Un habitant sur deux en Seine-Saint-Denis a vécu une discrimination au travail les cinq dernières années. Plus d’un tiers des personnes contactées ont le sentiment d’être discriminées du fait de résider dans le département. Le département du 93 a commandé cet été une enquête à l’Institut de sondage Harris Interactive pour publier sur le vécu et les perceptions des discriminations par les habitant·e·s. Et c’est à partir de cette enquête qu’est née l’idée d’un observatoire des discriminations pour mieux chiffrer et lutter contre le phénomène.

Après le dernier sondage de 2019, les avis des sondé·e·s ont été compilés par téléphone du 5 au 19 juillet 2021, et se basent sur un échantillon de plus de 1000 personnes. Origine ethnique, géographique, orientation sexuelle, religion, genre, poids, handicap, et autres facteurs se croisent avec les enjeux du quotidien comme ceux de l’emploi, du logement ou encore des relations avec la police et la justice.

Le fonctionnement systémique normal est discriminatoire.

Cependant, il ne s’agit pas du premier facteur d’inégalité vécu et perçu. Pour la quasi-totalité, il est net que la couleur de peau (92%), leur quartier d’habitation (89%), leur religion (87%) ou leur orientation sexuelle (81%) sont perçus prévalents dans les inégalités. Néanmoins, pour la carnation qui représente l’indice le plus fort, 63 % disent avoir été témoin d’une discrimination et 37% l’avoir vécue les cinq années passées.

Autant de critères qui, à quelques mois des présidentielles, influent sur des thématiques qui sont peu développées dans les campagnes politiques mais restent essentielles pour les Français. Concernant le logement, le travail et la recherche d’emploi, pour 92% de ces Franciliens, une personne du territoire va automatique rencontrer une discrimination. Par ailleurs, de la moitié à deux tiers des individus en ont été témoins. Dans monde du travail 37 % des personnes considèrent avoir été discriminées lors de la recherche d’emploi, tandis que les chiffres révèlent qu’une personne sur deux a vécu de la discrimination.

Soutien aux victimes: les associations en tête, la police en dernière place

Harris indique qu’en 2019 les écoles, les associations et l’Etat étaient tous perçus par plus de 9 habitants sur 10 comme devant jouer un rôle « important » dans la lutte contre les discriminations en Seine-Saint-Denis. 9 citoyens sur 10  estiment que ce sont surtout les associations qui soutiennent les victimes, dont 66% disent qu’elles aident beaucoup. Il s’agit de l’acteur le plus important du sondage, suivi par les écoles (82%) et les municipalités (80%). Cependant aux trois dernières places du palmarès figurent la justice (67%), l’Etat (66%) et la police (52%). La police affiche le plus fort indice « ne les soutient pas du tout » de la liste, soit 46%.

Évidemment, il y a la question du contrôle au faciès.

Les chiffres indiquent un malaise dans les relations entre les citoyens et les organes du pouvoir. En effet, 32 % des interrogé·e·s déclarent avoir été victimes durant les cinq dernières années de discrimination policière ou judiciaire. Un peu plus de la moitié des sondé·e·s disent avoir été témoins de ces discriminations ces cinq dernières années. Pourtant, 88 % des habitant·e·s interrogé·e·s estiment que des personnes sont discriminées en Seine-Saint-Denis par la police et la justice, contre 81 % en 2019. Près de la totalité des jeunes entre entre 18 et 24 ans, soit 96%, seraient concernés, suivis par les 25-39 ans qui n’ont que 4 points d’écart. A ce sujet, Juliette Griffond répond : « Évidemment, il y a la question du contrôle au faciès. Nous sommes en train d’organiser nos prochaines actions à ce sujet »

De futurs projets de l’Observatoire pour répondre aux problématiques des Séquano-Dionysiens

Ces chiffres ils sont révélateurs d’un malaise sociétal profond en Seine-Saint-Denis, face notamment à la réponse apporté par les institutions aux situations . De plus, les expériences et les perceptions des Séquano-Dionysien·ne·s font écho à des discriminations bel et bien existantes. « Le fonctionnement systémique normal est discriminatoire. Il existe déjà des rapports documentés, objectifs et massifs qui le disent. Ce baromètre est une manière de recueillir les paroles des victimes. C’est un outil pour commencer le débat », commente Fatima Ouassak.

La crise sanitaire et sociale a bien évidemment creusé les inégalités.

Ce mardi 9 novembre, le premier Observatoire départemental des discriminations et de l’égalité a été inauguré en Seine-Saint-Denis. « L’Observatoire est né à la suite des chiffres importants du baromètre de 2019, mais aussi des mouvements de mobilisations notamment portés par la jeunesse. De plus, la crise sanitaire et sociale a bien évidemment creusé les inégalités », éclaire Juliette Griffond, responsable de la mission égalité diversité de Seine-Saint-Denis. Pour autant, malgré son nom, la structure ne souhaite pas uniquement se contenter d’observer, mais également d’agir et de valoriser les acteurs, les habitants et le territoire.

Les associations sont le premier soutien des habitants victimes des discriminations et cela a de l’importance

En plus du baromètre, la structure se dote d’un Conseil associé composé d’associations (Front de Mères, SOS Homophobie, Saint-Denis Ville au Coeur, Un sur Quatre et Remem’beur), d’experts, de chercheurs et d’habitants. Ce conseil répond à l’une des missions de l’Observatoire : proposer des actions départementales en matière de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité, en répondant aux besoins des Séqua-Dionysien·ne·s. « J’ai été étonnée d’une telle initiative dans ce contexte de durcissement social », explique Fatima Ouassak, porte-parole de Front de Mères, membre du Conseil. « Nous avons voulu qu’il y ait des habitants mais aussi des associations, car ils sont aussi experts. De plus, le sondage montre que les associations sont le premier soutien des habitants victimes des discriminations et cela a de l’importance« , complète Juliette Griffond.

Synergies associatives en territoire connu

« A Front de Mères, nous sommes enthousiastes de pouvoir participer à cette initiative et pas juste en simple observation. En sachant que pour nous l’essentiel de nos forces se trouve sur le terrain, dans les actions politiques et autonomes », enchaine Fatima Ouassak. Invitée par le Département, l’association Front de Mères a accepté de siéger à la condition que sa ligne radicale féministe, écologiste et anti-raciste soit préservée. Ainsi, la leader du front de mères ne cache pas sa volonté de vouloir discuter avec les institutions afin d’obtenir un progrès social, mais avec un rapport de force admis de tous. « Une institution doit aussi être capable d’entendre. Cela ne veut pas dire être à 100% sur le positionnement, mais il faut écouter les paroles révoltées et radicales, » affirme Juliette Griffond.

Il y a déjà une discrimination de l’Etat, le département est sous-doté en service public.

Imen Azek, bénévole de l’association Saint Denis Ville Au Cœur, se réjouit de la richesse de ces rencontres à venir. « La discrimination nous touche directement. On sait de quoi on parle, on est experts de nos vécus. Cette invitation est une super opportunité pour créer des contacts avec les autres associations, mener des actions conjointes et avoir du soutien humain et celui du Département. On pourra toucher plus de villes que Saint-Denis et réaliser de nouvelles actions ». Ali Guessoum, fondateur de Remem’beur et membre du Conseil, désire, quant à lui, mettre en partage les outils d’éducation populaire de l’association.

Tout comme les autres associatifs, Ali Guessoum songe à « voir comment différents acteurs réunis vont se donner les moyens pour que cela ne reste pas uniquement de belles idées. »  Son collègue Damien Villière, membre l’association Un sur Quatre, qui organise la Grande Parade Métèque, va plus loin encore. « Trois quart des habitants se sentent discriminés et c’est pas rien ! Il y a déjà une discrimination de l’Etat, le département est sous-doté en service public. On espère que c’est un outil qui va vraiment faire pression. »

Des chiffres mais aussi une promesse de lutter concrètement contre les discriminations

L’autre versant de la structure, explique la responsable de la mission diversité égalité, est de devenir un véritable expert des discriminations qui compile et produit des données.  « Le fait de pouvoir publier des chiffres qui sont réels est important pour donner des contre-arguments à d’autres discours racistes qu’on peut entendre dans les médias, » souligne Damien Villière.

Alors, pour parer à des constructions systémiques qui engendrent et perpétuent des violences discriminatoires, l’Observatoire s’est donné le défi, avec ses acteurs, de proposer dès 2022 des actions concrètes. En effet, il est prévu qu’en juin 2022 une caravane circulera dans le département afin de favoriser l’accès et la connaissance de ses droits.

Les habitante·s pourront être conseillé·e·s juridiquement et l’Observatoire promet de recueillir des pré-saisines par des délégué·e·s de la Défenseure des droits et des associations. L’action de sensibilisation « Jeunes contre le racisme et l’antisémitisme » est en train d’être organisée dans les établissements scolaires. « Nous ne voulons pas d’une posture qui fait simplement la morale aux jeunes. Nous souhaitons plutôt construire des ateliers ensemble et diffuser les productions par nos canaux », conclut Juliette Griffond. Et Fatima Ouassak de répéter ce mantra partagé « Nous refusons la violence discriminatoire en Seine-Saint-Denis. »

Amina Lahmar

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