Dans la grande halle du Batyscaphe, une dizaine de personnes sont installées sur des canapés disposés en demi-cercle, les yeux rivés sur des manuels scolaires posés sur leurs genoux. En face, debout, deux jeunes lisent un texte à voix haute, buttant sur certaines syllabes.

Tous les dimanches après-midi, l’association les Midis du Mie donne des cours de français dans le squat d’Aubervilliers. À l’étage, une centaine d’autres personnes, pour la plupart des mineurs isolés, se prêtent au même exercice dans une grande salle qui fait office de bibliothèque. L’initiative rencontre un franc succès.

« C’est vraiment une chance d’avoir accès à ces espaces, explique Agathe, membre de l’association. Ça permet de pallier un manque terrible d’accueil de jour à Paris. »  Dans la capitale, de nombreux jeunes en situation d’exil dorment à la rue faute de solution. La journée, les infrastructures pour les accueillir manquent cruellement. «  Comme on a du mal à trouver des lieux pour nos activités, on a souvent été accueilli par le réseau des squats. On a l’habitude de passer de squat en squat, là où il y a de la place », décrit Agathe. Les Midis du Mie profitent ainsi de la bibliothèque du Batyscaphe pour organiser des activités ludiques trois à quatre fois par semaine.

Cheik Mamoudou suit les cours de français tous les dimanches. ©NevilGagnepain

Le squat comme lieu de vie, lieu associatif et lieu de sociabilisation

Mais l’association risque de devoir trouver bientôt des nouveaux locaux. La fin de la trêve hivernale, le 31 mars, sonne souvent le glas des occupations de squat, délogés par les forces de l’ordre. Une expulsion précipitée serait une catastrophe pour celles et ceux qui habitent et font vivre le Batyscaphe. Plus qu’un simple hébergement, le squat, ouvert il y a un an, en avril 2023, est un lieu où s’organise une vie sociale et associative salvatrice pour nombre de personnes en situation de précarité.

« Il y a aussi l’association Solidarité Migrants Wilson qui utilise les locaux comme base d’organisation et de stockage de matériel, de tentes et de duvets. On organise des gratuiteries. Il y a un atelier de céramique, une famille circassienne qui habite ici organise des ateliers de cirque. Il y a des permanences juridiques avec des élèves avocats… », énumère Raphaël, qui habite le lieu depuis son ouverture.

Des habits récoltés pour les “gratuiteries”  sont à la disposition de tous. ©NevilGagnepain

 

Il suffit de déambuler dans le dédale des espaces du vaste bâtiment pour constater le fourmillement des activités qui s’y déroulent. On peut y croiser pêle-mêle des artistes en train de peindre de gigantesques banderoles ou des forgerons en train de jouer du marteau sur des enclumes.

Ce sont surtout des espaces sociaux qui ne sont pas mis en place par l’État

« C’est important de montrer que ces solutions ne sont pas celles qu’il faudrait pour la dignité de tout le monde, mais que le lieu est utile et important, souligne Thomas, qui n’habite pas au Batyscaphe, mais vient souvent profiter de cet espace de sociabilité. Ce sont surtout des espaces sociaux qui ne sont pas mis en place par l’État. C’est un peu comparable à certaines MJC. Un lieu où on peut venir, se sociabiliser avec des amis sans avoir à consommer et dépenser de l’argent. »

En tout, une soixantaine d’habitant.es aux parcours très variés, dont quatre familles occupent le lieu. Certains viennent d’anciens squats, d’autres, en galère, viennent parce qu’ils n’ont pas d’autre solution. «  Il y a aussi des personnes qui ont moins de 25 ans et donc qui n’ont pas accès au RSA, et qui sont parfois en situation de rupture familiale », décrit Thomas.

L’artiste Ombeline peint une fresque géante pour dénoncer les expulsions et la répression envers les plus précaires. ©NevilGagnepain

Pour des anciens d’Unibéton, la crainte d’une troisième expulsion en un an

Dans le lot de celles et ceux qui n’ont aucune autre solution, on trouve des anciens d’Unibéton, un grand squat de l’île-Saint-Denis, qui a accueilli près de 500 exilés, jusqu’à l’année dernière. Au printemps dernier, une vaste opération de police pour évacuer les lieux avait poussé les habitantes et les habitants encore un peu plus dans la précarité.

Depuis, leur chemin les a menés dans des centres d’accueils temporaires, dans d’autres squats et parfois à la rue. Après plusieurs mois d’errance, des anciens d’Unibéton ont ouvert un squat à Rosny-sous-Bois début juin 2023. Mais l’occupation n’a pas durée. Après une nouvelle expulsion, une quinzaine de personnes ont atterri au Batyscaphe et ont investi un bâtiment encore inoccupé.

S’il n’y avait pas le collectif ici qui nous avait accueillis, on serait à la rue !

Yaya fait partie de ceux-là. En France depuis 2017, il affirme souffrir de cette précarité et de ces expulsions répétées. Son histoire, il la raconte sans cesse, sans que cela ne change quoi que ce soit. « J’ai parlé à dix journalistes depuis Unibéton, lâche-t-il lapidaire. On nous répète toujours la même chose, mais rien ne change, s’il n’y avait pas le collectif ici qui nous avait accueillis, on serait à la rue ! »  Yaya fustige l’abandon et les promesses de Gascon de la préfecture, qui s’engage à trouver des solutions de mises à l’abri à chaque fois qu’elle procède à une expulsion : « des mensonges. »

Un sentiment partagé par Tahir qui se trouve dans la même situation. Réfugié statutaire en France, il a déposé une demande de logement social il y a plus d’un an, mais qui reste pour l’heure lettre morte. L’absence de HLM disponibles et l’impossibilité d’accéder à une mise à l’abri dans un hébergement d’urgence, a fortiori pour un homme seul, font du squat la seule solution pour eux d’avoir un toit au-dessus de la tête.

Entre crainte de l’expulsion et espoirs

Tous et toutes ont tant à perdre dans une nouvelle expulsion. « Les seules solutions de mise à l’abri, c’est d’autres squats qui sont aussi sous le coup d’expulsion aussi », déplore déplore Thomas. Le Batyscpahe a ouvert lorsqu’un autre squat au sud de Paris a fermé, un autre ouvrira ensuite. Mais les expulsions s’accélèrent en Île-de-France à l’approche des Jeux Olympiques. Un autre squat avec 400 personnes exilées à Vitry-sur-Seine, dont une bonne partie sont des anciens d’Unibéton, risque de voir une intervention policière dans les prochains jours.

La loi Kasbarian-Bergé, promulguée à l’été 2023, est venue précariser et criminaliser un peu plus les habitants des squats. Elle a aussi déjudiciarisé certaines procédures d’expulsion, laissant la possibilité aux municipalités et aux préfectures de les enclencher par simple décret.

Le collectif d’artiste “la Shampouineuse”, qui a pendant un temps occupé l’ancienne usine, a laissé sa trace sur les murs. (À droite une œuvre de fresque de Madame et à gauche de Primal). ©NevilGagnepain

Les résidents du Batyscaphe gardent tout de même espoir d’obtenir un délai supplémentaire le temps de trouver des solutions. Avant leur arrivée, une convention avec un collectif d’artiste avait été signé par le propriétaire des murs pour quelques mois. Leur passage laissé sur les murs de la grande halle, des fresques aux couleurs vives. Les habitants espèrent pouvoir faire valoir la vie associative du lieu pour négocier un accord de la même nature.

« On sait que le contexte est particulier avec les JO dans le département. Mais, on veut alerter sur le fait que le lieu est vide, qu’il n’y a pas encore de permis de démolition ni de construire, donc que des travaux ne seront pas entrepris dans les prochains mois », explique Julie. Cette dernière précise que les architectes qui viennent étudier les lieux pour monter leur projet de construction sont toujours les bienvenus dès que nécessaire. Les négociations ont bien démarré avec le propriétaire qui semblerait disposé à faire un pas dans leur sens. Habitantes et habitants espèrent gagner un peu de temps, avant que ne reprenne la litanie des expulsions.

Névil Gagnepain

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