Orion, la quarantaine, dormait du côté du Marché aux fleurs, sur l’Île de la Cité quand Matthias l’a rencontré. Ensemble ils sont partis à la recherche d’un vieil ami.

Ils étaient 112 000 selon l’Insee en 2012 et seraient près de 140 000 aujourd’hui. « Ils » ce sont les sans-abris. Orion est l’un d’eux. Il incarne cette statistique, la rend plus humaine. Orion… Ce type a un vrai blaze qu’on n’oublie pas facilement, tout comme sa gueule de vieux boxeur burinée par la vie. Orion est sans-abri depuis bientôt un an. Quand je l’ai rencontré en septembre dernier, il dormait sur l’Île de la Cité. Avec d’autres sans-abris, il passait ses nuits sous la halle du marché aux fleurs. A la nuit tombée, il regagnait ce havre de paix au centre de Paris.

Quand on est SDF, il est crucial de trouver un endroit calme où l’on pourra se reposer un peu, si possible entouré de personnes de confiance. « Nourriture, hygiène et sommeil » sont les trois fondamentaux de la rue, me répétait-il. Orion ne se considère pas comme un sans-abri ordinaire. Quand il parle de sa vie d’avant, tout son corps se tend, traversé par le frisson de la nostalgie. Orion était « un pirate ». Si les usines Renault délocalisées en Roumanie incarnent le marché commun européen, Orion représente, lui, l’Union européenne appliquée au banditisme.

Orion a grandi à Trappes, en région parisienne, mais très vite il a la bougeotte. Brouillé avec sa famille, il s’installe en Italie alors qu’il a à peine vingt ans. Là-bas, il se forme à la vie criminelle. Il fait ses premières armes comme porte-flingue pour des petits truands. Puis il va connaître l’Espagne et les braquages de distributeurs automatiques, l’Angleterre et les gangs. Il s’installe un temps en Allemagne, puis aux Pays-Bas. Orion est fier de ce qu’il a fait, malgré le mal qu’il a pu faire et le mal qu’il s’est infligé. C’était son métier et il était « bon à ça ». En 2009, la police retrouve ses empreintes dans une affaire de règlement de compte où un homme a été grièvement blessé. Orion est incarcéré à la prison de Maastricht.

A son retour en France, l’ex-taulard devient SDF. Déprimé, il décide de partir à Annemasse, en Haute-Savoie, avec la ferme intention « d’en finir ». Il plante sa tente, à l’abri des regards. Là, il veut se laisser mourir de faim, comme le « font beaucoup de sans-abris ». Mais au bout de quelques jours, la privation de nourriture « ça fait l’effet d’un parpaing posé sur l’estomac ». Le désir de vivre l’emporte et Orion repart pour Paris, à vélo.

Trois semaines de périple sous un ciel capricieux au cours duquel il va traverser de « jolis coins » de France. Quand je le rencontre, Orion touche 1008 euros de chômage. Juste assez pour ne pas avoir droit aux aides, comme la CMU, le passe de transport gratuit, mais pas assez pour vivre décemment à Paris. Il veut s’en sortir, mais les galères lui collent aux basques. S’il tient bon, ce n’est pas parce qu’il est courageux.

« Je n’ai pas le choix », me lâche-t-il un jour au cours de l’une de nos entrevues. Et puis il y a cette quête éreintante dans laquelle il s’est lancé. C’est peut-être aussi pour elle qu’il s’interdit de flancher. Depuis quelques mois, il essaie de retrouver un vieil ami. Avec ses moyens. Ceux de quelqu’un qui survit au jour le jour dans la rue.

La suite de l’histoire est à écouter.

Matthias Raynal

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