Sérine paraissait très timide quand elle a commencé l’atelier Sciences Po au lycée Eugène-Delacroix à Drancy, en septembre 2018. Elle n’était pas effacée mais il lui était difficile de se mettre en avant. Or, prendre la parole et défendre un point de vue fondé sur des arguments, sur la connaissance des faits, suppose que l’on se mette en avant à deux reprises. Il y a d’abord l’oral d’admissibilité qui se déroule au lycée devant un jury de professeurs et de personnalités extérieures.
Il faut défendre son travail sur une question d’actualité sur laquelle les candidats ont rédigé une revue de presse, un mémoire d’une quarantaine de page. Bonne élève en terminale L, elle allait avoir 17 ans et avait choisi l’affaire Carlos Ghosn comme sujet d’étude. Elle a réussi ce pari et étudie depuis la fin du mois d’août sur le campus Asie de Sciences Po au Havre.
BB : Au début de ton année de Terminale, il y a un an, est-ce que tu connaissais l’école de la rue Saint-Guillaume ?
Sérine Boutarfi : Très vaguement. Comme ça, de réputation, j’en avais entendu parler mais je ne connaissais rien sur les cursus proposés ou sur le contenu ou la difficulté du concours.
Comment es-tu arrivée à l’atelier Sciences Po ?
Pour répondre franchement, je ne connaissais même pas son existence. Si j’y suis allé c’est que j’ai été beaucoup poussée par des amies qui voulaient « tenter Sciences Po » comme on disait et par des professeurs qui pensaient que j’en étais capable.
Et toi, tu le pensais aussi ?
Au tout début de l’année, je n’étais pas vraiment motivée en fait. Sciences Po, ça représentait pour moi un but totalement inatteignable. On ne voulait pas se rater, il fallait choisir un sujet d’actualité qui nous passionnait et sur lequel j’avais quelques notions. J’ai choisi l’affaire Carlos Ghosn parce que le Japon me fascinait.
Quand as-tu commencé à y croire ?
Beaucoup plus tard, étonnamment. Vers le mois de janvier, je me souviens que j’ai commencé à me prendre au jeu. Je me suis dit que je voulais y entrer et que, peut-être, j’avais mes chances comme tous les autres candidats. Maintenant, c’est un peu les montagnes russes, il y a des hauts et des bas. Des amies étaient très vite convaincues d’y arriver dès le début, dès le mois d’octobre. Ça m’avait fait un peu peur. Mais, finalement, je me suis accrochée, je suis restée et je ne l’ai pas regretté.
Tous les oraux blancs sont faits pour échouer
Tu te souviens des premiers oraux blancs ?
Oh oui, je m’en souviens très clairement. J’étais passée devant vous et mon professeur. J’ai duré 5 minutes ou moins, il me semble. C’était vraiment une catastrophe. Puis je me souviens du deuxième oral blanc que j’ai passé à l’association Ambition Campus. Cette fois-ci, j’avais duré 7 minutes (rires), c’était beaucoup mieux. Mais il fallait atteindre 20 minutes ! Je pense que tous les oraux blancs sont faits pour échouer et c’est à force de s’exercer qu’on progresse surtout dans un exercice comme celui-là, mais je me souviens que ça m’avait vraiment frustrée à l’époque.
Je te confirme que le premier oral était catastrophique. Tu ne semblais pas y croire toi-même. Tu avais des connaissances sur le système judiciaire japonais et sur la culture du Japon, mais tu ne les mettais pas en avant. Du coup, nous étions déçus, mais impressionnés par ce que tu savais… Il fallait apprendre à construire ton argumentaire et tes réponses.
À l’époque des premiers oraux, en février ou début mars, tu étais confiante ?
Pas du tout. J’ai une personnalité timide donc passer devant d’autres personnes, c’était vraiment difficile. Mais en y allant toutes les semaines, on se voit progresser et on prend confiance en soi.
À ton avis, qu’est-ce qui n’allait pas ?
Je pense que lors des premiers oraux blancs, je n’étais pas assez préparée. J’avais un peu pris ça à la légère, puisque je travaillais déjà dans mes matières pour le bac. Là, c’est une question de volonté. Je voulais finir le travail que j’avais commencé et donc, quand j’ai raté mes premiers oraux, j’ai voulu me reprendre, ne pas en rester là pour être fière de moi.
Qu’est-ce que tu as appris à l’atelier Sciences Po ?
La chose la plus importante qu’on apprend au final, c’est : quelles sont nos faiblesses et comment les combler ? On est mis face à tout ce flux d’information et on doit apprendre à tout classer pour choisir minutieusement chaque article pour construire notre sujet, notre réflexion. Je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de lacunes en termes d’organisation, de réflexion, sur la manière d’aborder les sujets et sur le vocabulaire que j’employais. À la fin de l’année scolaire, à partir du mois d’avril, j’avais pu surpasser toutes ses faiblesses et je savais que ça allait beaucoup jouer sur mes études que ce soit à Sciences Po ou ailleurs.
Et puis, mi-mars, il y a l’oral d’admissibilité… Les choses sérieuses, quoi.
Quand je suis arrivée pour passer l’oral, je tremblais à cause du stress. Beaucoup de mes professeurs étaient venus m’encourager, même mon proviseur était venu. Ça m’a beaucoup rassuré. Après ça, je suis rentrée dans la salle avec tous les jurés et j’ai perdu mes moyens. Lorsque j’ai commencé mon oral, j’ai dû m’arrêter pour boire de l’eau et reprendre mon souffle. Ensuite j’ai pris quelques secondes pour me reprendre et vu que je n’avais rien à perdre, je me suis lancée. Après ce moment de flottement, tout s’est très bien passé, les idées sont revenues dans le bon ordre et j’ai pu répondre aux questions, c’était très étonnant comme les choses se sont mises en place, comme ça a basculé. Après, il y a le moment où on quitte la salle qui est vraiment agréable. On se sent fière et contente. C’est un accomplissement, un aboutissement.
Tu en gardes quel souvenir ?
Je n’en garde pas de souvenir très clair à part le stress intense que j’ai ressenti au début. Après, il y a le sentiment de fierté que j’ai eu en quittant la salle et la colère que j’avais envers certains jurés qui m’avaient un peu piégé dans les questions qu’ils posaient. (Elle le dit aujourd’hui avec un grand sourire, ndlr)
Le chat de Sciences Po a essayé de grimper sur moi
La dernière étape, c’est l’oral d’admission à Sciences Po… En arrivant là-bas, tu étais confiante ?
Oui, j’étais très confiante. C’est étrange mais c’était sûrement dû au fait que l’oral d’admissibilité au lycée m’avait vraiment mise dans les conditions les plus dures. J’étais la première à passer donc je voyais les jurés entrer dans la salle. Évidemment, tous les candidats, moi comprise, étaient en train de faire des recherches sur les jurés en tapant leurs noms sur Google. C’était assez marrant à voir. Maintenant, mon oral n’était ni glorieux ni mauvais. Bien entendu, j’ai répondu à leurs questions plutôt centrées sur mon dossier et mes hobbies. Ça ne servait à rien d’essayer de savoir si, oui ou non, ça c’était bien passé parce qu’on ne connaît pas du tout les critères.
Ton oral a pourtant été émaillé d’un épisode assez inattendu…
Oui, le chat de Sciences Po, on l’appelle Marcel, s’est mis à ronronner très fort juste à côté de moi en se frottant à ma jambe et en essayant de grimper sur moi (rires). Du coup, on entendait à peine ce que je disais et les jurés se sont mis à courir après le chat pour le faire sortir. En voyant ça, je me retenais vraiment très fort de rire parce je risquais de les vexer. C’était une situation que je n’aurais jamais imaginée.
Comment s’est déroulée la rentrée à la fin du mois d’août sur le campus du Havre consacré à l’Asie ?
Le début était assez agréable. J’ai fait beaucoup de rencontres avec des étudiants étrangers qui étaient super sympas. Ce qui m’a marquée, c’était la diversité de personnes qui allait passer deux ans avec moi. On avait tous des choses à apprendre les uns des autres.
Et après ?
Les trois premiers mois ont été vraiment durs. Enfin, c’est toujours difficile. J’ai dû partir de chez moi, quitter Drancy pour aller étudier au Havre. Le plus dur est de construire son indépendance et en même temps d’être soumise à un rythme de travail très élevé. Il a fallu un certain temps d’adaptation. Une chose m’a surprise, c’est que le campus est assez petit, il n’y a pas beaucoup d’étudiants, du coup c’est plus facile de se lier d’amitié avec les autres étudiants.
La pression est-elle plus forte que tu le pensais ?
Je m’attendais à ce niveau d’attente de la part des profs mais j’ai dû quitter mes habitudes du lycée qui consistaient à réviser la veille pour le lendemain parce que je me suis vite rendu compte que j’allais échouer. Mais ça ne représentait rien d’insurmontable. On est plutôt solidaire sur le campus donc quand j’ai pris un peu de retard, on m’a aidé et j’ai fait pareil en retour. Je pense que ce genre de mécanique reste plus rare à Paris ou Reims, car ce sont de très grands campus.
Tu as eu des moments de découragement ?
Beaucoup, pendant les midterms – les partiels situés au milieu du semestre -, où on doit réviser plus que d’habitude. Mais, je pense que c’est pareil pour toutes les filières et valables pour tous types d’études supérieures. Et encore une fois, on s’aide les uns et les autres pour surmonter ces moments. Tout le monde en connaît, il faut s’accrocher.
Propos recueillis par Philippe DOUROUX
Crédit photo : Sciences Po