Cet article a été publié pour la première fois sur Mediapart le 15 février 2020
C’était la première véritable assemblée de campagne depuis les turbulences de décembre. Dans le local du 28 de la rue Léopold-Réchossière, le 23 janvier dernier, ils sont une quinzaine de la liste Aubervilliers en commun à s’être réunis dans cet ancien fast-food converti en QG. Au mur, il y a encore des panneaux lumineux affichant les menus et des affiches avec le logo de La France insoumise (LFI). « Faut pas faire attention, il y a encore la LFI, elles sont anciennes, on va bientôt recevoir les nouvelles », précise Nabila Djebbari, membre du collectif 100 % Auber.
Beaucoup de choses se sont passées depuis le 16 novembre et le lancement de la campagne au théâtre d’Aubervilliers, en présence notamment du député insoumis Bastien Lachaud. Toutes les sensibilités qui composaient la liste s’étaient exprimées ce jour-là. Tous les militants avaient déclaré leur enthousiasme d’être ensemble et de faire campagne au sein du mouvement pour ravir le siège de maire à la communiste Meriem Derkaoui.
Lancement de la liste #AubervilliersEnCommun ce matin. Agglomérat de forces de gauche qui feront face à la maire (PCF) @Meriem_Derkaoui : le mvt citoyen 100% Auber, la France insoumise, Generation.s, d'anciens élus (PS) comme @eyonnetSenat… pic.twitter.com/aQdDOdYnbO
— Le Sphinx (@Ilyesramdani1) November 16, 2019
Tout le monde ne se connaissait pas, tout le monde ne se comprenait pas forcément aussi mais l’attelage politico-citoyen était bien là, derrière le candidat et citoyen Zishan Butt. Il aura tenu à peine un mois.
Ce soir-là, quand la tête de liste arrive au local de campagne, Khir-Din Grid, membre de 100 % Auber, explique qu’il serait opportun de rappeler ce qu’il s’est passé en décembre car « il y a eu du mouvement ». Un petit silence s’installe. Zishan Butt finit par prendre la parole. Il choisit ses mots.
« Quand on a démarré, le 16 novembre au théâtre de la Commune, on a vraiment pensé qu’une liste citoyenne soutenue par des partis, ça allait donner de la crédibilité. On a fait les choses à fond mais par la suite, quelques personnes chez LFI ont essayé d’accaparer la formation », raconte la tête de liste, médecin de formation.
On a créé de l’espoir, il faut aller au bout
Ce qu’explique Zishan Butt ce soir-là, c’est que très vite, au sein du mouvement, des divergences ont créé des tensions entre les membres du collectif 100 % Auber – dans une démarche citoyenne – et ceux de LFI. Les divergences, entre autres, portaient sur le degré d’investissement de chacun dans le cadre des mobilisations contre la réforme des retraites.
Résultat : ces tensions ont conduit la tête de liste Zishan Butt à tenir des propos insultants à l’égard d’une membre de LFI, à l’occasion d’une conversation qui aurait été enregistrée par un insoumis. Pour permettre au mouvement de survivre, Zishan Butt a accepté de ne plus être tête de liste mais ça n’a pas suffi à sauver l’alliance.
LFI évoque des divergences de fond
Du côté de LFI, Bastien Lachaud n’a pas souhaité s’exprimer : « Je pense que les insoumis d’Aubervilliers sont plus à même que moi de vous expliquer ce choix. » Interrogé à nouveau par Mediapart, il explique : « J’ai suivi le choix des insoumis locaux, que j’ai découvert au retour de mes vacances de Noël et je trouve que c’est un bon choix. Nous aurons un nombre d’élus en cohérence avec notre ancrage local et sur un programme qui est le nôtre. »
Chef de file insoumis à Aubervilliers, Guillaume Lescaut évoque des divergences de fond avec le collectif citoyen 100 % Auber. « Quand on discutait au début, les divergences ne sont pas apparues et on ne les a pas vues venir. Les problèmes de comportement vous savez, c’est surmontable, ce n’est pas ce qui est au cœur du départ de LFI, ce sont plutôt les divergences de fond… »
Les remplaçants proposés comme tête de liste ne les ont pas davantage convaincus, selon lui. Résultat, lors d’une assemblée générale, « dans un souci d’union de la gauche, les insoumis ont choisi de rejoindre la liste communiste, sous conditions de certaines garanties programmatiques comme le RIC communal ou le petit-déjeuner gratuit. Et puis, il faut préciser que ce n’est pas surprenant de s’allier avec le PCF, c’est loin d’être un de nos adversaires idéologiques ».
Pour autant, il croit toujours à l’alliance entre citoyens et partis politiques : « À Aubervilliers, ça n’a pas fonctionné parce que les citoyens n’avaient pas les mêmes convictions que nous. »
On a l’impression d’avoir perdu du temps
Pourtant, certains insoumis ont fait le choix de rester dans le mouvement citoyen, comme Laetitia Pison qui a été candidate de La France insoumise aux dernières élections européennes. Elle regrette que les militants aient été tenus à l’écart de la décision prise par LFI de quitter la liste Aubervilliers en commun. « On a été mis devant le fait accompli, nos chefs de file ont travaillé directement avec le député. La réunion qu’ils appellent assemblée générale a été décidée du jour au lendemain », dénonce l’ancienne candidate.
Si elle ne cache pas sa déception et a failli laisser tomber, Laetitia Pison a finalement choisi de continuer à mener campagne : « Je suis tombée de haut car pour moi tout se passait bien, alors je me suis mise un peu en retrait… Et puis, j’ai vu des insoumis qui restaient dans le mouvement citoyen, comme j’adhère à son fonctionnement, je suis revenue. »
Aujourd’hui, si elle a décidé de quitter totalement LFI, sur le plan local comme national, elle précise ne nourrir aucune rancune et a la « tête dans le guidon » : « On essaie de maintenir des actions tous les jours, on a l’impression d’avoir perdu du temps mais ça fait quelques jours que l’on a des retours positifs, on y croit ! »
Khir-Din Grid insiste de son côté sur l’importance de travailler son réseau : « Le premier tour c’est bientôt, il faut qu’autour de vous, vos familles, vos proches, soient sensibilisés à ce qu’on prépare pour Auber en commun. »
Mercredi 5 février, il y avait du monde au 28 de la rue Leopold-Réchossière pour l’inauguration du QG de campagne. Les rangs étaient serrés et les nouvelles affiches étaient arrivées. Sans le logo LFI.
Latifa OULKHOUIR