grande Guerre, armé de pacifisme et de nobles intentions, convaincu que c’est par une éducation émancipatrice qu’on évitera d’autres horreurs ; quand il a fait du petit village de Bar-sur-Loup une véritable capitale de la pédagogie, c’est bieb l’extrême droite de Charles Maurras qu’il a trouvé en face de lui pour l’humilier et l’empêcher d’exercer. Parce qu’aujourd’hui, comme hier, ceux qui ont peur de l’esprit critique sont toujours ceux qui se nourrissent de son absence. Et qu’avait alors répondu Celestin Freinet ? Une phrase que nous devrions tous méditer encore aujourd’hui : « Ce n’est pas avec des hommes à genoux que l’on mettra une démocratie debout ».

Les querelles des hommes sont de retour à l’école

Je ne suis professeur des écoles que depuis deux petites années. J’ai eu le temps de confronter le fantasme de l’idéal républicain à la réalité du terrain, de mesurer le poids des inégalités scolaires et les limites de l’ascenseur social. Mais je suis fier d’appartenir à une institution qui s’efforce de considérer que tous les enfants doivent être traités à égalité. Elle n’y arrive pas toujours, mais l’école de Marine Le Pen, elle, renonce même à essayer en voulant supprimer la gratuité de l’école pour les enfants étrangers.

Il fallait les voir le lendemain du premier tour, ces petits visages marqués d’un sentiment d’incertitude et de trahison. Il fallait les entendre, ces taquineries innocentes pour savoir qui va rentrer au bled quand Le Pen sera élue. Elles cachent de vraies blessures. Mais, il fallait aussi admirer avec quelle aisance des sujets aussi graves étaient tout de suite balayés par la première sonnerie de récréation.

“Les écoles doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas” avait affirmé Jean Zay, l’illustre ministre de l’Education Nationale qui avait démissionné de son poste pour aller combattre l’Allemagne Nazie. Marine Le Pen avait osé reprendre ces propos pour justifier une sombre histoire de porc à la cantine, tandis que Jean Zay avait instauré la laïcité à l’école pour protéger les élèves contre l’épouvantail des mouvements fascistes.

Aujourd’hui, les querelles des hommes sonnent de nouveau aux portails des écoles. Allons-nous les laisser rentrer ?

Rachid ZERROUKI

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