Cet article a été initialement publié sur Mediapart le 14 décembre 2019

Ce mouvement raconte un peu de l’histoire d’Aubervilliers. Il mêle des figures de la ville, des citoyens implantés de longue date, des gauches diverses, qui se sont parfois opposées et se retrouvent, et des novices qui espèrent enfin se faire entendre. Dans cette ville de Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, un attelage original autour d’un collectif citoyen veut défier les communistes, qui dirigent la ville depuis des décennies.

On y retrouve des militants de La France insoumise (LFI), de Génération.s et quelques socialistes bien connus localement. Mais ils ne sont pas sur le devant de la scène : tous ces partis se sont rangés derrière le mouvement citoyen « 100 % Auber », avec, à sa tête, Zishan Butt, un médecin albertivillarien de 37 ans.

Désigné comme tête de liste officiellement le 16 novembre dernier, à l’occasion du lancement de la campagne dans une petite salle vitrée du théâtre d’Aubervilliers, il espère dépasser le score du collectif qui s’était déjà présenté en 2014 et avait obtenu 7,1 % des suffrages.

Surtout, il rêve de rééditer l’exploit des socialistes qui, en 2008, étaient parvenus, avec un rassemblement de gauche, à battre les communistes qui dirigeaient la ville depuis 1945. Une performance qui avait tourné court – en 2014, le PCF a repris la ville, aujourd’hui dirigée par Meriem Derkaoui.

Mais les listes, classées à gauche, se multiplient en vue des municipales de mars prochain. Le PS présente son propre candidat, Marc Guerrien. Une figure locale du PCF, ancien conseiller départemental et ex-adjoint de la ville, Jean-Jacques Karman, se porte également candidat. Sans parler d’une autre liste principalement citoyenne qui se constitue avec Sofienne Karroumi, un ancien adjoint de l’actuelle maire communiste Meriem Derkaoui.

Ce jour de novembre, les militants et les soutiens de « 100 % Auber », rebaptisé « Aubervilliers en commun » pour la campagne municipale, espèrent encore changer la politique. Toutes les personnes qui incarnent les différentes tendances du mouvement sont présentes et forment des petits groupes. Tous ne se connaissent pas mais personne ne s’en cache. C’est vrai qu’auparavant les militants citoyens ne connaissaient pas vraiment les militants locaux de LFI, par exemple.

Quand vient le tour des prises de parole, chacun dans la salle attend le discours de celui ou celle qui le représente au sein d’une liste qui n’est pas encore officielle mais qui se devine aisément. Chacun a une perception différente du « rassemblement politico-citoyen » que représente « Aubervilliers en commun ». Une manière de redonner confiance en la politique pour LFI, un moyen de rénover les partis pour Évelyne Yonnet-Salvator ou encore un mouvement qu’ils ont initié du côté du collectif « 100 % Auber ».

On a besoin de rassembler

Cassandre Bliot et Guillaume Lescaut de LFI sont les premiers à s’exprimer. La première promet un mouvement qui prouvera que « les actes peuvent suivre les paroles » et qui veut « donner du pouvoir à tous les habitants ». Le second, quant à lui, rappelle le très bon score obtenu par Jean-Luc Mélenchon à Aubervilliers à la présidentielle. Comme un rappel du poids du parti.

Dans la salle, Bastien Lachaud, député de la circonscription, est présent. Il écoute et prend la parole pour évoquer un « gouvernement qui poursuit une folie libérale et s’attaque à nos acquis sociaux » et une « politique migratoire digne du Front national ». Il précisera qu’il s’agit d’élections qui dépassent le cadre d’Aubervilliers.

Yasmina Ahamed prend la parole et le discours se fait moins rodé, plus « citoyen ». La jeune femme est une chargée de mission de 25 ans, engagée dans plusieurs associations à Aubervilliers. Sa dernière expérience d’élue date du lycée, au « conseil de la vie lycéenne ». Elle se dit déçue par la politique jeunesse dans sa ville.

Évelyne Yonnet-Salvator et Daniel Garnier, eux, mettent en avant une nouvelle manière de faire de la politique. Ils sont bien connus des habitants de la ville. La première n’est pas seulement ancienne sénatrice PS ; elle est aussi la veuve de Jacques Salvator, maire d’Aubervilliers de 2008 à 2014, dont elle fut l’adjointe. Daniel Garnier est lui aussi conseiller municipal d’opposition. Instituteur à la retraite, il fut adjoint à l’éducation à l’époque où Jacques Salvator était maire.

« La société civile a changé et les partis politique doivent aussi changer. On a besoin des partis politiques mais les partis politiques ont besoin de se rénover », expliquent-ils aujourd’hui.

Samir Maizat, du collectif « 100 % Auber », qui a été tête de liste citoyenne en 2014, veut lui « être concret ». Il rappelle que son collectif a été à l’initiative du large rassemblement actuel. « On a essayé de faire une liste qu’avec des citoyens, en oubliant les partis – on ne va pas dire de mensonge –, mais on n’y arrivait pas. On a besoin de rassembler car Aubervilliers est en difficulté ; on a besoin d’un maximum de forces et de personnes, et il était inconcevable d’y aller seuls. »

Demba Camara, Samir Maizat et Nabila Djebbari du collectif "100 % Auber". © LO

Demba Camara, Samir Maizat et Nabila Djebbari du collectif « 100 % Auber ». © LO

C’est Zishan Butt, tête de liste, qui est le dernier à s’exprimer. L’homme est moins à l’aise sur une estrade que lors de discussions en cercle plus restreint. Le discours a été répété, relu, les pauses sont faites avec application : « Je vois des jeunes, des anciens, des femmes et des hommes de tous horizons, mais je vois aussi le lien qui nous unit, une même volonté de changement et un même désir de reprendre en main la destinée de notre ville de manière concertée, plus juste, plus démocratique. »

Tout le monde ne le connaît pas personnellement mais il semble faire l’unanimité. Tous mettent en avant le fait que c’est un homme stable, installé. Zishan Butt, c’est le médecin issu d’une famille pakistanaise qui, ayant grandi à Aubervilliers, s’est fait tout seul. Il est marié, père de trois jeunes enfants. Pour tous les interrogés présents ce jour-là, il est rassurant.

Des mondes qui se rencontrent

Pour Rabia Zitouni, Albertivillarienne depuis 32 ans, il est la preuve que « les gens d’Aubervilliers peuvent devenir quelque chose ». Elle ne savait pas trop ce qui allait se dire mais elle a fait le déplacement, car le médecin est venu jusque chez elle soigner sa fille victime d’un malaise quelques jours plus tôt. Il en a profité pour l’inviter à venir au lancement de la campagne.

Dolorès Nzoungou est militante LFI à Aubervilliers : Zishan Butt, elle a appris à le connaître. « Dans cette ville, il faut un humaniste et je pense que Zishan l’est. »

Il y a quelques années, Dolorès Nzoungou était de droite, « au point de voter Fillon aux élections », précise-t-elle. Et puis, il y a deux ans, elle prend un poste de gestionnaire à La Courneuve dans un établissement classé REP+. Elle se rend compte que tout ce qu’on lui raconte sur ce qui se passe à quelques kilomètres de Paris est faux, dit-elle.

« À 46 ans, je rencontre une réalité que je ne connais pas, les gens ne portent pas de vêtements de marque, ils ne réclament pas toujours des aides. Au contraire, ils y ont droit mais ne les demandent pas… Un jour, une mère m’a dit : “Mais je ne vais tout de même pas demander à l’État de payer les études de mon fils.” À partir de là, j’ai décidé de m’engager chez LFI, même si, chez moi, c’est plutôt droite traditionnelle. »

Première assemblée de campagne. © LO

Des mondes qui se rencontrent, c’est aussi ce qu’est cette fédération. Le 21 novembre, lors de la première assemblée de campagne, Demba Camara, membre de « 100 % Auber », salue Lucas Variol, militant insoumis chargé de la communication de la campagne d’un chaleureux « Hé, Luca Toni ! ». « Hein ? C’est qui ? », lui répond-il. « Tu connais pas le joueur de foot ? T’es pas sport ? — Moi, mon seul sport, c’est la politique ! »

Même niveau d’incompréhension entre les générations lorsque est évoquée l’idée d’un « street politique truck », un siège de campagne ambulant, afin d’être au plus près des citoyens. « C’est trop barbare, souligne Évelyne Yonnet-Salvator. Il faut changer de nom. » « Oui mais les porteurs de cette idée tiennent au côté urbain », souligne Anaïs Bouhloul, elle aussi membre du collectif « 100 % Auber » et engagée en politique depuis de nombreuses années dans des villes comme Aubervilliers, Pierrefitte ou Sevran.

Ce soir-là, il s’agit d’évoquer la manière dont le programme sera « co-construit » avec les habitants et comment cette co-construction aura vocation à être mise en œuvre même pendant l’exécution du futur mandat.

Cassandre Bliot, Guillaume Lescaut, Zishan Butt et Samir Maizat insistent tous sur le fait que « rien n’est figé », que chaque pôle sera coordonné par un « référent » et non par un chef, car « on n’est pas dans une entreprise », même si « les référents ont des responsabilités », précise Zishan Butt. Et Guillaume Lescaut de préciser que l’« on n’est pas obligé de participer à un pôle » pour autant.

Le projet de co-construction qui occupe tous les esprits est assez ambitieux : « Tant que le programme n’est pas amendé par nous et toutes les personnes rencontrées, alors il n’est pas définitif », selon Cassandre Bliot.Mais Samir Maizat tempère : « J’ai peur que les gens se disent que l’on n’a pas de programme. Mais si, on en a un, c’est juste qu’on va en discuter. On veut construire et pas imposer. On va faire de la politique autrement. Les personnes qui me disent : “Si je vote, tu me promets quoi ?”, je leur réponds : “Il vaut mieux que tu ailles voter pour quelqu’un d’autre, on n’est pas dans ce délire-là.” »

Il est quasiment 22 heures  quand la réunion prend fin. Le calendrier inquiète. Certains craignent en effet de ne pas avoir le temps de « co-construire » le programme. Mais des réunions vont se tenir chaque semaine et des tracts seront distribués sur le marché dès le week-end suivant. La bataille s’annonce rude.

Latifa OULKHOUIR

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