Vendredi dernier, des usagers de crack ont été déplacés aux portes de la Seine-Saint-Denis. Malgré la construction d’un mur supposé contenir les consommateurs dans Paris, la colère s’est emparée des riverains et des élus du département limitrophe. Pour la sociologue de l’Inserm et spécialiste des politiques de réduction des risques, Marie Jauffret-Roustide, cette opération témoigne avant tout de l’échec des politiques menées ces dernières.

Héléna Berkaoui : Les usagers du crack ont été déplacés vers la porte de la Villette où un mur a été bâti à la hâte. Quel regard portez-vous sur ce qu’il vient de se passer ? 

C’est très choquant. La construction de ce mur est le symbole de l’échec de la politique française trop centrée sur la répression de l’usage de drogues.

La législation, depuis la loi de 1970 sur la prohibition des drogues, n’a fait que se durcir.

Le déplacement des usagers de crack du jardin d’Eole à la porte de la Villette et la construction d’un mur sont à la fois le symbole d’une répression des usagers de plus en plus présente au détriment d’une réponse sanitaire. Les dernières données produites par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies montrent que la législation, depuis la loi de 1970 sur la prohibition des drogues, n’a fait que se durcir.

C’est également une illustration très choquante de la manière dont les usagers de crack sont considérés comme étant des publics indésirables et les riverains non entendus par le ministère de l’Intérieur.

Les usagers qui sont sur ces scènes sont extrêmement désinsérés, ils sont dans des situations de précarité sociale très importantes.

Ce mur représente une étape supplémentaire mais les évacuations ont lieu depuis dix ans et ça n’a absolument pas permis de diminuer la consommation de crack, comme nous le montrons dans notre rapport réalisé avec l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies.

Cela n’a fait que déplacer la question d’un endroit à un autre et cela n’a ni résolu le problème pour les riverains ni pour les usagers eux-mêmes. Les usagers qui sont sur ces scènes sont extrêmement désinsérés, ils sont dans des situations de précarité sociale très importantes. Il faudrait des prises en charge adaptées.

Un plan crack a pourtant été mis en place en mai 2019, pourquoi en est-on encore là ? 

Le problème c’est que ce plan met du temps à se déployer. La difficulté reste de trouver des lieux d’implantation pour ces dispositifs. On l’a vu avec les résistances sur l’implantation d’un dispositif de prise en charge pour les usagers de crack dans le 20ème arrondissement par exemple.

Le manque de réponse sanitaire fait aussi qu’on laisse ces personnes très vulnérables sans assistance

Exactement et d’ailleurs il est intéressant de voir que les riverains eux-mêmes indiquent que la solution répressive qui leur a été proposée avec ce déplacement et ce mur n’est pas la bonne et que ce sont des personnes qui ont besoin de soins.

Pour le moment, beaucoup d’argent est dépensé sur la répression au détriment du soin ou de la prévention.

Très clairement les usagers de crack qui étaient au jardin d’Eole et qui sont maintenant à la Villette sont des personnes qui ont besoin de soins. Je pense que tout le monde est d’accord sur ce constat. Une réponse sanitaire devrait être déployée auprès de ces personnes mais, pour le moment, beaucoup d’argent est dépensé sur la répression au détriment du soin ou de la prévention.

Il n’existe qu’une seule salle de consommation à moindre risque à Paris, le fait d’éloigner ce public de cette salle pose aussi un problème ? 

C’est totalement inefficace. Les usagers qui se retrouvent dans un endroit où il n’y a pas de salle vont continuer à consommer dans l’espace public. Quand ils ont le choix, ils préfèrent consommer à l’abri des regards et dans des espaces protecteurs.

Le Portugal a décriminalisé toutes les drogues et fait figure de modèle en matière de politique sur ce sujet…

En pénalisant de plus en plus l’usage de drogue, la France est à contre-courant de ce qu’il se passe dans la plupart des pays européens ou du Canada et des Etats-Unis. Un des modèles les plus intéressants est effectivement le modèle portuguais qui a choisi depuis 20 ans de décriminaliser l’usage de toutes les drogues.

On a toujours l’impression que les modèles de décriminalisation ou de dépénalisation sont synonymes d’augmentation de la consommation.

On a toujours l’impression que les modèles de décriminalisation ou de dépénalisation sont synonymes d’augmentation de la consommation. Tant aux États-Unis qu’au Canada, la consommation a baissé chez les adolescents qui sont les populations les plus à risque de dommages cognitifs en lien avec le cannabis puisque leur cerveau n’est pas encore complètement formé.

Le Portugal ne réprime plus l’usage simple donc quand les personnes sont arrêtées avec des produits, elles passent devant une commission de dissuasion de la toxicomanie. Ces personnes sont amenées à voir des médecins et des assistants sociaux qui vont définir si elles sont dans une régulation de leur usage qui ne nécessite pas de soins particuliers ou s’il y a des conséquences sanitaires délétères de leur usage qui nécessitent des soins. Au-delà d’une certaine quantité, ces personnes peuvent aussi passer dans la catégorie trafic et là des peines de prison sont encourues.

C’est une politique beaucoup plus intéressante que le mouvement qui se dessine en France aujourd’hui parce qu’en France l’augmentation de la répression qu’on observe ne permet pas de limiter l’usage. Si on s’éloigne du crack, la France est le pays d’Europe avec le plus haut taux de consommation du cannabis chez les adolescents. Il y a quatre fois plus de consommation de cannabis en France qu’au Portugal.

Héléna Berkaoui

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