Mehdi H. (21 ans), Hassan A. (20 ans) et Mohamed H. (19 ans) comparaissent pour violences envers trois policiers de la BAC de Gagny (93) commises en réunion la nuit du 29 juin. Des faits de « destruction par incendie » en mettant feu à des poubelles sont également retenus contre certains d’entre eux.

Après avoir passé cinq semaines en détention provisoire, ces trois jeunes hommes ont été relaxés de l’ensemble des faits qui leur étaient reprochés, le vendredi 4 août. Une affaire « symptomatique » de l’emballement judiciaire qui a suivi la mort de Nahel et les révoltes qui ont embrasé les quartiers populaires.

À grands renforts de chiffres sur les interpellations et les condamnations, les ministres de la Justice et de l’Intérieur s’étaient félicités d’avoir su répondre efficacement aux révoltes. Une réponse pénale « rapide, ferme et systématique », selon les termes du garde des Sceaux. Mais le vendredi 4 août, au tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis), c’est une autre histoire qui se dessine.

« Il y a eu beaucoup de procédures contre des émeutiers qui n’ont rien donné à cause de problème d’identification ou de preuve », admet la substitut du procureur, en préambule. Mais ses réquisitions restent implacables et vont de 8 à 12 mois de prison ferme pour les trois prévenus.

Le procès-verbal des policiers en question

« Un dossier de 90 pages qui repose uniquement sur les dires d’un policier dont on ne connaît même pas l’identité, c’est très mince pour trois accusations aussi graves », pointe Maître Marie Geoffroy. Cette dernière représente deux jeunes hommes poursuivis pour jet de cocktail de Molotov et feu de poubelle.

Deux jours après la mort de Nahel, les policiers interviennent dans la cité du Chenay sur la commune de Gagny. Il est 2h10 du matin quand une vingtaine de jeunes habillés en noir, « capuchés et cagoulés », incendient des poubelles. Selon le procès-verbal des policiers, leur arrivée sur place donne lieu à des jets de feux d’artifices en leur direction. Dès lors, ils se replient près d’un espace vert où, assurent-ils, ils resteront plus d’une heure.

C’est depuis cet endroit que trois policiers affirment reconnaître Mehdi H. et Mohamed H. Dans la pénombre, ils auraient distingué les longs cheveux bouclés du premier, et perçu les traits encore juvéniles du second. « Mehdi H. coordonne les gestes des autres individus » en leur intimant l’ordre de jeter des feux d’artifice, rapportent les policiers. Mohamed H., lui, aurait lancé un cocktail Molotov.

Hassan A. est, quant à lui, surpris une heure plus tard en train de mettre le feu à une poubelle sur un parking en bas de chez lui. Il est le seul à être interpellé sur le champ. Dans cette affaire, le jeune homme avait d’abord été poursuivi pour des faits de violence. Faute de preuve, ces accusations n’ont pas été retenues contre lui.

Mohamed H. est interpellé à 10h30 à Gagny. Les policiers affirment reconnaître sa doudoune sans manches estampillée « North Face », un vêtement qu’il porte encore le jour de l’audience. Son avocate, Me Geoffroy, fait voler des feuilles, cite le procès-verbal des policiers. Elle peine à trouver des preuves incriminant le jeune homme, sans casier judiciaire jusqu’alors. À la barre, l’avocate fustige l’absence d’enquête et un dossier où la version policière, seule, devrait faire foi.

Il arrive que les policiers mentent sur les procès-verbaux

Mohamed H. n’apparaît pas sur l’exploitation des caméras de surveillance, tout comme Hassan A. « Est-ce que les policiers se trompent ? Ont-ils interpellé les mauvaises personnes ?, interroge l’avocate. « Cela arrive. Il arrive également que les policiers mentent sur les procès-verbaux. »

« Ce dossier est la meilleure illustration à la circulaire du Garde des Sceaux » réclamant des peines « rapides, fermes et systématiques », se désole Me Geoffroy. « On se félicite de placer trois jeunes en détention provisoire. Mais derrière, ce sont des vies brisées », appuie l’avocate.

Un prévenu innocenté grâce à ses stories Snapchat 

Mehdi H., le plus âgé des prévenus, risque le plus gros. Les policiers lui attribuent le rôle de donneur d’ordre. À l’audience, le jeune homme de 21 ans encourt sept ans de prison et 100 000 euros d’amende pour « violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique commises en réunion et avec arme », en l’occurrence un mortier de feux d’artifice.

Les enquêteurs disent « le distinguer malgré sa capuche »  sur une vidéo prise par une caméra de la ville à 3 heures du matin. Un individu, habillé tout en noir, passe devant la caméra, mais les policiers aperçoivent des baskets à semelles orange. « C’est l’un des rares éléments à charge dans ce dossier », remarque le président du tribunal.

Mehdi H. est interpellé vers 4h30 du matin. Mais un élément interpelle : la couleur de son jogging diffère de celle aperçue sur les caméras de vidéosurveillance. Pour l’avocate des policiers et pour la substitut du procureur, Mehdi H. s’est changé. Mais « il n’est pas assez intelligent pour se changer intégralement », imagine cette dernière. Il porte toujours aux pieds des baskets à semelles orange.

Mais Snapchat met en doute cette hypothèse. Mehdi H. a documenté la soirée via l’application et s’est pris en vidéo à deux reprises. Une première fois à 19h29 et la seconde à 3h39, peu de temps après sa présumée participation aux affrontements avec la police. Sur ses deux stories, le jeune homme porte invariablement un jogging blanc.

« Les faits sont graves. Pourtant, les enquêteurs n’ont pas pris la peine de chercher à prouver que Mehdi H. s’était changé en réalisant une perquisition à son domicile pour trouver des vêtements noirs par exemple », s’étonne son avocate, Me Léa Zimmermann.

Des jeunes de banlieue coupables par avance

La faiblesse des éléments à charge n’a pas empêché la Justice de faire preuve de sévérité à l’égard des prévenus.

Après le renvoi de la comparution immédiate, Mehdi H., Hassan A. et Mohamed H. passent cinq semaines en détention provisoire. Incarcérés fin juin, ils restent présumés innocents en attente de leur jugement. En France, ces prévenus représentent une grande part des personnes en prison. En juillet 2023, 27 % des 74 513 personnes placées en détention l’étaient en attente de leur jugement.

Me Alice Becker, l’avocate de Mohamed H, a plaidé le 10 juillet dernier une demande de mise en liberté (DML). Elle a plusieurs arguments à faire valoir. Son client « vit chez ses parents, il a des garanties et n’a pas de casier ». Mais le juge a refusé au motif que cette libération adviendrait avant le jour de la fête nationale, le 14 juillet.

Après plusieurs heures de débats, le délibéré tombe. Tous les prévenus sont relaxés. Seul Mehdi H. reste en prison pour un autre délit, sans lien avec les révoltes urbaines.

Un choc carcéral risqué

Plus d’un mois après le décès de Nahel, l’affolement judiciaire semble arriver à son terme. Mais la période laissera des traces. Interrogé par le juge, Mohamed H. évoque son passage en prison. « À Fleury-Mérogis, j’ai vu ce qui pouvait se passer si on prenait le mauvais chemin. Il n’y a que des tueurs là-bas », balbutie le jeune homme.

« Passer par la case prison alors qu’ils n’ont rien fait et que pour certains, ils n’ont pas de casier, cela va les marquer », appuie Maître Marie Geoffroy.

Fin juillet, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, s’est félicité d’un taux de « 95 % de condamnations » après les révoltes. Des peines souvent accompagnées de prison ferme. Selon une étude conduite par des membres de son ministère, les plus jeunes des ex-détenus et les auteurs de vol simple ont un risque de récidive très supérieur à la moyenne.

Des profils qui correspondent à ceux des personnes écrouées après les révoltes urbaines. Des conséquences dont le ministre de la Justice ne risque pas de se vanter.

Méline Escrihuela

Edit le 08/08/23 à 17H45 :  Plusieurs avocats qui se sont relayés dans cette affaire.  Me Alice Becker, avocate de de Mohamed H, a plaidé le 10 juillet dernier.

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