« Pas de moyens, pas de rentrée ! » Le message des enseignants de Seine-Saint-Denis est limpide. Et pour cause, depuis la rentrée scolaire du 26 février dernier, de nombreux professeurs des premiers et second degré du département sont en grève. Ils réclament un plan d’urgence pour l’Éducation nationale dans le département le plus pauvre et le plus jeune de France hexagonale.

Depuis ce lundi, les mêmes scènes se produisent dans plusieurs villes du 93. Des piquets de grève devant les établissements, des réunions d’informations, des assemblées générales locales organisées. L’ensemble des communautés éducatives est sur le pont pour exiger un plan d’urgence pour les écoles publiques et l’abandon des groupes de niveau au collège prévu pour la rentrée 2024.

Le plan d’urgence est une initiative lancée en décembre 2023 par l’intersyndicale avec plusieurs revendications pour ce territoire en proie à de graves difficultés sociales. Mais depuis la présentation de ce plan, les enseignants n’ont pas été reçus par leur ministère de tutelle.

Un mouvement suivi, soutenu par les parents et les élèves

Ce jeudi, c’est dans une salle comble que plusieurs prises de parole s’enchaînent et qu’un premier constat s’impose : le mouvement est très suivi dans les établissements.

Des applaudissements fournis se font entendre lorsque les représentants du lycée Paul Éluard de Saint-Denis expliquent avec fierté qu’il y a dans leur établissement « 100 % de grévistes chez les AED (assistant d’éducation) et entre 20 et 30 profs en grève. » Les représentants de ce lycée alertent régulièrement sur les conditions de travail et les manques matériels qu’ils subissent.

À Bagnolet, la première journée de grève a connu un succès avec 80 % de grévistes pour la vie scolaire. Les chiffres pour la 4ᵉ journée se stabilisent avec 30 % pour les enseignants et 50 % pour la vie scolaire. « On essaie de sensibiliser en organisant des réunions publiques avec les parents », résume Margot, enseignante à Bagnolet.

Le ministère semble être désormais le seul à ignorer la force inédite de la mobilisation

Preuve de la détermination des professeurs, ils étaient 700 en rassemblement, d’après les syndicats, mardi 27 février devant les locaux de la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale de Bobigny (DSDEN).

« L’intersyndicale a été mandatée par les collègues pour remettre officiellement, à l’occasion d’une audience, les doléances chiffrées (dans le rapport pour un plan d’urgence, ndlr) à la DSDEN 93. Les autorités académiques se sont engagées à transmettre nos revendications au ministère qui semble être désormais le seul à ignorer la force inédite de la mobilisation », rapportait dans un communiqué l’organisation.

« Faute de remplacement, mes élèves ont dû préparer le bac de français sans prof »

On ne compte plus les alertes du corps enseignant depuis de nombreuses années. Sur les manques criants d’effectifs, les classes surchargées, les bâtiments en mauvais état ou encore sur les manques de moyens matériels.

Des problématiques dont sont victimes les enseignants et les élèves. « J’ai été en congé maternité, je n’ai pas été remplacée et mes élèves ont dû préparer le bac de français sans prof », raconte Melissa qui enseigne le français au lycée Blaise Cendrars de Sevran. « Ce qui m’indigne également, c’est l’état du bâti. L’année dernière, un plafond s’est effondré. Depuis un an, il y a une croix gammée inscrite sur une table dans ma classe et je demande régulièrement à ce qu’elle soit remplacée. Ça n’est toujours pas le cas parce qu’il n’y a pas de tables en plus », décrit l’enseignante de 33 ans.

Les enseignants réclament des moyens pour travailler avec les élèves en prenant en compte la situation de sinistre dans le département. Ces problématiques et elles accentuent les inégalités de plus en plus flagrantes.

Le plan d’urgence de l’intersyndicale (FSU, Sud éducation, la CGT et la CNT-éducation) est précis. Il demande la création de 5 000 postes supplémentaires : plus de mille postes pour la vie scolaire (surveillant, conseillers principaux d’éducation), 2 200 postes d’AESH pour accompagner les enfants en situation de handicap avec plus de reconnaissance dans le statut et le salaire. Le coût de ce plan a été estimé à 358 millions d’euros.

Les perspectives et actions à venir

Durant cette assemblée générale, des discussions ont eu lieu sur la suite du mouvement. La poursuite de la grève a été votée et amplifiée jusqu’au 7 mars et 8 mars (jours de mobilisation massive). Cependant, l’intersyndicale appelle à multiplier les initiatives locales d’ici là. Les piquets de grève, les AG, réunions d’informations et les opérations collège désert en lien avec les parents vont se poursuivre.

D’autres actions au ministère de l’Éducation nationale sont également prévues. Et preuve de l’influence du mouvement, d’autres départements envisagent ou ont entamé des actions similaires.

Si quelques désaccords sur les actions subsistent. La détermination et la motivation des enseignants sont incontestables. L’objectif visé est de continuer jusqu’à la journée du 19 mars qui sera une journée de grève dans la fonction publique.

Le dernier plan d’urgence négocié dans le 93 remonte au 21 octobre 1998. Claude Allègre était le ministre de l’Éducation nationale. À l’issue de six semaines de grève, les enseignants avaient obtenu la création de 3 000 postes en plus. Le succès de cette lutte reste dans les mémoires de certains qui retrouvent cette même énergie dans la mobilisation de 2024.

Aïssata Soumaré

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