Il n’aura pas fallu plus de quelques jours après sa nomination pour que la nouvelle ministre de l’Éducation nationale se retrouve engluée dans une tempête médiatique. En cause, son choix de scolariser son enfant dans un établissement privé sujet à de nombreuses polémiques. Mais aussi ses premières prises de paroles où elle a justifié ce choix par « des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées » dans le public.

Une situation que connaissent trop bien les élèves de Seine-Saint-Denis. Les révélations en cascade et les sorties de la ministre de l’Éducation nationale ne sont pas passées inaperçues dans le département. Ses autres prérogatives en tant que ministre chargée également de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques interrogent également sur le message envoyé pour l’Éducation nationale.

Grégory Thuizat, co-secrétaire départemental du SNES-FSU 93 et professeur agrégé de lettres modernes au lycée Suger à Saint-Denis (93), porte un regard très critique sur cette nomination. Interview.

À peine nommée, Amélie Oudéa-Castera a expliqué avoir scolarisé ses enfants dans le privé à cause d’absence de professeurs dans le public. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

En tant qu’organisation syndicale majoritaire du second degré, la FSU n’a pas à commenter les choix personnels de la ministre. En revanche, dès sa première sortie sur le terrain, elle a dû s’expliquer sur les révélations de Mediapart concernant l’école Stanislas. Je rappelle que c’est un établissement qui a une vision de la société sexiste, homophobe et autoritaire. Ce qui nous a particulièrement marqués dans l’enquête de Mediapart, c’est que l’IVG est assimilée à un meurtre, que des membres de l’église obligent des enfants à suivre un enseignement au catholicisme. Ce qui est interdit par la loi. Très clairement, il s’agit d’une école séparatiste, cela relève de l’intégrisme. Elle doit disparaître du paysage.

Or, cette école a fait l’objet d’un rapport de l’inspection générale qui n’a pas été rendu public (Mediapart a publié ce rapport depuis, ndlr). Qu’est-ce que dit la ministre à propos de cette école ? Elle déroule un discours que je qualifie de lunaire. Pas parce qu’elle fait une faute de communication. Ce serait une erreur de penser qu’il y a un faux pas. Ce n’est pas une sortie de route. Elle dit ce qu’elle pense. En fait, elle a révélé le sous texte de toute la politique d’Emmanuel Macron et des gouvernements successifs depuis 2017.

Tout a été fait pour promouvoir le privé

C’est-à-dire le soutien aveugle au privé confessionnel et la liquidation de l’école publique. Tout a été fait pour promouvoir le privé. Elle nous explique que si un de ses enfants est scolarisé ailleurs que dans le public, c’est parce qu’il y a un paquet d’heures qui n’est pas sérieusement remplacé.

Elle lance une charge violente contre l’enseignement public, sur l’ensemble de ses personnels et la qualité de l’encadrement. C’est une sortie absolument choquante, honteuse pour laquelle nous demandons des excuses publiques. Et très clairement, si elle n’accepte pas de les présenter, autant qu’elle démissionne. C’est le sentiment qui est partagé dans les salles des profs et dans le département. Si elle n’est pas capable de défendre les élèves et le personnel de l’école public, je ne vois pas ce qu’elle fait là. Parce qu’en réalité qui est responsable des problèmes de remplacement dans l’école publique ? Comme je vous l’ai dit, ce sont toutes les politiques publiques engagées par Emmanuel Macron depuis 2017.

Les débuts de la ministre sont cataclysmiques. C’est une ministre à mi-temps qui ne mérite même pas de l’être. On espère qu’elle sera très vite rejetée dans les oubliettes de l’histoire !

Amélie Oudéa-Castéra a été nommée ministre de l’Éducation nationale. Elle devra aussi s’occuper du ministère des Sports et des Jeux olympiques. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Nous sommes en colère de voir comment est traitée l’éducation, qui représente soi-disant la mère des batailles, et qui connaît une crise sans précédent depuis qu’Emmanuel Macron a accédé au pouvoir. Avec des conditions de travail dégradées pour les personnels, avec un manque de reconnaissance salariale. Très clairement, on aura du mal à recruter. Et on aura une ministre qui ne pourra pas traiter les questions d’éducation à temps plein. Ce ministère requiert un engagement total.

Comment sera-t-il possible, une année de jeux olympiques et paralympiques, surtout avec quelqu’un qui n’a aucune expérience de l’éducation ? Est-ce qu’elle va être une ministre de l’Éducation la première mi-temps, puis la ministre des jeux olympiques et paralympiques l’autre mi-temps ? On parle d’un ministère avec 1 200 000 personnes !

Ce gouvernement rétrograde l’éducation au rang de discipline non olympique

Cela confirme que Gabriel Attal reste ministre de l’Éducation nationale, et que le centre de gravité de l’éducation se situe ailleurs qu’à la rue de Grenelle. Ce qui était déjà le cas auparavant. Donc c’est une impression de désinvolture et de mépris qui se dégage de la profession et des personnels que nous représentons. Un ministre pendant cinq mois puis une ministre à mi-temps. Ce gouvernement rétrograde l’éducation au rang de discipline non olympique ! Et pour filer la métaphore sur les origines sportives de la ministre, l’éducation devient une sorte de grand trou dans la raquette gouvernementale !

Amélie Oudéa-Castéra devra immédiatement montrer qu’elle est consciente de là où elle arrive et de la situation. On voit qu’elle n’a absolument pas pris la mesure de ce que représente le combat pour l’école publique. Surtout, au vu du mépris avec lequel elle la traite. Et nous, ce qu’on exige, ce sont des réponses immédiates sur les salaires et les conditions de travail. Ce qui est sûr, c’est que les débuts de la ministre ne pouvaient pas être pires.

En Seine-Saint-Denis, les syndicats enseignants ont appelé en décembre à un plan d’urgence pour l’éducation dans le département. Avez-vous eu des retours quant à cet appel et pensez-vous que le gouvernement prend la mesure de cette urgence ?

Il y a eu un premier grand rendez-vous à la suite d’un questionnaire qui a été soumis à l’ensemble des écoles, collèges et lycées dans le département. Et sur lequel on a organisé avec l’intersyndicale, avec la CGT éducation, SUD éducation, un événement, en présence des secrétaires généraux de nos organisations. Et il est clairement ressorti de cette soirée qu’il fallait des moyens hors normes !

On a montré et démontré que de nombreux droits élémentaires étaient déniés aux élèves de Seine-Saint-Denis

Quand la situation s’avère difficile dans les écoles, elle l’est encore plus en Seine-Saint-Denis. On a montré et démontré que de nombreux droits élémentaires étaient déniés aux élèves du département. Ces élèves ont plus de difficulté d’accès à la santé qu’ailleurs. 40 % des établissements scolaires n’ont pas d’infirmiers. On est dans une situation de désert médical scolaire.

Nous demandons à l’État de réduire les inégalités, ce qui signifie d’avoir des conditions d’accueil pour les élèves et le personnel qui soient décentes. Par le respect des seuils de 20 élèves par classes, un pôle avec des psychologues de l’éducation nationale, des infirmières et des médecins, qui soit renforcé pour toutes et tous. Ça passe par des remplacements immédiats pour éviter la perte d’un an de cours pour les élèves. Ça passe par des établissements en bon état et à taille humaine.

Il faut que l’État investisse de manière accrue. Un collectif budgétaire est nécessaire à la fois sur le bâti et les moyens humains. Ce qui représenterait plusieurs centaines de milliers d’euros. On a besoin de 5 000 enseignants pour le premier et le second degré, 175 CPE, 650 assistants d’éducation, 120 assistants pédagogiques. Ces chiffres ne sortent pas du chapeau. On les a obtenus des besoins exprimés par les établissements. Pour avoir ça, il ne suffit pas de le dire. Il va falloir qu’une mobilisation ait lieu. On appelle officiellement à se saisir d’abord du 1ᵉʳ février, grande date de mobilisation nationale. Et à l’issue de cela, nous voulons engager un mouvement très fort en Seine-Saint-Denis, pour que la rentrée 2024 soit à la hauteur de ce département. Et que l’État mette enfin les moyens là où il y en a besoin.

Pour obtenir ces mesures qui sont strictement des mesures de rattrapage, il faudra une mobilisation

Depuis le plan d’urgence du 93, c’est le silence de l’autorité académique en Seine-Saint-Denis et du côté ministériel, bien entendu. On s’y attendait. Soyons clair. Pour obtenir ces mesures qui sont strictement des mesures de rattrapage, il faudra une mobilisation. Il n’y aura pas de victoire sur les moyens pour l’école publique, comme pour tous les autres services publics, sans confrontation avec le gouvernement en place. Il n’y aura pas de victoire sans unité des organisations syndicales et des personnels. On ne s’attendait pas à ce que l’État dans le 93 nous fasse une fleur et nous annonce d’un seul coup, un collectif budgétaire sur le bâti et plusieurs centaines de milliers d’euros. Il a toujours fallu lutter pour que l’État donne des moyens à l’éducation nationale.

Le Premier ministre avait déjà pris certaines mesures pour l’éducation, mais jugées insuffisantes par les enseignants.  Dans ce contexte, qu’attendez-vous de la ministre de l’Éducation nationale ?

On n’en attend déjà plus rien. Elle s’est décrédibilisée dès ses premiers propos. Comment voulez-vous qu’on arrive à mener le moindre dialogue avec une ministre qui commence de cette manière ? Les réunions bilatérales ont commencé aujourd’hui. Il s’agit de prises de contact avec les différentes organisations syndicales. La FSU a été reçue en premier. La ministre a confirmé ce qu’elle a déclaré ce week-end. C’est- à-dire qu’elle regrettait ses propos qui avaient pu choquer des enseignants. Mais c’est l’ensemble de la profession qui a été choqué !

Par ailleurs, elle a refusé de prendre le moindre engagement. Comme Gabriel Attal, elle a refusé de rouvrir les dossiers salariaux et la question des conditions de travail. Donc dans ce contexte, la FSU a été obligée de couper court aux discussions sur les autres sujets.

Le seul préalable pour commencer à parler de l’avenir de l’école publique avec le gouvernement actuel, c’est de donner des gages concrets pour que le service public de l’éducation fonctionne.

Propos recueillis par Hervé Hinopay

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