Un ballet de voitures de policiers prend place autour des ateliers Médicis, à Clichy-sous-Bois, jeudi 18 janvier. Près du centre artistique, des journalistes attendent dans le froid l’arrivée du président de la République et la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati. Une effervescence qui forcément suscite la curiosité.

« Vous l’aimez bien Rachida ? », demande une journaliste à une jeune fille des Ateliers Médicis. – « Euh… Oui », répond l’intéressée. – « C’est lié à ses origines », relance la journaliste. Rires gênés, réponse embarrassée : « Euh… Non ». Emmanuel Macron le dira lui-même lors de la visite, Rachida Dati est un « symbole », « quand elle voit des jeunes de Clichy, ils disent: “Je vous aime beaucoup, car vous me ressemblez » ». 

Et ce jeudi, tout est affaire de symbole, à commencer par le choix de cette ville de Seine-Saint-Denis, foyer des révoltes urbaines de 2005 après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Avant l’arrivée élyséenne, le maire de Clichy-sous-Bois et ancien ministre de la Ville de Macron, Olivier Klein, briefe les journalistes sur l’histoire des Ateliers Médicis dont l’idée a germé après les révoltes urbaines.

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Sur les coups de 16 heures, les journalistes sont invités à se tenir à bonne distance, le président arrive. Accueil républicain, serrage de mains, un essaim accompagne l’arrivée d’Emmanuel Macron dans le petit auditorium des Ateliers Médicis. Dans la salle, les jeunes qui doivent se produire devant cette assemblée observent la valse élyséenne. Deux danseurs de l’association Izao ouvrent le bal. Les enfants du programme Demos de la Philharmonie de Paris, suivi de l’orchestre symphonique de Zahia Ziouani.

Les prestations terminées, le président accompagné de sa ministre se lèvent pour échanger avec les jeunes. À ses côtés, Rachida Dati ne pipe mot et c’est Emmanuel Macron qui vante tantôt le pass culture, tantôt le « rayonnement » qu’apporteront les Jeux olympiques et paralympiques sur le territoire de la Seine-Saint-Denis.

Dans la bouche des enfants, la question des professeurs non-remplacés

Lors d’un échange avec les enfants du programme Demos, l’un d’eux tente : « On pourra avoir des places pour les JO ». Prohibitif, le prix des billets pour assister laisse de côté les habitants du département le plus pauvre de France métropolitaine.

Si les journalistes sont tenus à bonne distance, et qu’aucun sujet de fond n’est abordé, les plus jeunes ne sont pas en reste. Emmanuel Macron rappelle sa volonté de rendre le théâtre obligatoire au collège. Plus tard, un enfant lui l’interpelle : « Monsieur le président, je voulais vous dire… En fait, ça fait deux mois que notre maîtresse, elle n’est pas là ». Il ne sera pas plus question du non-remplacement des professeurs en Seine-Saint-Denis, un sujet de préoccupation pourtant majeur.

D’autres officiels ont fait le déplacement pour la visite présidentielle, tels que Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, ou Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Ce dernier assure qu’il jugera la nouvelle ministre « aux actes » et qu’il ira à sa rencontre pour savoir « comment elle va nous accompagner dans ce que nous faisons déjà ». Et de préciser que, pour l’heure, « ce sont exclusivement les collectivités locales qui financent les activités artistiques et culturelles ».

Des jeunes frustrés par un échange express

L’essaim qui accompagne chaque mouvement du président de la République finit par se déplacer vers la sortie avec, à sa suite, une nuée de caméras. En quelques minutes, l’auditorium se vide et les adolescentes des Ateliers restent là, un peu sonnées. L’une d’entre elles a présenté son fanzine au président, dans cette revue, elle revient sur un épisode méconnu de la guerre d’indépendance d’Algérie. « Il m’a dit qu’ils avaient déjà travaillé sur la guerre d’Algérie », rapporte-t-elle, frustrée. Dans son travail, elle fait le lien avec les violences policières actuelles, une page est consacrée à Hedi, un jeune marseillais défiguré par la police en marge des révoltes urbaines. « Il a vite tourné la page », dit-elle, en mimant le geste du président.

J’aurais voulu lui parler de tous les droits qu’ils enlèvent petit à petit : pôle emploi, la loi immigration…

Certains jeunes n’ont pas souhaité assister à la visite présidentielle par peur d’être instrumentalisés. Celles qui étaient présentes s’interrogent : – « On aurait peut-être pu mettre une banderole », – « Oui, mais on a été prévenues seulement hier ». Pour revendiquer quoi ? « Moi, j’aurais aimé lui parler de l’accès à la culture, ce qu’il se passe ici, c’est hyper rare », lance l’une. « Moi, j’aurais voulu lui parler de tous les droits qu’ils enlèvent petit à petit : pôle emploi, la loi immigration… »

Elles se rappellent aussi la conférence fleuve du président de la République, mardi, durant laquelle il est revenu sur les révoltes urbaines après la mort de Nahel. Le président a mis en cause « l’oisiveté » des jeunes, les écrans et le désengagement des parents. Les relations police-population dans les quartiers populaires suite à la mort d’un adolescent n’ont pas été évoquées.

J’ai le seum qu’il ne se soit rien passé

« J’ai le seum qu’il ne se soit rien passé », résume une autre. Tandis qu’elles débriefent, elles se rassurent aussi quant aux sujets qu’elles auraient aimé mettre en avant. L’exercice est insolite pour elles, trop de monde, de bousculades… Un bain de foule présidentiel.

Après le départ du président de la République, une partie des journalistes replient bagages et grimpent dans la navette qui leur a été affrétée par l’Élysée, les forces de l’ordre se dispersent. Ce soir, un événement est consacré au podcast de Sébastien Thème sur « Qui a peur d’Angela Davis » en présence d’Assa Traoré dans ce même auditorium.

Walid Chatbi et Héléna Berkaoui

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