Ils s’appellent Laura, Mounir, Asma ou Bastien. Âgés de 18 à 24 ans, ils portent un regard critique sur les politiques qui se sont succédé à la Paillade. « Il faut réintégrer ce quartier dans l’économie et arrêter de le voir comme une cité dortoir en marge de la ville », lâche Bastien. Attablés au café le Point chaud, à Saint-Paul, ils évoquent leur service civique à Kaïna TV.

« Nous allons couvrir les élections municipales », sourit Elyse. Depuis vingt ans, la web TV est implantée dans ce quartier prioritaire de la politique de la ville, qui compte plus de 21 000 habitants et reste touché par la pauvreté monétaire et de fortes difficultés d’insertion sociale et professionnelle selon l’Insee. Elle forme les jeunes d’ici et d’ailleurs à l’audiovisuel.

Dans ses locaux, au rez-de-chaussée des barres HLM, Chloé se replonge dans ses notes. « On a fait un micro-trottoir vidéo qu’on montre aux candidats qui viennent répondre à nos questions », précise l’étudiante en master 2 Discours politique. Parmi les sujets phares, la sécurité, la propreté, la rénovation des logements et l’emploi. « La question du stade est revenue plusieurs fois ».

C’est un choix controversé du maire actuel et président de Montpellier Méditerranée Métropole, Philippe Saurel : le stade de la Mosson pourrait être délocalisé à l’est de Montpellier. « Ce n’est pas une bonne idée, souffle Sonia*, divorcée et mère de deux enfants. On sait tous que ça ramène du monde et que le foot est rassembleur. » Devant l’école maternelle James Joyce, face aux halles marchandes, l’ambulancière récupère son fils.

L’impression d’être loin de tout

Veste en cuir et cartable à la main, cette enfant du quartier se souvient du McDo qui avait fermé ses portes en 2005, isolant un peu plus la Paillade des communes voisines. « C’est difficile de sortir d’ici, on laisse une population homogène dans la même galère avec de faibles loyers incitant à rester… C’est une politique de ghettoïsation », dénonce celle qui a dû avoir « de l’ambition » pour se former. A 27 ans, Sonia songe à partir, constatant le niveau scolaire et les grèves à répétition des professeurs dans les écoles.

« Je sais que je dois passer par le privé. Dans le parc social, les demandes n’aboutissent pas ou débouchent sur un échange dans le bloc à côté. » De même, les demandes d’inscription des élèves dans des établissements situés en dehors du quartier sont rarement acceptées, poussant certains à tricher en les domiciliant chez un proche mieux placé. La Pailladine n’est pas habituée à se rendre aux urnes pour les municipales, bien qu’elle vote aux présidentielles. Elle déplore la mauvaise image dont souffre le quartier. « Ça ne devrait pas être le cas et ça n’a pas évolué sous les différentes mandatures ».

A 17 heures, la sonnerie résonne dans la cour de l’école Roosevelt, rue d’Oxford. Comme chaque jour, Asma retrouve son petit frère inscrit en CE2. « A mon époque, on n’était pas tous issus de l’immigration, assure-t-elle du haut de ses 20 ans. Aujourd’hui c’est communautaire et les enfants prennent tous des cours d’orthophonie. » Déçue de la politique menée par Philippe Saurel, dont elle peine à voir les résultats, elle ne s’est pas inscrite sur les listes électorales. « Je ne vois pas en quoi ça pourrait nous être utile ».

Un vrai problème de mobilisation

Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS-Cepel (Centre d’études politiques de l’Europe latine) à Montpellier, constate une grave chute de la participation aux élections municipales dans les quartiers populaires. Dans le bureau de vote Heidelberg, près du stade, il passe ainsi de 49% à 38,6% entre 2001 et 2014 (contre 54,9 à 52,1% en moyenne). « Il y a là un paradoxe démocratique. Ce sont ces citoyens qui, par leur situation sociale, ont le plus besoin de l’action publique et ce sont eux qui votent le moins à ces élections. » Dans ce même bureau, la participation a pourtant atteint 70% aux dernières présidentielles.

« Il y a donc un vrai problème de mobilisation pour ces municipales », constate le chercheur. Asma évoque la visite, quelques semaines plus tôt, de militants venus les convaincre de voter Mohed Altrad. Le milliardaire d’origine syrienne, à la tête d’un empire dans les échafaudages, brigue le mandat de maire. « C’était bizarre, ils insistaient sur le fait qu’il était arabe et avait de l’argent pour nous aider ».

Vendredi 31 janvier, alors qu’il dévoile son programme dans son local Grand-rue Jean Moulin, le candidat se défend. « Ce n’est pas ma ligne principale, je veux représenter tout le monde. » Et son directeur de campagne, Serge Guiseppin, d’ajouter : « S’ils ont dit cela, c’est par facilité et par maladresse. » Pour la Paillade, le candidat promeut le dispositif national Zéro chômage, la formation des jeunes non qualifiés, le retour de gardiens dans les immeubles ou l’augmentation des effectifs de police et de médiateurs.

Mohed Altrad, accompagné de son soutien le sénateur Jean-Pierre Grand, lors de la présentation de son programme dans son local de campagne Grand-rue Jean Moulin. / NB

Dans le dédale du marché de la Paillade, où viennent les habitants du quartier et ceux des villages alentours, Naïma* est dubitative. Secrétaire comptable et mère de deux enfants dont un handicapé, elle n’a jamais voté aux municipales. « Il n’y a pas un programme qui se détache des autres, juge-t-elle. Je trouve celui d’Altrad assez flou, on sent qu’il reste un chef d’entreprise. » La presque trentenaire regrette de voir que l’accessibilité ou la culture ne sont pas davantage prisées par les candidats.

D’un côté, Philippe Saurel a longtemps entretenu, suite à une opération du genou, le suspense autour de son éventuelle candidature à la mairie. Il ne l’a confirmée que le 17 février en tournant le dos à LREM, malgré son soutien à Emmanuel Macron en 2017. De l’autre, la candidate désignée par EELV, Clothilde Ollier (en tête des sondages en janvier) se voit retirer l’investiture du parti le 18 janvier pour s’être rapprochée de La France Insoumise. Par un jugement rendu le 26 février, la décision est annulée par le tribunal judiciaire de Bobigny, donnant raison à la candidate qui utilisera bien le logo EELV sur ses bulletins de vote.

Au final, pas moins de 14 listes sont en lice, dont celle de l’humoriste Rémi Gaillard, véritable trublion de cette élection. « Le phénomène majeur est la compétition qui s’annonce dans les campagnes de proximité, entre des pratiques clientélistes vues par le passé et de nouvelles formes d’attention à l’électorat des quartiers populaires, provenant entre autres des listes ‘Nous Sommes’ d’Alenka Doulain, ‘Le cœur et l’action’ de Mohed Altrad et ‘Montpellier citoyenne’ de Philippe Saurel », note le chercheur Emmanuel Négrier. Les résultats du dernier sondage Ifop, publiés le 5 mars, donnent Philippe Saurel en tête (19%), devant Mohed Altrad (12%) et Michaël Delafosse (11%). Clotilde Ollier et Rémi Gaillard sont ex aequo (9%).

La résilience face à l’inaction des pouvoirs publics

Pour Ilham, présidente de l’Union Pour l’Avenir (UPA) qui fait l’aide aux devoirs aux enfants au Centre social Caf, les habitants sont perdus face à tant d’éparpillement et si peu de mobilisation. « Les mères ne savent pas qui se présente, il y a trop de candidats et de listes différentes. Et puis, dans les quartiers, ce sont souvent des habitants engagés qui mettent les gens au courant. » Non loin de là, dans les locaux du Secours populaire, Sadia* anime l’atelier cuisine auquel participent huit habitantes de la Paillade l’après-midi.

La politique, elle refuse d’abord d’en parler, puis fait un tour de table. « Qui est contente de sa situation ici ? » La plupart sont mal logées et attendent une réponse du bailleur social depuis une dizaine d’années. « Certaines parmi nous n’ont même pas de toit », souligne Sadia sans les nommer. Karima* sort son smartphone et appuie sur play. « Ça, c’est l’appartement que m’a attribué Hérault Habitat », montre-t-elle. Le sol est jonché de pierres et de peinture effritée. Les murs blancs sont assombris de moisissure. « On m’a dit que si je n’étais pas contente, d’autres le prendraient ».

La propreté comme la sécurité font partie des priorités à gérer selon elles. « J’ai peur de laisser ma fille aller au tram seule le matin », regrette Manal*. « La délinquance évolue et on a eu des fusillades en plein jour », ajoute Sadia – le 25 février au soir, un jeune est décédé après avoir reçu plusieurs balles de kalachnikov dans la zone commerciale Saint-Paul. Depuis quelque temps, elle observe que les lumières s’éteignent la nuit lorsque des « descentes de flics » vont avoir lieu. Les caméras seraient inutiles car contournées à la fois des agresseurs et de la police. « Saurel, vous croyez qu’on l’intéresse ? On ne l’a jamais vu dans le coin », coupe Sadia. Le groupe ne sait pas s’il ira voter.

Dans le local de Générations solidaires et citoyennes, les lycéens préparent leur concours d’éloquence pour les municipales. / NB

A 19h30, Soukaïna, Jassim, Bilal ou Soufyane rejoignent l’association Générations solidaires et citoyennes, à Oxford. En 2017, les adolescents avaient lancé un tract pour inciter au vote. Une façon de lutter contre l’abstention dans un quartier où elle atteint des niveaux record. « Certains ne savent pas qu’il y a des élections, d’autres ne sont pas inscrits », pense Jassim. « C’est aussi une affaire de confiance car des promesses n’ont pas été tenues », complète Bilal. Soufyane, de son côté, estime qu’il y a un manque de considération pour les quartiers : « Quand les programmes en parlent, ils ne les nomment même pas ».

Jassim préférerait voir des candidats plus jeunes et empathiques. Soufyane ferme les yeux et imagine les Pailladins comme les prisonniers de la caverne de Platon : des « hommes enchaînés » dans une « demeure souterraine », privés de « lumière du jour » et des « merveilles du monde d’en haut ». « Si on arrive à s’en extraire, il faut revenir pour montrer la voie aux autres », philosophe-t-il, admettant manquer de repères. Avant le 15 mars, les lycéens espèrent organiser un concours d’éloquence sur le thème « Si j’étais maire ». Ils y développeront leurs idées pour l’accès à la culture, la mixité sociale et une meilleure prise en compte du tissu associatif. Les candidats pourront venir s’en inspirer.

Nejma BRAHIM

Crédit photo : NB / Bondy Blog

*Le prénom a été modifié.

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