Un procès peut-il panser les plaies ? À partir de ce mardi, et durant neuf jours, la cour d’assises de Bobigny (93) va juger les trois fonctionnaires de police impliqués dans l’affaire dite Théo. La Justice va chercher à déceler la vérité. Le 19 janvier prochain, peu importe le verdict, elle nous préconisera d’aller de l’avant. On aimerait parfois qu’elle répare aussi le passé.

En 2017, l’interpellation violente de Théo à Aulnay-sous-Bois avait suscité l’horreur chez une partie de la population. Sept ans plus tard, le procès de ces trois policiers, qui a débuté ce mardi, s’annonce retentissant. Éprouvant, il l’est d’ores et déjà : neuf jours de débats à venir, une victime infirme à vie, et l’ombre des personnes décédées en marge d’opérations policières.

Une affaire emblématique des violences policières

Le 2 février 2017, quatre fonctionnaires de la BST (brigade spécialisée de terrain) contrôlent des jeunes du quartier des 3000. Avec l’un d’eux, le ton monte. Jusqu’à l’indicible. Les policiers déclarent avoir tenté de mettre à genoux Théodore Luhaka, 22 ans à l’époque, pour le menotter. Marc-Antoine Castelain, qui risque aujourd’hui jusqu’à 15 ans de prison, utilise sa matraque télescopique. Théodore Luhaka est blessé au niveau du canal anal. À son arrivée au commissariat, un policier s’inquiète de son état.

Sa blessure lui vaut d’abord 30 jours d’ITT. La gravité de son état est réévaluée. Marc-Antoine Castelain est aujourd’hui poursuivi pour violences volontaires ayant entraîné « une mutilation ou infirmité permanente ». Deux de ses collègues, Jérémie Dulin et Tony Hochart, doivent faire face à des accusations de violences volontaires pour avoir frappé Théo, alors que ce dernier, abattu par le choc de sa blessure, était déjà au sol. Ils risquent sept ans de prison.

Pour comprendre pourquoi le procès de l’affaire Théo revêt un caractère si important, il faut se rappeler l’émoi suscité par les faits, en 2017.

On se souvient encore de nos faits et gestes quand Twitter apprend la nouvelle et s’enflamme. Un syndicat de  police lance sur un plateau de télé que l’insulte « bamboula » est « à peu près convenable ». Le Défenseur des droits s’exprime, tout comme les humoristes et les artistes de rap qui prennent position. Aulnay-sous-Bois connaît quelques soirées de révolte.

La classe politique commente l’affaire. Bruno Beschizza, maire de la ville et ancien flic, appelle au calme et souhaite que la qualification de viol soit maintenue. Dans le journal municipal, il craint un « détournement de la vérité ». Bien sûr, on se souvient de François Hollande, président de la République, se rendant au chevet de Théo.

Deux camps à la barre

En sept ans, beaucoup de choses ont changé. À commencer par l’avocat de Théo, Éric Dupond-Moretti, devenu ministre de la Justice. Le jeune homme est aujourd’hui représenté par Maître Antoine Vey, l’ancien associé du garde des Sceaux. La qualification pénale de viol, un temps retenu par le parquet, non plus n’est pas à l’ordre du jour.

Du côté de la Défense, les alliances sont tout aussi politiques. Les trois policiers sont défendus par des avocats qui cultivent leur proximité avec les forces de l’ordre.

Le policier Jérémie D., présenté comme le plus expérimenté de la bande, est conseillé par Me Merchat, un ancien commissaire rompu à l’exercice de défense des fonctionnaires de police. Jérémie a avoué avoir utilisé sa gazeuse sur Théo avant de le prendre en photo sur le chemin menant au commissariat.

L’avocat de son collègue Tony H., Me Pascal Rouiller, anime de son côté des formations pénales auprès des services de gendarmerie. Un point commun avec les conseillers de Marc-Antoine Castelain. Me Louis Cailliez met en avant sa pratique du « tir sportif ». Ce cabinet spécialisé dans les cas de légitime défense compte, parmi ses clients, des policiers impliqués dans les décès de Zineb Redouane, d’Ibrahima Bah, de Jean-Paul Benjamin ou encore de Nahel.

« J’ai été utilisé comme un fusible »

Comme l’ont rappelé nombreux médias, il est rare de voir des policiers de ce côté de la barre. Le corps professoral fait bloc autour de cette affaire.

« Depuis le début, on a bien compris qu’il n’y avait pas de viol dans cette affaire », a lâché à la barre Marc-Antoine C. lors de cette première matinée de débat. « J’ai été utilisé comme un fusible pour éviter que les banlieues s’embrasent encore », toujours selon l’accusé, qui travaille aujourd’hui en tant que correspondant informatique pour la police.

Ce matin, ce policier présenté comme un homme « au profil surprenant pour ce type d’affaires » avait évoqué une « blessure désolante ». Il a présenté à la victime sa « plus profonde compassion ».

Les parties ont déclaré à plusieurs reprises ne pas vouloir faire de ce procès « le procès de la police ». Peut-être que l’enjeu est ailleurs. Théo, l’a déjà dit, souhaite que « sa parole soit prise en compte. En même temps, qu’est-ce que je peux attendre » des policiers ?

Méline Escrihuela

Articles liés