Avertissement : cet article comporte des récits de violences sexistes et sexuelles. Si vous en avez été victime, vous pouvez contacter le 3919. 

Sous un ciel couvert, des centaines de personnes marchent contre le racisme et le sexisme. Samedi 15 octobre à Saint-Denis, plusieurs collectifs ont organisé une marche avec une volonté : montrer que « nos quartiers ne sont pas des déserts féministes ».

La date n’est pas choisie au hasard. 20 ans plus tôt, Sohane Benziane, 17 ans, a été brûlée vive dans un local poubelle à Vitry-sur-Seine. La violence de ce féminicide avait déclenché une mobilisation sans précédent dans les quartiers populaires. Une mobilisation principalement menée par des femmes qui donnera par ailleurs naissance à l’association Ni putes ni soumises. L’histoire de cette association reste compliquée.

Nous sommes féministes et racisées. Nous existons, nous sommes là !

À Saint-Denis, ce samedi, les collectifs veulent donner une voix aux milliers de victimes de violences sexistes, racistes et LGBTphobes des quartiers populaires. « Nous sommes féministes et racisées. Nous existons, nous sommes là ! », scande une des organisatrices.

Une marche rassemblement des profils variés

La procession est hétéroclite : femmes blanches, racisées, jeunes, âgées, de banlieue ou de Paris. Les représentant-e-s des différents collectifs (féministes, antiracistes, LGBTQI+)  marchent main dans la main. Dans le cortège, les slogans sont scandés au rythme des percussions.

Aux fenêtres, des Dionysien-nes enthousiastes apportent leur soutien et applaudissent la marche. La tête de cortège est réservée aux victimes de violences sexistes et sexuelles et aux familles de celles qui ne sont plus là.

C’est une manifestation pour nos victimes, pour nos sœurs, pour nos mères, pour nous

« Ce n’est pas une manifestation contre. C’est une manifestation pour. Pour nos victimes, pour nos sœurs, pour nos mères, pour nous », affirme Sy, l’une des organisatrices de la manifestation. Cette marche est un appel à la solidarité avec les femmes et les LGBTQI+ de Saint-Denis à Téhéran en passant par tout le reste du monde.

« Besoin d’un espace où toutes les revendications soient entendues »

« Il y avait besoin d’un espace où toutes les revendications seraient entendues qu’il s’agisse de féminisme comme de racisme, de LGBTphobie ou de problèmes sociaux », explique Houria, une autre organisatrice de la marche.

Cette marche répond à un besoin, celui de décloisonner les luttes progressistes. Houria explique le dilemme : « Soit on se retrouve dans une lutte antiraciste mais pas assez féministe, soit dans une lutte féministe mais pas assez antiraciste ». Ce constat appelle une réponse. La marche en est une.

Il était hors de question pour les organisateurs et organisatrices de la marche de créer un espace féministe où les femmes voilées et la communauté LGBTQI+ n’auraient pas leur place.

Le collectif Les Dionysiennes à la manoeuvre

Le collectif non-mixte Les Dionysiennes veut, à ce titre, pallier le manque de représentation des milieux féministes. Il s’agit également pour ce collectif d’imposer la question du racisme et de la précarité dans cette lutte. Autrement dit : faire sortir le féminisme des salons parisiens et de se l’approprier.

Les Dionysiennes sont déjà à l’origine de nombreuses manifestations devant le commissariat de Saint-Denis. Leurs revendications portent alors sur l’accueil des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Un combat vital. D’anciennes membres du collectif ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Leurs plaintes n’ayant jamais connues de suite, assure-t-elle.

Avant le début de la marche féministe et antiraciste à Saint-Denis. Le 15 octobre 2022. ©LounaDelpierre

En 2019, la mort d’une étudiante de 20 ans à Saint-Denis crée l’effroi. Leïla meurt entre les mains de son compagnon. Un jour après avoir déposé une main courante contre les violences qu’il lui faisait subir. Un tournant pour le collectif.

Depuis, la question de l’accueil des victimes de violences sexistes et sexuelles dans les commissariats a connu des progrès. Un protocole expérimental est maintenant mis en place pour permettre aux victimes de déposer plainte à la Maison des femmes. Un centre hospitalier qui s’avère bien moins anxiogène.

Des avancées bien trop lentes

Durant le confinement et avec l’explosion des violences conjugales, Plaine Commune Habitat a mis des appartements à disposition pour les femmes fuyant le domicile conjugal. « C’est une goutte d’eau dans l’océan », tempère le collectif. Et de rappeler qu’il s’agit de seulement 5 appartements.

« Il est urgent de faire en sorte d’accueillir ces victimes immédiatement et sans conditions, sinon elles n’ont d’autres choix que d’y retourner », insiste Les Dionysiennes.

 « Je fais face à une violence institutionnelle »

Karine, femme noire originaire de Paris, a aussi été victime de violences conjugales. Elle se bat aujourd’hui pour son fils de 5 ans. « Je fais face à une violence institutionnelle. Malgré les décrets, la loi n’est pas respectée. L’institution judiciaire ne respecte pas la loi et ce n’est pas normal », témoigne Karine. Elle dit son incompréhension et sa colère face à un gouvernement qui multiplie les campagnes de communication sur le sujet mais qui, dans les faits, n’agit que très peu.

Le budget réservé à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles reste, en effet, faible et contradictoire avec les promesses tenues. Une contradiction criante quand on sait que Gérald Darmanin est toujours ministre.

Samedi 15 octobre, ces femmes et leurs alliés ont donc marché  pour la mémoire des mortes : Sohane, Aïcha, Melissa, Alysha, Farida. Avec l’espoir que, cette fois, leurs voix soient entendues.

Louna Delpierre

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