Quand Victor Kanengieser prend la parole, ce lundi 12 avril sur Discord, c’est plus de 200 voix numériques qui lui répondent en chœur. « Vous êtes beaucoup trop chauds ce soir ! », ambiance le coprésident de Tous Élus. L’association lance ce soir-là son programme Pourquoi pas Toi ?, une formation de deux mois, destinée à accompagner 577 personnes issues des catégories peu représentées à l’Assemblée nationale pour qu’il·elle·s soient candidat·e·s aux législatives de 2022.

Si l’association mise cette année sur un renouvellement de l’Assemblée nationale, c’est qu’elle a déjà fait ses preuves lors des dernières élections municipales. Parmi les 2500 personnes formées pour le scrutin de 2019, 200 se sont présentées sur des listes, et 60 siègent désormais dans des conseils municipaux.


« Pourquoi pas toi ? » est le nom de la campagne lancée par Tous Élus pour les élections législatives de 2022. 

Un mouvement pour répondre à l’abstention

Ce mouvement apartisan et porté par des citoyens bénévoles s’est lancé en août 2018 après le constat d’une abstention de plus de 70% chez les 18 – 34 ans au second tour des législatives. Son objectif : « réenchanter la démocratie », rendre les institutions plus représentatives et décomplexer l’engagement politique. Une version française du mouvement Brain New Congress, le comité d’action politique qui a porté Alexandria Ocasio-Cortez sur les bancs du Congrès américain.

« Ce qu’on veut, c’est montrer à la population française que des gens issus de la diversité peuvent prendre la place des anciens ! », résume Audrey Fortassin, la directrice générale et seule salariée de cette association qui fonctionne grâce à une quarantaine de bénévoles actifs et au soutien de la fondation du milliardaire et philanthrope américain George Soros, Open Society Foundations.

Celles et ceux que les institutions françaises ne représentent pas

Ce soir-là sur Discord, il y a Caroline du Val d’Oise, Kevin d’Argenteuil, Boris M. de  Rennes, Fabiola 75, mais aussi Hachimia de Marseille, Alex de l’Ain, Sandrine de La Réunion ou encore Viviane de Dijon. Jeunes, femmes, ruraux, banlieusards, ils et elles sont les oublié·e·s de la démocratie.

Celles et ceux que les institutions françaises ne représentent pas : 68% des recrues ont moins de 30 ans, 60% sont des femmes, 22% ouvriers ou employés, 55% vivent dans des zones rurales, et surtout, 95% n’ont jamais été élu·e·s. « On a pondéré certains critères pour faire remonter les profils qui manquent actuellement à l’Assemblée », précise Audrey Fortassin. Actuellement, 30% des élus à l’Assemblée nationale ont  occupé un poste de cadre dans le secteur privé, près de 15% issus de la fonction publique, 12% sont des “permanents politiques” sans autre fonction. Dans le même temps, la représentation des ouvriers a totalement disparu chez les député·es.

Sur les 1000 candidatures reçues, 300 personnes ont été retenues pour cette session. Les futur·e·s candidat·e·s intégreront l’une des dix promotions créées en fonction des situations géographiques. 277 autres recrues seront formées à l’automne prochain.


Sur leur chaîne Youtube, l’association Tous Élus a mis en ligne un manifeste pour encourager les candidatures. 

Rompre avec le sentiment d’illégitimité

Depuis plus d’un an, les bénévoles de Tous Élus planchent sur la préparation de cette formation en ligne et gratuite. Pendant deux mois et à raison de six heures par semaine, les « 300 pépites » alternent entre ateliers en petits groupes via Discord, contenus vidéos pour s’auto-former, cas pratiques pour valider les acquis et masterclass en visio.

Les apprentis candidat·e·s découvriront comment fonctionne l’Assemblée nationale, quel est le quotidien d’un député, comment financer sa campagne ou construire son équipe. Il et elles apprendront à connaître leurs circonscriptions, à gérer leur image sur les réseaux sociaux, à prendre la parole en public, à structurer leurs idées et leurs valeurs, à dessiner un programme politique.

Dans les réunions politiques, face à des hommes de 40 ou 60 ans, on me fait souvent sentir que je ne suis pas à ma place.

Des formations théoriques donc mais aussi et surtout un travail des facilitateurs de Tous Élus pour rompre avec le sentiment d’illégitimité qui habite chacun·e·s des candidat·e·s. Pour Hachimia Aboubacar, 21 ans et native de La Castellane à Marseille, ce syndrome de l’imposteur est sciemment construit par ceux qui se partagent le pouvoir depuis toujours : « Dans les réunions politiques, face à des hommes de 40 ou 60 ans, on me fait souvent sentir que je ne suis pas à ma place. Quand je prends la parole, il y a toujours un qui va se permettre de me corriger, sous prétexte que j’ai l’âge de sa fille. C’est hyper frustrant d’avoir des choses à dire, mais de ne jamais être écoutée ! », déplore cette étudiante en droit, engagée à Marseille dans le parti Allons Enfants depuis près d’un an.

 On croit en la force du collectif pour lever ce manque de confiance et leur permettre d’investir les places qui sont les leurs.

Fabiola Conti, une franco-italienne de 34 ans, également présente ce soir-là sur Discord, renchérit : « En tant que femme, il est plus difficile de se sentir à la hauteur. Il faut dire qu’on nous a reléguées dans la cuisine pendant des siècles, c’est compliqué de s’en détacher ». Travailler sur ces freins fera partie des premiers modules de la formation. « On croit en la force du collectif pour lever ce manque de confiance et leur permettre d’investir les places qui sont les leurs », précise la directrice générale qui animera les sessions de la promo du 93.

Cesser d’espérer que d’autres s’en chargent à notre place.

Ce que les participant·e·s ont en commun, c’est un profond désir de changer le monde. Alexandre Castrillo a 27 ans. Il est barman et vit à Gex dans l’Ain. Il a découvert l’existence de Tous Élus via les comptes Instagram de jeunes militants écologistes qu’il suit, comme Camille Etienne ou Cyril Dion. « Tous les jours, je dis à ma copine que j’ai envie d’être acteur et non plus spectateur. Quand on n’est pas contents, on a le droit de râler, mais on a surtout le droit de se donner les moyens de changer les choses et de cesser d’espérer que d’autres s’en chargent à notre place. »

Une prise de conscience individuelle face à l’inefficacité des manifestations

Comme Alexandre, Fabiola partage ce même sentiment d’urgence : « Je peux bien faire mon compost tous les jours dans mon coin mais si on laisse les entreprises polluer allègrement, on ne peut espérer aucune amélioration. C’est par les lois et les politiques qu’on fait la différence ». Hachimia, elle, a décidé de s’engager politiquement parce que « manifester ne sert malheureusement plus à rien. Il faut prendre le pouvoir. Quand je parle de créer un nouveau système, tout le monde me rigole au nez, mais en réalité, c’est ça le vrai combat politique ! » 

Révolutionner la politique, c’est, pour Hachimia et Fabiola, faire table rase d’une classe politique déconnectée des citoyens et de la vie ordinaire. « Ceux qui décident sont des gens très éloignés de la vraie vie, qui ont tous grandi dans le même milieu, ont tous fait les mêmes études, et surtout n’ont jamais eu de soucis pour payer leurs loyers ou pour se nourrir ! », tempête Hachimia, qui milite pour plus de justice sociale et d’écologie. Fabiola, de son côté, a trouvé dans le mouvement Volt Europa et son approche paneuropéenne des sujets sociétaux, « une manière de faire de la politique autrement », grâce notamment, à l’organisation de sessions d’écoutes des citoyens sur des thématiques qui les concernent.

En intégrant un parti, on intègre un système et moi le système je veux le changer.

Comme 6 jeunes sur 10, Hachimia et Fabiola ont une image négative des partis. Alors, quand sur Discord ce soir-là, les animateurs de Tous Élus expliquent aux futurs candidats que pour les législatives, se présenter sous la bannière d’un parti est quasiment une nécessité, les questions fusent. « Ne pas être rattaché à un parti, ça veut dire ne pas avoir de groupe parlementaire, ne pas pouvoir faire passer d’amendement, ne pas pouvoir prendre la parole à la tribune, ça cantonne à un rôle d’observateur », justifie la directrice, Audrey Fortassin.

Pour Hachimia Aboubacar, cette stratégie n’est pas une option envisageable : « Je pense qu’en intégrant un parti, on intègre un système et moi le système, je veux le changer. Un parti est venu me voir pour les départementales, ils ont proposé de me placer. J’ai très vite compris qu’ils essayaient d’utiliser mon image. Il faut dire que j’ai le pack social total : je suis femme, je suis jeune et en plus, je suis noire ! », plaisante celle qui mise sur les petits partis et les mouvements citoyens pour acter le changement.

Nous sommes le peuple, nous faisons vivre et tourner la France, nous voyons tous les jours ce qui ne va pas, ce qui pourrait être amélioré.

Fabiola, elle, n’est pas contre l’idée d’intégrer un parti, mais seulement pour essayer de le changer de l’intérieur. Alexandre souhaite, de son côté, être le représentant du peuple à l’Assemblée. « Je sais que c’est un bien grand mot, mais le peuple est le grand oublié de l’histoire et pourtant c’est à lui que l’on demande d’aller voter, de croire, de faire confiance en son gouvernement ! »

Il poursuit : « Comme tous ceux qui participent à la formation, nous sommes le peuple, nous faisons vivre et tourner la France, nous voyons tous les jours ce qui ne va pas, ce qui pourrait être amélioré. Le sens même de la démocratie, n’est-ce pas le pouvoir du peuple pour le peuple et par le peuple ? » 

Il est 21 heures. Après deux heures d’échanges, la réunion touche à sa fin. L’énergie, l’enthousiasme et le bouillonnement se lisent sur le fil Discord où s’entremêlent les flammes, les applaudissements et les messages d’encouragement. Et Alexis C. d’ajouter : « On va tous se retrouver au Palais Bourbon, ça va faire bizarre à ceux qui y sont depuis 20 ans ! » Les pouces en l’air et autres émojis coeurs disent  l’approbation générale des ces oubliés bien décidés à se faire entendre.

Margaux Dzuilka

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