Sur la façade de l’hôtel de ville de Saint-Denis, on peut lire la devise « Montjoie Saint Denys » qui doit rappeler quelque souvenir au président-candidat. Ce dernier est arrivé en Seine-Saint-Denis en début d’après-midi pour rencontrer habitants et associatifs des quartiers populaires. Et déclamer un certain nombre de phrases attendues et quelques annonces vagues réunies sous le label « quartiers 2030 ».
« L’ensemble des habitants de nos quartiers populaires sont une chance pour notre République ». « Nous ne devons pas nous habituer à la montée des idées de l’extrême-droite ». « Je veux aller plus vite et plus fort dans la réhabilitation des logements ». « Je veux démultiplier les moyens ».
Mal-logement et rénovation urbaine : des thèmes classiques
La visite était annoncée autour du thème du mal-logement comme a pu en témoigner le petit stop du candidat devant un immeuble en réhabilitation comme en compte beaucoup la ville de Saint-Denis. L’occasion de revenir sur ce qui a été fait en la matière durant le quinquennat par celui qui avait déclaré en juillet 2017, à Orléans « la première bataille, c’est de loger tout le monde dignement ». En février dernier, la Fondation Abbé-Pierre, dans son rapport annuel sur le mal-logement avait jugé la politique du président sortant « pas à la hauteur ». Pire, on y lit, « il apparaît que le logement n’a jamais été une priorité de l’exécutif au cours de ce mandat ».
Il vient demander nos voix et après il nous met à la poubelle et en plus il met le couvercle !
Dans la foule, Lassana est venu en voisin et ne pense pas que le président-candidat soit là pour changer les choses que ce soit dans le domaine du logement ou n’importe quel autre. Il dit ne pas être dupe « il ne vient ici que pour son intérêt et les gens qui courent derrière lui aussi. Il vient demander nos voix et après il nous met à la poubelle et en plus il met le couvercle ! Il ne va rien faire pour nous ».
Juste devant lui, une femme se retourne, militante LREM, elle semble agacée par ce qu’elle vient d’entendre. « C’est un président, il ne peut pas tout faire, allez demander à votre maire ou à Pécresse, c’est elle qui gère la région. Moi je viens de Clichy-sous-Bois et il y a beaucoup de choses qui ont changé grâce à mon maire ». Olivier Klein, le maire en question, élu LREM est aussi du déplacement et président l’ANRU (Agence Nationale de la Rénovation Urbaine).
Agence dont le budget est passé de 5 à 12 milliards d’euros a déclaré le président-candidat qui aurait tort de se priver de mentionner une telle augmentation de budget. Mais comme souvent pour les quartiers populaires, il est souvent question de milliards ou de millions d’investissement dont on peine à voir les résultats au-delà des rénovations. Et ce ne sont pas que les habitants qui le disent. En décembre 2020, la Cour des Comptes a publié une étude sur l’attractivité des quartiers prioritaires permettant d’évaluer la portée des actions de l’ANRU. Elle indique que le taux d’attractivité des quartiers prioritaires a peu évolué en dix ans.
Et nous peuple de France on ne peut pas parler au président.
Dans la foule, ça joue des coudes et des cordes vocales comme dans tous les déplacements de ce genre entre les « pros » et les « anti » Macron. Nombreux sont ceux qui veulent voir « leur » président, pour lui soumettre une doléance ou faire un selfie. Une dame est évacuée en raison d’un malaise après qu’elle utilise toutes ses cordes vocales pour dire son affection à Emmanuel Macron à qui elle a longuement tenu la main, un autre jette une lettre en espérant que le président s’en saisisse, quand un dernier, veste en cuir et lunettes de soleil tente de se frayer un chemin carte d’identité française à la main.
Tous ou presque tempêtent contre les journalistes venus en nombre, « mais vous le voyez tous les jours vous, laissez-nous lui parler ». « C’est toujours les mêmes devant. BFMTV sont en première loge, je les aime bien mais bon. Et nous peuple de France on ne peut pas parler au président » lance un jeune homme, qui a séché les cours à Rosny pour rencontrer celui pour qui il milite depuis 2 ans.
Un président en campagne et des habitants lucides
Kofie, 23 ans, étudiant, Nelson et M’Paly 22 ans, préparateurs de commande eux, sont juste venus observer le spectacle. « Je vais demander à Macron qu’il me trouve une alternance », ironise Kofie. « Il va te dire de traverser la route », rétorque M’Paly. « C’est normal qu’il soit ici. Il y a des voix à gagner. Ici, les gens ont voté en majorité pour Mélenchon. Et ils ne savent pas quoi voter au deuxième tour. Je ferai la même chose à sa place », affirme Kofie.
On est les castors juniors, on vote que pour faire barrage.
A Saint-Denis, Jean-Luc Mélenchon a obtenu plus de 60% des voix au premier tour, 49% dans le département et tout le monde sait que ce sont ces voix que le président vient chercher. Mourad a 44 ans et travaille à Saint-Denis, il est aussi venu jeter un œil à ce qui se passait et se revendique « mélenchoniste ». Il votera Macron au deuxième tour sans aucune hésitation par peur de l’extrême-droite « on est les castors juniors, on vote que pour faire barrage ».
Après moins d’une heure d’échanges sur le parvis de la mairie avec une trentaine de responsables associatifs en présence de quelques élus LREM, le président-candidat s’est rendu au stade Auguste Delaune où il a enfilé des gants de boxe et mis quelques coups droits inoffensifs. Les quartiers populaires, ce terrain de jeu, après le match de football à Sarcelles en 2017, le « combat » de boxe de Saint-Denis en 2022. L’équipe de campagne voulait mettre ce temps de la journée sous le signe de l’intégration par le sport et il se murmure qu’elle aurait même essayé de faire venir Kylian Mbappé en soutien… en vain.
Il aurait été plus courageux par exemple, de se rendre à l’hôpital Delafontaine, à quelques minutes de là, où les urgences pédiatriques ont dû fermer en janvier faute de personnel.
La séquence « quartiers populaires » d’un candidat à la présidentielle est une figure imposée politique. Et comme toujours, la Seine-Saint-Denis, ce département le plus pauvre de métropole, désert médical, touché de plein fouet par la crise sanitaire et ses conséquences sociales n’a eu droit qu’à un show électoral et à des annonces que l’on est bien aimables de qualifier comme telles. A l’image de celle de son ex-gouvernement, la visite d’Emmanuel Macron était quadrillée et les sujets, sport, culture et rénovation urbaine bien choisis et peu dangereux. Il aurait été plus courageux par exemple, de se rendre à l’hôpital Delafontaine, à quelques minutes de là, où les urgences pédiatriques ont dû fermer en janvier faute de personnel et où l’on dénonce la dégradation des conditions de travail au sein de l’hôpital public. Mais il y aurait eu moins de selfies.
Latifa Oulkhouir et Anissa Rami