Pour Assah, tout a commencé par une réflexion lancée dans un groupe WhatsApp. « Un garçon de ma classe a dit que les filles étaient nulles au foot », raconte la jeune fille, élève en cinquième au collège Louise Michel (Paris, 10ème). Ni une ni deux, Assah et des copines de sa classe défient les garçons après les cours. « On a perdu, mais les garçons étaient bien plus nombreux », appuie l’adolescente de 13 ans.

Plusieurs semaines après cet affrontement improvisé, les filles de Louise Michel reviennent sur le terrain. Hawa Drame, éducatrice sportive au sein du RC Paris 10 – un club du quartier de Gare de l’Est – rêve de créer une section féminine rien que pour elles. Révisions, repas de famille ou temps de chien : malgré de premiers faux bonds, l’éducatrice n’a pas lâché ces jeunes filles, repérées sur une dalle en béton de la capitale.

Loin des radars médiatiques, l’explosion du foot féminin

Ce jour-là, les filles ne sont que 5. La semaine prochaine, elles ramèneront d’autres copines, promettent-elles. L’entraînement du jour n’aura pas servi à rien. « C’est l’occasion de faire quelque chose de concret pour le foot féminin », affirme Joey Ada Nkomo, le président du RC Paris 10. Le club parisien n’avait pas eu d’équipe féminine depuis six ans, après le décès brutal de l’entraîneur.

La réouverture d’une section féminine constitue « une action politique importante », soutenue « du fond du cœur » par l’équipe queer des Dégommeuses. « Pour reprendre un slogan bien connu lancé par l’ancien collectif Femmes en lutte 93 : les quartiers ne sont pas des déserts féministes. Bien au contraire », lance Véronica, joueuse au sein du collectif lesbien et trans.

Cinq filles de 12 et 13 ans s’entraînent lors d’une après-midi dédiée au foot féminin à Gare de l’Est.

Sur le terrain, une jeune fille tire sans trop y croire. Elle marque. « Je ne l’ai pas fait exprès », exulte-t-elle. « Il y a une marge de progression, mais on sent l’envie », constate amusé Joey Ada Nkomo. Une envie que l’on retrouve dans les chiffres. En 10 ans, le nombre de joueuses a explosé, passant de 81 153 licenciées à la FFF (Fédération Française de Football) à 200 000 en 2020.

Il y a aussi plus de techniques chez les femmes, moins d’insultes et de mise en scène

Sur le terrain des mentalités aussi, les filles ont su se frayer doucement un chemin. « Ma petite sœur, quand elle était adolescente, a arrêté le foot à cause des moqueries. Aujourd’hui, on parle des footballeuses de Lyon comme si c’était le Real Madrid », évoque Joey Ada Nkomo.

Bien que moins médiatisées que leurs homologues masculins, les performances des joueuses de l’OL (Olympique Lyonnais) impressionnent les amateurs du ballon rond. Plus même : elles passionnent. « Il y a aussi plus de techniques chez les femmes, moins d’insultes et de mise en scène, même si les esprits fermés ne veulent pas l’avouer », fustige-t-il.

La reconnaissance du foot féminin français « en retard » par rapport à d’autres pays européens

Quelques semaines avant le lancement de la Coupe du Monde Féminine, les jeunes joueuses ne sont pourtant pas convaincues de regarder la compétition sportive. « Le foot féminin est sous côté, cela ne donne pas envie et ce n’est pas diffusé », énumère Assah.

En 2011, l’ancien président de la FFF, Noël Le Graët, avait fait du foot féminin une « priorité fédérale » qui avait pris la forme de l’appel à projet pour soutenir les clubs organisateurs de tournois féminins. À Paris, on se souvient d’un événement « catastrophique ». « La première année, les matchs avaient été organisés en banlieue par le district parisien. C’était loin, mal éclairé : c’était hostile pour les filles », décrit Joey Ada Nkomo. « Il est parfois difficile de distinguer les opérations de communication des vraies mesures, grince Véronica des Dégommeuses. Il faut que cela soit le fruit d’une réflexion : comment attirer les filles ?  Comment faire cohabiter les garçons et les filles ? »

Il existe des subventions, mais j’ai vu certains clubs les rejeter chez les garçons

Tristan Jouin, sélectionneur pour le Paris FC qui comprend plusieurs équipes féminines dont une section professionnelle, pointe également « les conditions d’accueil qui laissent les filles sur le bas côté » dans certains clubs. « En France, on prend du retard par rapport à d’autres pays européens. Il existe des subventions, mais j’ai vu certains clubs les rejeter chez les garçons, observe-t-il. Il manque des éducateurs diplômés. Pour les filles, souvent, ce sont les parents qui les coachent »

En 11 ans d’expérience dans le foot féminin, l’homme remarque : «  Il faut toujours partir du principe que les filles sont la dernière roue du carrosse ». En 2022, la Défenseuse des droits avait vertement pointé du doigt les discriminations sexistes dans le monde du football. Le célèbre club de l’Olympique Lyonnais était critiqué pour avoir traité différemment ses apprenties joueuses en ne leur offrant pas de convention de formation, contrairement aux hommes. Dernière roue du carrosse ou dindon de la farce.

Méline Escrihuela

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