Des cars alignés attendent les familles. Sur le terre-plein du parc de la Villette, les dernières tentes vertes foncées sont repliées dans le calme. Les forces de l’ordre restent à distance tandis que les traducteurs de France terre d’asile et les agents de la préfecture s’avancent vers les familles. Ce jeudi 28 août  au matin, 157 personnes, dont plusieurs dizaines d’enfants, ont été évacuées du parc de la Villette. Le campement aura tenu une petite semaine. Une partie des familles s’en est allé pendant la nuit, avant l’évacuation, de peur d’être placée en centre de rétention administrative. « Camper pour être visibilisés », lit-on encore sur une banderole. Demandeurs d’asile, dublinés, déboutés… Peu importe les statuts administratifs de ces familles, toutes sont à la rue depuis plus ou moins longtemps, souvent avec des enfants en bas âge. La nuit précédant l’évacuation, une femme est partie en urgence à l’hôpital, pour accoucher d’une petite fille. Le plus jeune enfant du camp avait 23 jours.

En juillet dernier, le BB avait suivi l’évacuation de familles installées à Porte d’Aubervilliers. Trois jours après cette évacuation, 12 familles dont 13 enfants de moins de 3 ans avaient été remis à la rue sans autre solution que le 115, un service complètement saturé. C’est à peu de choses près la même scène qui s’est jouée ce jeudi 28 août, avec les médias, les représentants de la mairie de Paris et de la préfecture, cette fois. Karim est à la rue depuis avril, avec sa femme et ses deux enfants de 4 ans et 10 mois. Cinq mois entre les hôpitaux et les hébergements d’urgence pour trouver où dormir ; « on est fatigués de cette situation », souffle-t-il. Le matin de l’évacuation, Karim, anxieux, fait partie des derniers à monter dans le bus. Cette fois, l’hébergement sera au minimum d’un mois, promettent les agents de la préfecture. Face à la peur des familles, les déclarations à la presse du préfet de région et de la maire-adjointe aux solidarités sonnent étrangement. Dominique Versini salue une « mise à l’abri vraiment inconditionnelle », « une grande preuve d’humanité ». Des déclarations partiellement fausses, selon Utopia 56 qui a publié une vidéo de fact-checking. 

L’association Utopia 56 qui accompagne les familles sur ce camp nous précise que les hébergements dépendent des situations administratives. Les primo-arrivants, les demandeurs d’asile et les dublinés iront dans des centres d’hébergement en banlieue tandis que les déboutés du droit d’asile et les sans-papiers iront dans des hôtels. L’association exigeait, elle, « un hébergement total, pérenne et inconditionnel et l’ouverture de places supplémentaires dans des centres d’hébergement adaptés ». On en est loin. Aucune solution de moyen ou long terme n’est prévue. De nombreuses familles à la rue continuent à ce jour de se tourner vers Utopia 56 qui dispose d’un réseau d’hébergement solidaire en Île-de-France. En cela, ils se substituent au rôle de l’État qui a la responsabilité voire l’obligation d’héberger ces familles. Comme le soulève le journaliste Théo Englebert, il appartient notamment à la mairie de Paris de prendre en charge les femmes isolées, enceintes ou accompagnées d’enfants de moins de trois ans.

Après l’évacuation, nous retrouvons Karim et sa famille dans l’hôtel où ils sont hébergés à Gonesse (Val-d’Oise). Un hôtel excentré dans une zone industrielle. Une cuisine pour tous, des chambres à l’hygiène sommaire et des punaises de lit. Meriem, une Algérienne venue avec son fils et son mari, redoute que l’hébergement soit plus court qu’annoncé. « On garde dans nos têtes que ce n’est pas stable, qu’on va se retrouver à nouveau à la rue », déplore-t-elle. Son fils va faire sa rentrée dans une école du 18e arrondissement et c’est surtout lui qui la préoccupe, « il n’a pas de routine, avant il était calme, là il n’obéit plus, il se bat. L’autre jour, il était dans un square et il a couru pour me prévenir qu’il y avait la police ». Après cinq mois à la rue, Meriem est épuisée, des campements où les rats « gros comme des chats » grouillent, des nuits dans des hôpitaux où elle ne dort pas. Aucun suivi social ou administratif n’est assuré là-bas, comme dans les autres hôtels.

Dortoirs, hygiène déplorable et fuites dans les parties communes

Pour ceux qui ont été placés dans les centres d’hébergement, la situation n’est pas plus enviable même si les durées d’hébergement sont a priori plus longues. Dans le SIAO (service intégré d’accueil et d’orientation) des Hauts-de-Seine, un bâtiment public transformé en centre d’hébergement, les familles évacuées ont été installées dans un dortoir à leur arrivée. Initialement prévu pour être une solution de court-terme, ce type d’hébergement s’avère être du temporaire qui dure. Nous n’avons pas pu entrer dans les locaux mais les résidents nous ont décrit les lieux et nous ont envoyé des photos. Les chambres sont situées au sous-sol, dans l’entre-sol et au premier étage. Les fenêtres sont condamnées, l’état des sanitaires laisse franchement à désirer et des fuites sont présentes dans les parties communes. Rappelons que des enfants en bas âge vivent dans ces lieux et les photos que nous publions parlent d’elles-mêmes.

Impossible dans ces conditions de parler d’hébergement digne. Selon les estimations de la Fédération nationale des acteurs de la solidarité (Fnars), il manquerait 30 000 places rien qu’en centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA). La circulaire du gouvernement qui vise à ce que le 115 communique la liste des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées hébergées à l’OFII, organisme sous tutelle du ministère de l’Intérieur, risque de fragiliser encore les migrants. Si le discours du gouvernement peut se résumer par « un accueil plus digne et plus des reconduites à la frontière », seule la dernière promesse se vérifie concrètement. Depuis quelques mois, les expulsions vers les pays non sûrs se multiplient : le Soudan, l’Irak, l’Érythrée. La France s’apprête également à ratifier un accord européen de coopération avec l’Afghanistan pour améliorer l’expulsion des ressortissants en situation irrégulière. Un accord dénoncé par Amnesty international et d’autres associations.

L’indignité de l’accueil a aussi des conséquences sur les dossiers des migrants, comme en témoigne Fabienne Griolet, avocate en droit des étrangers. « Ces situations les mettent dans un état de fragilité avant les audiences », explique-t-elle. Effectivement, comment se concentrer sur des procédures fastidieuses quand la priorité est de trouver un endroit pour dormir ? Face à tout cela, les solutions avancées par les autorités ressemblent un pansement sur une jambe de bois. Des familles sont toujours à la rue et une partie celles qui ont été hébergées après l’évacuation devraient y retourner à la fin du mois.

Héléna BERKAOUI

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