« Pourquoi vous pressez-vous ? Il n’y a aucune élection à venir ! » Voilà ce qu’a entendu Sophie Mathias lors d’un entretien téléphonique avec un fonctionnaire de la mairie de Montfermeil. Dans la ville de Seine-Saint-Denis, s’inscrire sur les listes électorales n’est pas chose aisée, malgré le dispositif  « Mon Guichet unique » mis en place pour accompagner les habitants dans leurs démarches administratives. Pour Sophie, l’opération a pris plus de deux mois : « Je me suis inscrite sur le site du service public le 21 septembre 2019 mais mon inscription sur les listes électorales n’a été actée que le 18 novembre 2019 », déplore-t-elle.

Comme à d’autres habitants que nous avons rencontrés, la municipalité de Montfermeil a ainsi rendu particulièrement complexe à Sophie la procédure d’inscription sur les listes. Pourtant, officiellement, rien de plus simple (ou presque) : une pièce d’identité, un justificatif de domicile et le tour est joué. Mais, à Montfermeil, tout ne se passe pas comme ça. On lui fait d’abord comprendre qu’il manque des pièces. Mais lesquelles ? Rien n’est écrit sur le site. Elle appelle à quatre reprises mais personne n’est en mesure de lui répondre. Le 15 novembre, finalement, elle reçoit un mail lui indiquant que son dossier est pris en charge mais qu’il attend… « la décision du maire ».

Alors, Sophie décroche à nouveau son téléphone : « Dès que j’ai vu le mail, je les ai tout de suite contactés, j’ai réussi à avoir quelqu’un. On m’a d’abord expliqué que je devais attendre quinze jours pour avoir une réponse. Puis j’ai insisté et la dame m’a dit que je devais attendre 15 jours pour avoir une réponse, positive ou non. J’ai insisté et elle m’a expliqué qu’ils avaient un souci informatique, qu’elle ne pouvait pas m’en dire plus. Finalement, au bout de plusieurs minutes, elle m’a expliqué qu’il manquait un justificatif fiscal pour finaliser mon inscription. »

Elle m’a demandé de lui envoyer tout ce que je pouvais !

Le cas de Sophie n’est pas une exception à Montfermeil, loin de là. En termes de délais, Nadia* fait même mieux : « J’ai débuté les démarches le 12 septembre et mon dossier a été clôturé le 2 janvier, se lamente-t-elle. C’est complètement impensable ! » Après plus d’un mois d’attente, elle avait pourtant reçu une notification de finalisation de son dossier le 22 octobre. Mais, le 2 décembre, elle se connecte sur son espace personnel et voit un message s’afficher : «  Demande d’inscription en attente de documents supplémentaires ». Dans la foulée, elle contacte la mairie par le biais de son site internet et rappelle qu’en tant qu’agent de la fonction publique, elle devrait pouvoir s’inscrire sur les listes sans soucis…

Le 12 décembre, Nadia décide d’appeler « Mon guichet unique » afin d’avoir des explications sur sa situation. C’est lors de cet entretien que l’agent en ligne lui aurait réclamé, comme à Sophie, des documents supplémentaires : « La personne au téléphone m’a dit de ramener des documents qui n’étaient indiqués ni sur le site de la mairie ni sur le site du service public puis m’a demandé de lui envoyer tout ce que je pouvais ! » Le 16 décembre, elle transmet son attestation d’assurance, son justificatif de logement, son attestation de prise de poste ainsi que deux pièces supplémentaires en lien avec son travail. Deux semaines plus tard, le 2 janvier, son inscription est finalisée sur le site du service public.

Safia*, une autre habitante, est une habituée de ces complications. En 2014, lors du précédent scrutin, elle avait même dû renoncer à voter. Cette fois, elle s’est inscrite le 20 décembre avec les deux documents demandés. Mais toujours pas de réponse… Le 6 janvier, dès la rentrée, elle s’est rendue en mairie pour en savoir plus. Le lendemain, la ville consent à envoyer à son époux, qui a fait la démarche en même temps, un récépissé provisoire destiné à le faire voter. Mais rien pour elle…

Le maire veut-il décourager les gens de s’inscrire ?

Des délais étrangement longs, une information pas toujours très claire et des documents demandés au cas par cas : voter à Montfermeil n’est décidément pas chose aisée pour les nouveaux habitants. Reste à savoir si cela relève de la procédure normale, si c’est lié à des difficultés de fonctionnement du service ou si c’est un choix plus politique. A Montfermeil, quelques voix s’élèvent pour porter la troisième hypothèse. En gros, tout cela serait délibéré et destiné à limiter l’inscription de nouveaux habitants. Manière de garantir le socle électoral de Xavier Lemoine, maire – très à droite – de la ville depuis 2002 ?

C’est ce que laisse entendre Dominique Dellac, tête de liste de « Montfermeil Autrement », sa principale concurrente de gauche. « En 2014 déjà, le maire n’avait été élu qu’avec 32% des électeurs inscrits et beaucoup d’habitants avaient été radiés des listes électorales avant les élections, affirme-t-elle. 1400 habitants des Bosquets ont ainsi été radiés des listes suite à la destruction de leur logement en 2011 ! » Moins les quartiers et les nouveaux habitants votent, mieux se porterait donc Xavier Lemoine ?

Contactés, le maire et son cabinet n’ont pas répondu à nos questions. Dominique Dellac a, quant à elle, écrit au préfet afin qu’il se saisisse de la question.

Amine HABERT

*Les prénoms ont été modifiés

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