« Merci à toutes celles et ceux qui ont permis cette émission. Ces débats sont toujours des moments démocratiques importants. Et cette campagne est importante », conclut le président sortant, Emmanuel Macron, candidat à sa réélection, dans la dernière partie de l’émission « La France face à la guerre » diffusée sur TF1 lundi 14 mars.

Pas de débat, pas de bilan à défendre.

Deux mots me gênent dans cette dernière phrase du président candidat. Le premier : « débat ». Aucun débat, ni confrontation entre candidat·e·s n’ont eu lieu durant ces presque trois heures d’émission. Huit candidat·e·s à la présidentielle ce sont succédé·e·s, pour défendre leurs projets respectifs sans jamais se croiser. En étant plus ou moins secoués par les journalistes, Gilles Boulleau et Anne-Claire Coudray, plutôt moins que plus pour certains. Pas de débat, pas de bilan à défendre, la caravane passe, plus personne n’a la force d’aboyer. Et le public électeur se retrouve, comme moi, face à une émission qui ressemble plus à une succession de pitchs qu’autre chose.

Le second terme : « démocratique ». A l’annonce de cette émission, Twitter s’enflammait déjà pour déplorer l’absence de quatre candidat·e·s à la présidentielle : Phillippe Poutou (Nouveau Parti Anticapitaliste), Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière), Jean Lassale (Résistons !), et Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France). On cherche encore l’utilité du nouveau principe « d’équité » promu par l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, ancien CSA), qui accorde dans le même temps plus de minutes de parole à Emmanuel Macron.

L’invasion russe en Ukraine en toile de fond de la campagne présidentielle 

Malgré le thème affiché « la France contre la guerre », il s’agissait surtout pour les candidat·e·s d’un moment important d’une campagne qui n’avance pas  sur la première chaîne de France. Comme l’a fait par exemple Jean-Luc Mélenchon qui a profité de sa minute de profession de foi pour transmettre ses idées aux français·e·s. Emmanuel Macron a préféré quant à lui attendre l’annonce de son programme prévue ce jeudi 17 mars.

Debout, l’exercice oratoire de la profession de foi, et le droit de réponse ressemblaient plus à un théâtre de démocratie qu’à une joute intellectuelle et politique. Aucune contradiction durant ces deux moments de l’émission, et des journalistes campés sur des thèmes définis au préalable durant les entretiens : Poutine est-il un dictateur ? Quelles sanctions pour la Russie ? Oui ou non au nucléaire ?  Le prix de l’essence en hausse (les gilets jaunes en souvenir), l’âge de la retraite, et la baisse des impôts, que toutes et tous promettent.

Pourtant pas un thème annoncé, durant l’entretien, le candidat, Eric Zemmour, passe forcément par ses sujets phares. Le « grand remplacement », et l’immigration qu’il veut interdire et contre laquelle il promet être « rude ». Le plus normalement du monde, « sans questions, ni critiques », Gilles Boulleau et Anne-Claire Coudray enchaînent : « Parlons du pouvoir d’achat des français ». Rien non plus du côté des « Vérificateurs » (un QR Code avait été mis en place pour vérifier en temps réel les propos des candidat·e·s) sur le terme « grand remplacement », pourtant une théorie du complot d’extrême droite, introduite en France par l’écrivain Renaud Camus.

Jouant de cette illusion démocratique sur le plateau, TF1 n’a pas fait dans la dentelle sur ses réseaux. Equité comme égalité du temps de parole n’ont cette fois pas été respectées.

Une neutralité à deux vitesses : De la télévision à twitter

Sur le plateau, les deux journalistes affirment être « les gardiens neutres et bienveillants » du temps de parole. Mais dès le début de l’émission, les nouvelles règles de « l’équité » sont annoncées. Le temps de parole sera mesuré « en fonction du nombre d’élus, des groupes politiques au parlement, des sondages, de la dynamique de campagne et des résultats aux précédentes. » Ce qui a permis au candidat, Emmanuel Macron, de parler plus d’une demi-heure, tandis que Yannick Jadot aura argumenté durant 15 minutes.

Jouant de cette illusion démocratique sur le plateau, TF1 n’a pas fait dans la dentelle sur ses réseaux. Equité comme égalité du temps de parole n’ont cette fois pas été respectées. Pour les milliers d’internautes qui ont suivi le débat via les extraits partagés par le compte Twitter de TF1, suivi par 5 millions d’abonnés : après les tri des invités, c’est le tri des vidéos.

Onze vidéos publiées sur les interventions d’Emmanuel Macron, six pour Marine Le Pen et Eric Zemmour, et seulement une pour Jean Luc Mélenchon et Yannick Jadot. Plusieurs minutes d’entretiens publiées pour certain·e·s, et une minute de la profession de foi pour les candidats d’Europe Ecologie Les Verts, et La France Insoumise.

Mais comment ce temps est décompté sur les réseaux sociaux et sur internet, notamment en ce qui concerne les vidéos publiées sur les réseaux de la chaîne ? Rien du côté de l’ARCOM, pourtant aussi chargée de la communication numérique. Bon à savoir : les réseaux sociaux représentent le premier moyen d’information pour les moins de 35 ans qui utilisent à 66% internet pour s’intéresser à l’actualité. Tandis que pour les moins de 25 ans, l’usage des plateformes en premier lieu pour s’informer atteint les 75%.

Sur Twitter, beaucoup s’insurgent du traitement réservé aux candidats par la chaîne TF1. 

La chaîne de télévision privée, TF1, via ses journalistes, et ses réseaux sociaux, persiste et signe. Faisant d’Eric Zemmour, un candidat normal, excluant les candidat-e-s d’extrême gauche du plateau, ne diffusant pas les discours des candidats de gauche sur Twitter, et répondant surtout à toutes les attentes d’un président sortant qui refuse de débattre.

Anissa Rami

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