Un meeting aux allures de super bowl, un DJ pour chauffer la salle… Le premier et dernier meeting du président-candidat était par certains aspects assez lunaire. Dans l’immense salle de l’Arena la Défense (Hauts-de-Seine), Emmanuel Macron s’est offert un show à l’américaine à huit jours du premier tour.

Rare acte de campagne à l’heure où la présidentielle est écrasée par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine. Exercice sans risque pour un président de la République qui ne daigne pas débattre avec ses concurrents et qui s’est livré à un autosatisfecit de deux heures.


Devant une foule acquise à sa cause, le candidat Macron qui refuse le débat, égrène ses victoires, dans un pays fatigué.

Dans les gradins, une foule de convaincus, pour certains survoltés, l’acclame. Près de l’estrade centrale « les jeunes avec Macron » s’époumonent en agitant de petits drapeaux : « Et 1 ! Et 2 ! Et 5 ans de plus ». Entrée royale, Emmanuel Macron arrive sous les hourras, sono à fond et bain de foule contrôlé. Sur les écrans géants, on ne voit pas les tribunes laissées vides ni la banderole de militants écologistes déroulant un « criminel climatik ».

Le carré VIP abrite ses ministres, des soutiens de la première heure mais aussi des prises de guerre comme Eric Woerth, député LR et ancien ministre sarkozyste. Manuel Valls était là aussi (fin de la blague). Engoncés dans leurs costards sombres, eux aussi se sont prêtés au jeu, enchaînant clapping et ola. Le devoir de réserve des agents de l’État en période électorale attendra.

Contre le réel, Macron glorifie son bilan

« C’était notre projet, maintenant c’est notre bilan », triomphe Emmanuel Macron devant une foule conquise. L’écouter dérouler son bilan donne le sentiment de ne pas vivre dans le même pays que lui. Les gilets jaunes : une petite crise résolue par la création de maisons France services. La précarité : « Le pouvoir d’achat a augmenté de manière historique, notamment pour les travailleurs les plus modestes ». Tout va bien madame la Marquise, dans un pays où d’après l’Insee, on comptabilise aujourd’hui 13 millions de personnes en  « en situation de pauvreté monétaire ou de privation matérielle et sociale », soit « une personne sur cinq ». Avec 9,2 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire équivalent à 1102 euros par mois.

Un discours de plus de deux heures du candidat Macron, qui aura mis le paquet pour cette campagne éclair. 

Malgré sa non campagne présidentielle, Emmanuel Macron a jusque-là réussi à faire entendre deux propositions : repousser l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans et conditionner le RSA à l’exercice d’une activité. Peu importe si le non-recours au RSA atteint un tiers des ayants droit. Les plus pauvres auront toujours bon dos pour l’effort national. Si ses promesses font vibrer le cœur de la droite, Emmanuel Macron a, ce samedi, voulu se rappeler au bon souvenir de son aile gauche.

Macron chipe le slogan du NPA.. et celui de Sarkozy

Ainsi, alors qu’il évoquait le scandale des Ehpad du groupe Orpéa, Emmanuel Macron a lancé un : « Nos vies, leurs vies, valent plus que tous les profits ». Un copié-collé du slogan d’Olivier Besancenot (NPA) en 2007, rien que ça. Le président acrobate a fait côtoyer cette référence à celle du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy.

Tremolos dans la voix, le chef de l’Etat promet aussi une revalorisation de 50 % de l’aide versée aux « mamans seules ». Après avoir braqué les enseignants en déclarant que certains ne travaillent pas assez, le président les a, cette fois, fait applaudir.

« Je ne me résoudrai jamais à ce que l’on puisse faire des économies au détriment des Français les plus précaires », a assuré le chef de l’Etat. Comme si nous étions tous frappés d’amnésie. Comme si nous avions oublié la réforme de l’assurance-chômage ou la baisse des APL (4 milliards d’euros d’économie sur le dos des plus pauvres rien qu’en 2022). Idem pour la lutte contre les violences faites aux femmes. Une politique réduite à des incantations plus qu’à de vrais investissements.

Lire aussi : Egalité hommes-femmes : petites avancées et stigmatisations pour Macron

Emmanuel Macron s’est aussi posé comme seul rempart face à l’extrême-droite. Contre le « grand rabougrissement », il a brandi les valeurs de la France, de l’Europe. Pas celles de Valeurs actuelles, « un très bon journal », selon ses dires, chez qui il a été prompt à donner une interview-fleuve en octobre 2019, comme bon nombre des membres de son gouvernement.

On l’aura compris, dans son esprit le second tour doit se jouer entre lui et Marine Le Pen (RN), « l’héritière de ceux qui ont combattu le général de Gaulle ». Mais quelques unes de saillies étaient aussi adressées à Jean-Luc Mélenchon (LFI) qui remonte dans les sondages. Sans le nommer, Emmanuel Macron accuse le candidat de la France insoumise de verser « dans le communautarisme » et d’encourager « les mouvements indigénistes ». Des mots qu’on pourrait retrouver sans peine dans le discours de la droite extrême.

Sa justification sur Mckinsey est très faible.

Une fois son discours terminé, l’Arena désemplit rapidement. Reste ses supporters. Jennifer, une enseignante de 30 ans s’extasie : « C’était monumental ! Il n’a fait qu’un seul meeting mais il a fait le bon ! ». Pierre qui est venu spécialement du Tarn est ravi par cette « belle démonstration de force ». Il repart avec « des arguments et de l’énergie », pour tracter sur le marché de Lisle-sur-Tarn demain.

Mais plus loin, un groupe de trois trentenaires se montrent bien plus critiques. « Il n’a développé aucun sujet et sa justification sur Mckinsey est très faible », regrette Lucas qui travaille dans l’événementiel.

Le président a en effet balayé d’un revers de main les révélations sur les millions d’euros d’argent public déversés à des cabinets de conseil durant son mandat. Pour ces trois sympathisants, Macron a fait le service minimum. « Si j’avais ramené quelqu’un qui n’était pas convaincu, il l’aurait été après coup », croit Lucas. Pour autant, ces trois-là comptent voter pour Emmanuel Macron dès le premier tour « par défaut ». Sans doute le meilleur résumé d’un meeting qui ne restera pas dans les annales.

Helena Berkaoui

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