C’est une ascension éclair comme le parti présidentiel en a le secret. Lorsqu’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, a annoncé lundi que Nadia Hai succédait à Julien Denormandie au ministère de la Ville, c’est peu dire que les acteurs des quartiers populaires ont été surpris. « Je ne la connais ni d’Eve ni d’Adam, souffle un élu local. Je ne l’ai même jamais vu ou entendu prendre position sur la politique de la ville. »

Dans les jours qui ont précédé le remaniement, plusieurs noms ont circulé avec insistance, dont ceux d’Oivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois et président de l’ANRU, et de Saïd Ahamada, député (LREM) de Marseille et président du groupe d’études « Ville et banlieues » à l’Assemblée nationale. « Je l’ai entendu dire aussi, sourit ce dernier. Mais personne ne m’a appelé. » Finalement, c’est une des vice-présidentes de son groupe d’études, Nadia Hai, qui a hérité de ce poste jadis occupé par Bernard Tapie, Claude Bartolone ou Fadela Amara.

Dans la logique d’un casting gouvernemental soucieux de respecter les équilibres, la nomination de Nadia Hai permet de faire entrer une femme au gouvernement, une enfant d’immigrés, une députée LREM de la première heure et une élue des quartiers populaires. Ses proches l’assurent pourtant, sa nomination est bien plus que cela. « En trois ans, elle a vraiment rayonné sur la politique de la ville au niveau national, jure Aicha Borges, à la tête du comité LREM de Trappes, où elle est élue. Nadia était le bras droit de Julien Denormandie sur un certain nombre de sujets. »

Avant 2017, pourtant, Nadia Hai n’avait jamais eu le moindre engagement politique. « C’est le profil-type de la nouvelle génération d’élus qui a accompagné Macron », explique Aicha Borges. Aux élections législatives, cette ancienne banquière chez HSBC avait créé la surprise en emportant la 11e circonscription des Yvelines face à deux anciens députés, Benoît Hamon et Jean-Michel Fourgous. Trois ans plus tard, la voilà ministre, à 40 ans.

Saïd Ahamada salue cette ascension : « On a une enfant des cités qui arrive à devenir ministre de la République. C’est un bon choix, plutôt légitime, qui envoie un bon signal. » A Trappes, ses concurrents y voient un story-telling qui peine à cacher une réalité moins glorieuse. « LREM l’a pris comme un totem, dénonce le maire nouvellement élu, Ali Rabeh (Génération.s). Sauf que, derrière le symbole, il y a quelqu’un qui n’a plus rien à voir avec Trappes. Elle a quitté la ville il y a très longtemps, elle vit dans le 16e arrondissement… Et aujourd’hui, on a une députée qu’on ne voit jamais. On n’a jamais vu la couleur de son travail, ni le moindre résultat. »

Les élus locaux sont intarissables sur cette députée qui n’assiste pas aux événements locaux, qui s’absente aux commémorations ou qui a installé une permanence au milieu d’une zone industrielle, là où personne ne va jamais. « J’ai encore fait l’expérience tout à l’heure (lundi, ndlr), raconte Ali Rabeh. J’étais avec les licenciés d’un club sportif et je leur ai posé la question : ‘Vous connaissez votre députée ?’. Aucun n’était capable de donner son nom. Moi, j’habite à Trappes et je n’ai jamais reçu dans ma boite aux lettres la moindre lettre de la députée, le moindre compte-rendu de mandat… »

L’élu nuance toutefois : « Je ne la connais pas donc je ne peux pas la juger personnellement. J’espère qu’elle travaille beaucoup à l’Assemblée parce qu’elle ne travaille pas beaucoup à Trappes. » Saïd Ahamada balaie l’argument de l’ancrage : « Est-ce qu’on a demandé à Julien Denormandie d’habiter dans les quartiers ? Est-ce qu’on a déjà demandé à Tapie s’il habitait dans les quartiers Nord ? On ne va pas lui reprocher, quand même, d’avoir réussi dans la vie. Je pense que c’est un faux procès. »

L’élu marseillais l’assure, c’est bien dans l’hémicycle que Nadia Hai se distingue depuis trois ans. « On a beaucoup travaillé au sein du groupe dont elle était vice-présidente, affirme-t-il. Elle a notamment pesé sur la question de l’aide aux associations. »

Son métier, la banque ; son sujet, l’économie

Mohamed Mechmache, fondateur d’ACLefeu et militant emblématique des quartiers, l’a bien croisée « lors de quelques réunions ministérielles ». Il se souvient d’une élue qui « s’intéressait au sujet », avant d’ajouter : « En même temps, ce n’est pas difficile de s’intéresser à ce sujet. »

Aly Diouara, militant associatif et représentant d’une amicale de locataires à La Courneuve, a également eu à faire à Nadia Hai en pleine crise sanitaire. « Lorsque j’ai lancé une action et une pétition pour la suppression des loyers pour les plus précaires, un de ses collaborateurs m’a contacté, raconte-t-il. On a échangé une bonne heure, elle et moi, sur la précarité liée à la crise, sur la question du logement… C’est la seule députée qui nous a aidés à trouver des solutions. »

De cet échange, le leader associatif garde le souvenir d’une interlocutrice « réactive, prête à mettre les mains dans le cambouis ». La marcheuse locale, Aïcha Borges, ne tarit pas d’éloges sur sa « métamorphose » pendant ces trois ans : « On l’a vu évoluer. Nadia, c’est la citoyenne qui a déployé ses ailes. Aujourd’hui, elle s’est affirmée dans le paysage, avec un grand sens de l’écoute, une chaleur humaine et une forme de simplicité. » Saïd Ahamada, député LREM, complète le panégyrique : « C’est quelqu’un de déterminé, de franc. Elle va au bout des choses et elle dit ce qu’elle pense. »

Sur le fond, ce n’est pourtant pas sur les enjeux liés aux quartiers populaires que Nadia Hai s’est le plus distinguée. Banquière de formation, elle a remis 10 rapports depuis le début du quinquennat, dont 9 sur les questions budgétaires et financières. En 2019, elle a beaucoup travaillé sur l’évaluation de la suppression de l’ISF. Aïcha Borges esquisse un lien entre sa fibre économique et ses nouvelles attributions ministérielles : « Son grand sujet, c’est la question de l’insertion, le chômage de nos jeunes. La question des discriminations est au centre de ses combats. »

Pas facile à percevoir depuis Trappes, où sa nomination comme ministre a suscité une autre interrogation. Et c’est peu de le dire. « Moi, je n’en ai pas cru mes oreilles », avoue Ali Rabeh. L’objet de la colère : la perspective de voir arriver comme député le suppléant de Nadia Hai, Moussa Ouarouss, mis en examen depuis fin 2019 pour trafic de stupéfiant entre la France et le Maroc. « On ne veut pas de cet homme qui n’a rien à voir avec Trappes, qui habite à Reims, qui est soupçonné de trafic de drogue et qui va entacher notre territoire », prévenait le maire lundi soir.

Finalement, Nadia Hai a pris les devants et démissionné en catastrophe, dans la nuit de lundi à mardi, avant de prendre officiellement ses fonctions de ministre. Une manière d’empêcher in extremis son remplacement par Moussa Ouarouss. « Son suppléant était impliqué dans une procédure judiciaire. Ce n’était pas possible de laisser cet homme reprendre son siège à l’Assemblée », explique-t-on au groupe parlementaire LREM.

Après la polémique, quelle action ?

Conséquence politique : LREM va perdre un député, et ce n’est pas négligeable pour une écurie présidentielle qui a déjà perdu sa majorité absolue il y a quelques semaines. La onzième circonscription des Yvelines sera donc le théâtre d’une législative partielle, probablement en septembre, qui a toutes les chances de se transformer en nouvelle défaite pour LREM. A Trappes, le parti présidentiel avait soutenu le maire sortant Guy Malandain aux municipales. Il a été balayé par son ancien adjoint, Ali Rabeh, après dix-neuf ans passés à l’Hôtel de ville.

La séquence de ces dernières vingt-quatre heures a en tout cas donné l’impression d’une grande improvisation du côté de l’exécutif. « Je ne sais pas comment qualifier cette bande d’amateurs », assène Ali Rabeh, proche de Benoît Hamon.

Reste la considération principale : celle de la politique gouvernementale en direction des quartiers populaires. Même Julien Denormandie, qui jouit d’une bonne réputation auprès des acteurs de terrain, n’a pas réussi à dégager l’impulsion et les moyens nécessaires pour rompre les puissants mécanismes d’inégalités sociales et territoriales.

Saïd Ahamada veut y croire. « Il y avait un vrai besoin d’incarner la politique du gouvernement, dit-il. Le fait d’avoir une ministre qui ne sera que sur la ville devrait permettre de mieux incarner ce que l’on souhaite faire sur ces questions-là. » Mohamed Mechmache est moins optimiste : « Mais qu’est-ce qu’elle va changer en 18 mois ? Quelle marge de manœuvre elle aura ? Quel budget ? Moi, c’est terminé, je n’y crois plus. J’y croirai quand on aura un ministère de la Ville qui englobera d’autres ministères et qui sera incarné par le numéro 2 ou le numéro 3 du gouvernement. »

Ilyes RAMDANI

Crédit photo : Twitter / Nadia Hai

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