Saint-Ouen repasse à gauche. Après six ans d’intermède UDI, le maire sortant William Delannoy a été battu ce dimanche au second tour des élections municipales. Dans une triangulaire risquée, c’est le socialiste Karim Bouamrane qui l’emporte avec 38,08% des voix, battant aussi par la même occasion les communistes, longtemps au pouvoir dans la commune.

A peine arrivés à l’arrêt « mairie de Saint-Ouen », en début de soirée, on entend les commentaires des passant.es concernant les différentes listes. Visiblement, ce second tour était attendu. Devant le bureau de vote n°1, les retardataires courent pour déposer leur bulletin. Il est 19h57 et les habitant.es commencent à se rassembler devant le gymnase dans l’attente des résultats.

Il y a d’ailleurs une ambiance un peu PMU au 6, rue Ampère : les gens ne se connaissent pas mais se parlent tranquillement tout en tirant sur leur cigarette. Une paisibilité étonnante entre partisans de candidats rivaux. Cela étant, en quelques discussions, on comprend rapidement pourquoi tout le monde semble si bien s’entendre.

Un point commun rassemble la plupart d’entre eux : avoir voté contre le maire sortant. Comme l’explique Tiziana Zumbo Vital, ancienne élue et candidate au 1er tour pour une liste citoyenne qui a recueilli 2,12% des voix, « l’objectif, c’est de voter contre William Delannoy ». Elle reproche au maire sortant son opacité, son manque de démocratie et ses choix anti-sociaux et anti-écologiques.

Un dégagisme anti-Delannoy omniprésent

Mustapha Krimat, professeur de sciences expérimentales, dénonce les mêmes agissements. Il se dit « en attente d’un changement radical car la ville a été asphyxiée » par la politique du maire sortant. Selon ses dires, W. Delannoy a densifié la ville, une catastrophe pour l’écologie. Il aurait également détruit les logements sociaux et bradé la culture. Les moyens associatifs auraient aussi été divisés par deux, avec la disparition de 48 associations, déplore-t-il.

Wahiba Rhouzly critique, elle aussi, le mandat de Delannoy. Et elle est bien placé pour le savoir : elle était sa deuxième adjointe, chargée des questions budgétaires. Après qu’elle a « redressé la ville », W. Delannoy lui a apparemment fait comprendre qu’elle n’avait pas sa place au sein de son équipe. Selon elle, il l’aurait « utilisée » pour le côté marketing (mise en avant de la diversité ethnique) et non pour ses compétences. Dans la foule, d’autres dénoncent enfin l’augmentation du prix des loyers, la gentrification de la ville et une politique largement tournée vers ceux qui vont bien.

C’est sur ce terreau que s’est construite la candidature de Karim Bouamrane. Enfant de la ville, devenu patron du PS local ces dernières années, Bouamrane a patiemment préparé son coup. Et il l’a réussi, malgré un entre-deux tours qui aurait pu lui être fatal. Sa tentative d’union avec les communistes a finalement échoué et la triangulaire qui en résultait offrait un boulevard à la droite. Mais la liste « Réinventons Saint-Ouen » l’a tout de même emporté.

Et cela enchante du monde à Saint-Ouen, ce dimanche. « On a gagné ! Tous seuls, ma gueule ! », s’exclame un Audonien célébrant avec son ami la victoire de Bouamrane. Interrogé alors qu’il prenait son bain de foule post-victoire, ce dernier annonce avec confiance : « Bien sûr qu’on s’y attendait (à sa victoire, ndlr) ! C’était écrit ! » « Ecrit », le mot semble un peu fort car empreint de mysticisme mais en soi, il n’a pas tort.

Si on se fie aux paroles de Mustapha, la victoire de Bouamrane a du sens. Il est jeune, issu des quartiers populaires, racisé… bref, il ressemble à cette jeunesse qu’on a visiblement laissée de côté depuis trop longtemps : « C’est la victoire de toute une génération !, s’exclame le nouveau maire. On ne veut plus subir mais pouvoir (…). Cette victoire n’est pas que pour Saint-Ouen, c’est un message à toute la France. »

Au fil de la soirée, la victoire s’est dessinée puis précisée. Bien avant l’annonce officielle des résultats, on assistait à des accolades passionnées, des cris et même des larmes. Puis, plus le temps passait plus la foule était transcendée ; toujours sans résultats officiels. On est passés de l’ambiance PMU à l’ambiance stade de foot. Mais rien d’étonnant de la part d’un électorat plutôt jeune et divers (que ce soit au niveau du genre que des origines ethniques).

L’enthousiasme des laissés pour compte

Tellement jeune que, lorsque William Delannoy a pris le micro pour l’annonce des résultats, certain.es se sont mis à chanter le refrain de « Ne reviens pas » de Gradur et Heuss L’enfoiré (« Non, ne reviens pas / Prends tes affaires rentre chez toi », pour les non initié.es). Une façon pour la jeunesse d’exprimer son mécontentement face à un maire qui n’a apparemment pas su les considérer.

Lorsque le candidat PS a fait son discours, l’accueil a été en tout point différent. Ses rappels quant à son parcours compliqué et son engagement vis-à-vis des plus marginalisé.es ont déchaîné une foule qui s’est reconnue dans ces paroles. Son message encourageant et empreint d’espoir n’a pas laissé grand-monde indifférent.

C’est donc sous les cris, les chants et les youyous que Karim Bouamrane a quitté le bureau de vote n°1. L’enthousiasme de ses sympathisant.es – qui le laissaient difficilement passer tant ils voulaient le saluer, le féliciter, le prendre en photo… – donnaient à voir à la fois le manque de considération dont iels ont souffert et l’espoir incarné par le candidat du PS. C’est donc sous le signe du renouveau, du social et, surtout, de l’optimisme que Saint Ouen entre aujourd’hui dans un nouveau mandat.

Sylsphée BERTILI

Articles liés

  • Municipales en Seine-Saint-Denis : les 6 enseignements à retenir

    Les élections municipales en Seine-Saint-Denis ont légué un paysage politique de nouveau dominé par la droite. Si nombre de maires sortants ont été réélus, un vent de dégagisme a soufflé sur quelques communes importantes du département. C'est le cas à Aubervilliers et à Bondy, ravis par la droite, ou à Saint-Ouen et à Saint-Denis, que le PS rafle. Analyse et prospective.

    Par Ilyes Ramdani
    Le 30/06/2020
  • Le blues des communistes de Saint-Denis

    Le communisme français a perdu un de ses bastions historiques. A Saint-Denis, c’est le socialiste Mathieu Hanotin qui a remporté le second tour des élections municipales à la tête de sa liste « Notre Saint-Denis ». Avec 59% des suffrages, l’ancien député de la circonscription a remporté une large victoire face au maire sortant, Laurent Russier (« Vivons […]

    Par Hassan Loughlimi
    Le 30/06/2020
  • Garges-lès-Gonesse change de voie mais reste à droite

    La candidature de Samy Debah, fondateur du CCIF, avait placé Garges-lès-Gonesse sur la carte de France des municipales. Ce dimanche, le professeur d'histoire-géographie gargeois a manqué de peu la victoire finale. C'est Benoit Jimenez, l'actuel adjoint du maire sortant, qui conservera la commune du Val-d'Oise à droite. 

    Par Audrey Pronesti
    Le 29/06/2020